« DIEU NOUS FRAPPE pour nous avertir ! » Qui ne se souvient de ces mots terribles de Bossuet prononcés en la basilique Saint-Denis, lors de l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre ? Qui surtout aujourd’hui accepterait cette exclamation sévère sans broncher ? Et pourtant : dans cette page de littérature passée à la postérité, l’aigle de Meaux montre comment des événements saisissants peuvent et doivent instruire les hommes, peuvent et doivent leur dessiller les yeux. Non pas que Dieu ait voulu ce mal, non, mais Dieu s’en sert. Seulement, bien souvent muré dans un refus contempteur et dans un endurcissement sot, l’homme fonce malgré tout à sa perte, aveugle et sourd, dans une répétition mortifère.
Nombre de faits et de livres rapportent de tels avertissements. Pensons par exemple à la nouvelle de Tostoï, Maître et Serviteur (1) où Vassili Andréich Brékhounov et son serviteur Nikita, prisonniers du froid lors d’une tempête de neige se perdent. Ayant trouvé in extremis asile dans un village, l’appât du gain lié à une vente de bois, déjà négocié mais qu’il craint de perdre, fait manquer de prudence au maître, engageant par là même son serviteur dans son aveuglement. Alors qu’ils sont sauvés de manière providentielle, le maître ne peut se résoudre à voir la vente lui échapper. Ils repartent alors, contre toute raison, dans le froid et la mort. « L’unique but, pensée, joie et fierté de sa vie », c’était « l’argent qu’il avait amassé jusqu’alors et allait pouvoir amasser ». La surprise finale de la nouvelle sera belle, Nikita en réchappe grâce au sacrifice du maître, mais le maître meurt faute de n’avoir pas obéi aux événements qui s’imposaient à lui pour le sauver.
Dimanche 22 juillet sur TF1 : ironie tragique
Il est de semblables avertissements aujourd’hui pour qui accepte de voir ces véritables « coups de surprise » donnés « à nos cœurs enchantés ». Nous en avons, sans doute, vécu un de première importance cet été. L’épouvantable accident du car des pèlerins polonais, revenant du sanctuaire de La Salette, nous a frappés par son caractère spectaculaire en plein cœur des vacances, nous a émus et scandalisés également. Comment un pèlerinage à la Vierge pouvait-il se terminer aussi tragiquement ?
Que fallait-il comprendre ? Rien, diront beaucoup : erreur humaine, dysfonctionnement mécanique, mauvais concours de circonstances, mystère d’un mal-malheur. Sans doute. Mais reste que le vacancier averti a entendu devant son poste de télévision les titres du journal s’égrener : le drame en ouverture de journal, puis sans transition, celui de l’affaire du plus grand centre commercial d’Europe, à Plan-de-Campagne, outrepassant l’interdiction du préfet d’ouvrir le dimanche... Étrange coïncidence du cours des jours que ces deux faits qui se tutoient en ce dimanche 22 juillet dans le journal de TF1. Inconvenante juxtaposition de l’actualité, pourrait-on presque dire, si l’ouverture des magasins le dimanche n’avait eu rien à voir précisément avec le message de La Salette.
D’un côté, en effet, un horrible accident d’autocar sur le lieu duquel les présidents de la France et de la Pologne, les présidents des deux pays les plus motivés (2) avec l’Espagne pour l’ouverture des magasins le dimanche, accourent ; de l’autre un sanctuaire où la Vierge est apparue le 19 septembre 1846. On se prend à se demander si ces deux chefs d’État, menés malgré eux, forcés par les événements, à faire silence en ce lieu perdu entre terre et ciel, si ces deux chefs d’État ont seulement eu l’idée de s’enquérir de ce que la Vierge avait pu bien dire là, à Corps en Isère. Auront-ils poussé jusqu’au bout un périple qui n’était évidemment pas à leur programme quelques heures auparavant ?
Reconnu par l’Église, le message de La Salette tient, par son caractère douloureux, une place à part dans l’histoire des apparitions en France. Apparaissant triste et même parfois en pleurs, la Dame de La Salette se plaint de ne pouvoir plus retenir le bras de son fils. La première raison de cette infinie tristesse est tout de suite avancée : « Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième et on ne veut pas me l’accorder. C’est ça qui appesantit tant le bras de mon Fils. » L’avertissement est net, d’une actualité criante cent soixante et un ans plus tard, un pas de plus devant être franchi dans la libéralisation du travail le dimanche par la plupart des pays chrétiens d’Europe, en nos folles années de mondialisation. Ce qu’a compris le pape.
