III. LA DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS
171 Parmi les multiples implications du bien commun, le principe de la destination universelle des biens revêt une importance immédiate: « Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité ».GS, 69 Ce principe se base sur le fait que « la première origine de tout bien est l'acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l'homme, et qui a donné la terre à l'homme pour qu'il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1, 28-29). Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu'elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C'est là l'origine de la destination universelle des biens de la terre. En raison de sa fécondité même et de ses possibilités de satisfaire les besoins de l'homme, la terre est le premier don de Dieu pour la subsistance humaine ». Centesimus annus, 31 En effet, la personne ne peut pas se passer des biens matériels qui répondent à ses besoins primaires et constituent les conditions de base de son existence; ces biens lui sont absolument indispensables pour se nourrir et croître, pour communiquer, pour s'associer et pour pouvoir réaliser les plus hautes finalités auxquelles elle est appelée.
172 Le principe de la destination universelle des biens de la terre est à la base du droit universel à l'usage des biens. Chaque homme doit
avoir la possibilité de jouir du bien-être nécessaire à son plein développement: le principe de l'usage commun des biens est le « premier principe de tout l'ordre éthico-social » Laborem
exercens, 19 et « principe caractéristique de la doctrine sociale chrétienne ».Sollicitudo rei socialis, 42 C'est la raison pour laquelle l'Église a estimé nécessaire d'en
préciser la nature et les caractéristiques. Il s'agit avant tout d'un droit naturel, inscrit dans la nature de l'homme, et non pas simplement d'un droit positif, lié à la contingence
historique; en outre, ce droit est « originaire ». Il est inhérent à l'individu, à chaque personne, et il est prioritaire par rapport à toute intervention humaine sur les
biens, à tout ordre juridique de ceux-ci, à toute méthode et tout système économiques et sociaux: « Tous les autres droits, quels qu'ils soient, y compris ceux de propriété et de libre
commerce, y sont subordonnés [à la destination universelle des biens]: ils n'en doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation, et c'est un devoir social grave et
urgent de les ramener à leur finalité première ».Populorum progressio, 22
173 La mise en œuvre concrète du principe de la destination universelle des biens, selon les différents contextes culturels et sociaux, implique une définition précise des modes, des limites et des objets. Destination et usage universel ne signifient pas que tout soit à la disposition de chacun ou de tous, ni même que la même chose serve ou appartienne à chacun ou à tous. S'il est vrai que tous naissent avec le droit à l'usage des biens, il est tout aussi vrai que, pour en assurer un exercice équitable et ordonné, des interventions réglementées sont nécessaires, fruits d'accords nationaux et internationaux, ainsi qu'un ordre juridique qui détermine et spécifie cet exercice.
174 Le principe de la destination universelle des biens invite à cultiver une vision de l'économie inspirée des valeurs morales qui permettent de ne jamais perdre de vue ni l'origine, ni la finalité de ces biens, de façon à réaliser un monde juste et solidaire, où la formation de la richesse puisse revêtir une fonction positive. En effet, la richesse présente cette valeur dans la multiplicité des formes qui peuvent l'exprimer comme résultat d'un processus productif d'élaboration technique et économique des ressources disponibles, naturelles et dérivées, conduit par l'imagination, par la capacité de programmation, par le travail des hommes, et employé comme moyen utile pour promouvoir le bien-être des hommes et des peuples et pour s'opposer à leur exclusion et à leur exploitation.
175 La destination universelle des biens comporte un effort commun visant à obtenir pour chaque personne et pour tous les peuples les conditions
nécessaires au développement intégral, de sorte que tous puissent contribuer à la promotion d'un monde plus humain, « où chacun puisse donner et recevoir, et où le progrès des uns ne sera
pas un obstacle au développement des autres, ni un prétexte à leur asservissement ».Libertatis conscientia, 90 Ce principe correspond à l'appel adressé incessamment par l'Évangile
aux personnes et aux sociétés de tous les temps, toujours exposées aux tentations de la soif de possession, auxquelles le Seigneur a voulu se soumettre (cf. Mc 1, 12-13; Mt 4,
1- 11; Lc 4, 1-13) afin de nous enseigner le chemin pour les surmonter avec sa grâce.