Le jansénisme, on le sait, a été clairement condamné par l'Église. Mais il n'est pas la seule manière de méconnaître la miséricorde divine telle qu'elle nous est encore révélée dans la Parole de Dieu de ce dimanche. Déjà des saints comme Louis-Marie Grigion de Montfort, ou Jean-Marie Vianney, ou Thérèse de Lisieux, pourtant peu suspects de jansénisme - en première ligne, au contraire, dans une réaction de santé contre cette maladie spirituelle qui a fait tant de ravages parmi les chrétiens - mettaient en garde tout autant contre une conception laxiste de l'amour miséricordieux de notre Dieu.
Or, je dis que ce laxisme est tout aussi dangereux que le jansénisme. Le fait d'abuser de la miséricorde divine est tout aussi funeste que le fait d'en douter. Penser qu'il ne faut pas se convertir tout de suite, parce que, quand Dieu menace de nous punir, il n'annonce pas la punition pour tout de suite, est tout aussi illusoire que de penser qu'on ne pourra jamais se convertir. Ceux qui affirment que Dieu ne punit jamais font preuve de bêtise autant que ceux qui voient la punition de Dieu partout. Si Dieu menace de nous punir à cause de notre mauvaise conduite, c'est par miséricorde. Si cette punition est annoncée, non pas dans l'immédiat, mais pour plus tard, c'est pour nous laisser le temps de nous convertir, c'est encore par miséricorde.
Ne disons pas que c'est seulement dans l'Ancien Testament que l'on voit l'annonce de châtiments (il y en a dans le Nouveau, et des terribles !), et que la miséricorde, c'est dans le Nouveau Testament (elle commence avec Adam et Éve)...
Non pas que la miséricorde de Dieu soit limitée (sauf dans le temps...). Non, au contraire, elle est infinie ! Et elle dépasse tellement tout ce que nous pourrions en dire et en concevoir ! Personne ne pourra jamais la surestimer ni l'épuiser. Tomberions-nous mille, dix mille, cent mille fois dans le même péché, même gravissime, le Seigneur nous pardonne chaque fois que nous revenons vers lui, ou, mieux, chaque fois que nous nous laissons trouver par lui. Car ce n'est pas nous qui revenons vers lui ; c'est lui qui nous cherche et nous retrouve.
Mais il faut que nous nous laissions ramener sans tarder, sans remettre à plus tard, sans attendre l'heure de la mort. Si nous croyons à la miséricorde de Dieu, pourquoi ne pas nous empresser à nous convertir ? Qu'avez-vous fait il y a un mois, le 15 août, lorsque la meteo annonçait l'approche du cyclone DEAN ? Vous avez agi, et tout de suite, pour mettre en sécurité vos biens et vos propres personnes. Vous n'avez pas perdu une seconde. Vous n'avez pas attendu que le cyclone arrive. Il faillait faire vite !
À ceux qui remettent toujours leur conversion à plus tard le Curé d'Ars disait :
Faites du moins pour votre pauvre âme ce que vous faites pour votre corps qui n'est cependant qu'un monceau de pourriture et qui, dans quelques moments, sera la pâture des plus vils animaux. Lorsque vous êtes dangereusement blessés, attendez-vous six mois ou un an pour y appliquer les remèdes que vous croyez être nécessaires pour vous guérir ? Lorsque vous êtes attaqués par une bête féroce, attendez-vous d'être à moitié dévorés pour crier au secours ? N'implorez-vous pas, de suite, le secours de vos voisins ? Pourquoi, mes frères, n'agissez-vous pas de même lorsque vous voyez votre pauvre Âme souillée et défigurée par le péché, réduite sous la tyrannie des démons ? Pourquoi n'employez-vous pas aussitôt l'assistance du ciel et n'avez-vous pas recours à la pénitence ?
Personne ne peut connaître la miséricorde de Dieu, sinon en en faisant l'expérience dans l'instant présent. Écrire un livre savant, faire un sermon brillant, ou, plus simplement, lire de belles pensées ou écouter de beaux discours sur le sujet, pour se dire que l'on se convertira... mais pas tout de suite : c'est se bercer d'illusions dangereuses. Écoutons encore le saint Curé d'Ars :
Eh bien, puisque vous désirez quitter un jour le péché, pourquoi ne le quitteriez-vous pas aujourd'hui, puisque Dieu vous donne le temps et les grâces pour cela ? Croyez-vous que, dans la suite, Dieu sera plus disposé à vous pardonner, et que vos mauvaises habitudes seront moins difficiles à rompre ? Non, non, mes frères, plus vous différerez votre retour à Dieu, plus votre conversion sera malaisée. Le temps, qui affaiblit tout, ne fait que fortifier nos mauvais penchants.
Voilà donc une bonne raison pour ne pas remettre notre conversion à plus tard. Mais ce n'est pas la seule. Si nous devons nous convertir sans tarder pour notre propre bien, ne devons-nous pas le faire aussi et avant tout pour faire la joie de Dieu ? Si nos péchés l'attristent, comment pourrions-nous continuer d'offenser un Dieu si bon et si doux ? Si notre conversion lui procure une si grande joie, pourquoi le faire languir ? Dire que l'on croit à la miséricorde de Dieu tout en remettant sa conversion à demain est un signe évident d'hypocrisie, cette hypocrisie que Jésus démasquait avec tant de délicatesse et de fermeté chez les pharisiens.
Enfin, si nous croyons à la miséricorde de Dieu, nous devons nous convertir sans tarder également pour le bien de notre prochain, pour le bien de ceux qui nous sont chers, pour le bien de tous. Nous ne pouvons pas soupçonner les fruits que nous pourrions porter, le bien que nous pourrions faire autour de nous, si maintenant, en cet instant, nous ouvrions notre pauvre coeur à l'amour de Dieu, si, en confessant nos péchés avec une sincère contrition nous formions le ferme propos de recevoir son pardon. (Il y a un sacrement pour cela !)
C'est ce que nous dit saint Paul dans la deuxième lecture. Le péché est un cercle vicieux. Plus on s'y attarde, plus il nous engloutit, et plus il entraîne à leur perte ceux que nous rencontrons à cause de la mauvaise influence que nous avons sur eux. Mais celui qui fait l'expérience de la miséricorde ne manquera pas de se trouver à l'origine d'un cercle vertueux et d'entraîner dans son sillage une multitude d'autres pécheurs vers la maison du Père :
Voici une parole sûre, et qui mérite d'être accueillie sans réserve : le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ; et moi le premier, je suis pécheur, mais si le Christ Jésus m'a pardonné, c'est pour que je sois le premier en qui toute sa générosité se manifesterait ; je devais être le premier exemple de ceux qui croiraient en lui pour la vie éternelle.
Le Seigneur nous appelle avec force et tendresse. Si nous l'écoutons, bientôt il transformera notre désert dans un "vert pré" pour une joie sans fin. AMEN !