L'Écriture ne pose pratiquement pas la question de l'utilité de la prière, sinon dans la bouche des insensés qui disent que Dieu n'existe pas et qui se moquent de la prière du juste. Mais elle y répond en nous exposant les interventions de Dieu dans l'histoire des hommes, dans celle du peuple élu, de ses chefs, de ses prophètes, dans la vie des disciples de Jésus et de l'Église primitive, en nous incitant à prier jusqu'à mettre sur nos lèvres les prières que Dieu veut entendre et qui expriment le mieux notre dialogue avec lui, comme dans les psaumes et le Notre Père. L'Écriture nous montre l'action de Dieu, nous le fait prier et nous apprend à le prier. Le Christ nous invite à prier sans cesse, à faire de notre vie une prière.
C'est cette position qu'exprime par une simple référence le "Sed contra" de notre article (S. Thomas d'Aquin, Somme Théologique, I-II, qu. 83, art. 2), la citation de Luc 18, 1 :
Il faut prier sans jamais se lasser.
Cette parole est citée comme engageant l'autorité du Seigneur en faveur de la nécessité de la prière ; mais elle évoque beaucoup de choses. D'abord son contexte évangélique : la parabole du juge inique et de la veuve importune qui illustre et renforce l'ordre du Seigneur de prier toujours. Ensuite toutes les invitations à la prière dans le Nouveau Testament, comme dans les psaumes, que nous avons vues et qui feront l'objet de brèves citations dans la suite du traité. Enfin la prière chrétienne dans son ensemble qui accomplit l'invitation à la prière continue et qui s'est exprimée notamment dans la liturgie et dans la prière personnelle. Cf. l'évocation de la prière liturgique dans les articles 12 et 17.
Derrière notre article, il y donc l'enseignement évangélique avec l'expérience chrétienne et ecclésiale de la prière.
Une telle réponse à la question de l'utilité de la prière par la prière même, n'est nullement une fuite du problème. Elle constitue, en fait, la seule réponse adéquate et la base nécessaire de la réponse théorique aux difficultés. En effet, si la prière est comme un échange de paroles avec Dieu, comment pourrrions-nous démontrer que ce dialogue est possible et utile, si nous ne nous sommes pas donnés la peine de l'établir et de le poursuivre jusqu'à en percevoir les fruits par expérience ? Comme pour le mouvement, on peut dire qu'on prouve le mieux la prière en priant. C'est dans l'exercice de la prière qu'on découvre le mieux sa possbilité, son utilité et sa nature.
La chose est encore plus vraie, lorsque Dieu lui-même prend l'initiative de nous parler pour nous inciter et nous enseigner à le prier. Dans ce cas, le dilemme de la foi se répercute sur la prière : ou nous croyons à cette parole et nous nous engageons dans la prière, auquel cas la certitude de la foi en Dieu qui nous parle se communique à nous comme certitude envers Dieu à qui nous parlons et se renforce dans cet échange ; ou nous fermons l'oreille à cette parole et la prière véritable nous devient impossible et bientôt incompréhensible ; elle s'éteint avec la foi.
C'est donc dans la prière même, dans l'expérience "sui generis" de notre relation avec Dieu qu'elle nous apporte, que nous pouvons le mieux nous convaincre de l'utilité, de la convenance de la prière, et que nous pourrons apercevoir et mesurer exactement les conditions de la prière.
Ce traité présuppose le fait de la prière chrétienne, de la prière de l'Égise et même, quelle que soit sa discrétion, de la prière de saint Thomas, et il fait appel à la nôtre.