Benoît XVI, en voix qui crie dans le désert, a saisi la gravité des lois à venir et a mis en garde l’homme de l’hyperconsommation (3) lors de son dernier voyage en Autriche. Jusqu’à opposer, à la manière des premiers chrétiens un non possumus véhément qu’aucun media n’a évidemment relayé. En plein délire sportif, les chaînes de télévision n’ont ni dans leur journal de 13h00 ni dans celui de 20h00, ne serait-ce que par une brève, rendu compte de l’événement autrichien, donnant raison à l’auteur de l’Ère du vide qui, en sociologue, constatait : « Le bien-être est devenu Dieu, la consommation son temple, le corps son livre saint. » N’y a-t-il pas eu là délit flagrant de censure ? N’y a-t-il pas eu là un bâillonnement aussi délibéré qu’insupportable du Saint-Père ? Mais passons ; ce n’est pas nouveau. Osons, à la veille de la fête de Notre-Dame de La Salette, rappeler à contretemps et relayer à notre pauvre mesure ce qu’a dit le Saint-Père :
Le dimanche : un « centre intérieur »
« Sine dominico non possumus ! Sans le Seigneur et le jour qui Lui appartient, on ne réussit pas sa vie. Le dimanche, dans nos sociétés occidentales, s'est mué en “week end”, en temps libre. Le temps libre, en particulier dans la frénésie du monde moderne, est une chose belle et nécessaire ; chacun de nous le sait. Mais si le temps libre n'a pas un centre intérieur, d'où provient une orientation pour l'ensemble, il finit par être un temps vide qui ne nous renforce pas et ne nous détend pas. Le temps libre a besoin d'un centre, la rencontre avec Celui qui est notre origine et notre but. »Grande idée que celle d’un dimanche vu comme « centre intérieur ». En pleine préparation du jubilé, Jean-Paul II ne disait pas autre chose : « Perçu et vécu ainsi, le dimanche devient un peu l’âme des autres jours (4). » Premier jour de la semaine, renvoyant au repos joyeux du créateur, au jour du Christ ressuscité, le dimanche est jour de l’Église, « jour qui ne connaît pas de soir » comme l’évoque la liturgie byzantine. Ce « jour des jours » devient ainsi, parce qu’il le sanctifie, le jour de l’homme. Oui « sans le Seigneur et le jour qui Lui appartient » l’homme « ne réussit pas sa vie ».
Bien sûr, cela va au-delà de l’ouverture des magasins le dimanche. C’est toute une large culture du dimanche qu’il faut refonder au-delà du seul culte essentiel de la messe (5). Jean-Paul II espérait de toutes ses forces que la tradition des vêpres soit retrouvée. Au lieu de grouiller et d’errer le dimanche dans d’anonymes centres commerciaux, chacun pourrait trouver ce jour propice pour se reposer, rencontrer les autres, se ressourcer, prier, chanter les Heures, méditer la Parole de Dieu ; s’organiser, les autres jours de la semaine, pour essayer de ne pas acheter le dimanche. Jour sacré, jour à part. Jour spécifique des chrétiens qui voudraient vraiment vivre en chrétiens.
Il est intéressant, au passage, de noter que la libéralisation du dimanche en cours ne concernerait que le domaine économique : il n’est pas pensable actuellement que soient ouverts par exemple, le dimanche, postes et administrations, offices de notaires…
Loin de tout catastrophisme, la Dame de La Salette, en mère aimante, corrige ses enfants insensés. Loin de tout rigorisme Benoît XVI, sans se laisser impressionner par l’esprit du monde, rappelle, contre vents et marées, les exigences de l’amour (6), rappelle l’homme à ses devoirs essentiels pour que « la soif fébrile de vie qui aujourd'hui ne laisse pas les hommes en paix » ne finisse pas « dans le vide de la vie perdue ».
H.B.
Pourquoi la reconnaissance civile du dimanche comme jour festif est-elle importante ?
Pour que soit donnée à tous la possibilité effective de jouir d’un repos suffisant et d’un temps libre permettant de cultiver la vie religieuse, familiale, culturelle et sociale ; de disposer d’un temps propice à la méditation, à la réflexion, au silence et à l’étude ; de se consacrer aux bonnes œuvres, en particulier au profit des malades et des personnes âgées.
(Catéchisme abrégé, n. 454).
■ POUR AGIR, signez la pétition de la CFTC contre le travail du dimanche :
Joseph Thouvenel, secrétaire général-adjoint de la CFTC nous écrit : "Face au retour du veau d'or, tous ceux qui estiment qu'il est important, voire essentiel, de préserver un temps où la production et la consommation sont entre parenthèses, devraient défendre le repos dominical. Au-delà des catholiques de France, la CFTC se propose de rassembler les Français qui veulent maintenir le dimanche comme élément fondamental de la vie familiale, culturelle, associative et spirituelle."
■ Vous pouvez les rejoindre en signant et en faisant signer la pétition en ligne sur le site
www.cftc-paris.com
Pour en savoir plus :
■ Benoît XVI, "Sans le dimanche, nous ne pouvons", homélie prononcée dans la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, dimanche 9 septembre 2007, sur Generation.benoitXVI.com.
■ Le site du sanctuaire de Notre-Dame de La Salette
Notes
1. Léon Tolstoï, Maître et Serviteur, Edition Mille et une nuit, 1999.
2. C'est surtout le prédécesseur de M. Kaczynski qui a des choses à se reprocher sur ce plan-là. Il semble que le président actuel et son gouvernement voudraient justement mettre des restrictions (surtout pour les supermarchés, en grande partie "français", qui ont cru se dédouaner en installant des chapelles à l'intérieur des centres commerciaux).
3. Pour Gilles Lipovetsky (Le Bonheur paradoxal, Gallimard, 2006), s’ouvre une troisième étape historique du capitalisme de consommation, celle de l’hyperconsommation, “marchandisation moderne des besoins et orchestrée par une logique désinstitutionnalisée, subjective, émotionnelle”.
4. Jean-Paul II, Dies Domini, Lettre apostolique, Pierre Téqui éditeur, 31 mai 1998, p.84.
5. CEC n. 1389 : « L’Église fait obligation aux fidèles “de participer les dimanches et les jours de fête à la divine liturgie”. » CEC Abrégé n. 453 : « Comment sanctifie-t-on le dimanche ? … en s’abstenant aussi des activités qui empêchent de rendre un culte à Dieu, qui troublent la joie propre au jour du seigneur et la nécessaire détente de l’esprit et du corps. Peuvent être accomplies ce jour-là les activités liées aux nécessités familiales ou aux services de grande utilité sociale, à condition qu’elles ne constituent pas des habitudes préjudiciables à la sanctification du dimanche, ni à la vie de famille ou à la santé. »
6. Les dix commandements sont loi de vie. Le troisième commandement précise : « Tu sanctifieras le Jour du Seigneur ».