SERMON CCXXIII. POUR LA VEILLÉE DE PAQUES. V. AUX NOUVEAUX BAPTISÉS
Vous l'avez sans doute appris comme moi. C’est le petit miracle de ce dimanche de Pâques. Ils sont 12000 (douze mille !) adultes à recevoir le baptême lors des vigiles pascales ce dimanche en France. La conférence des évêques a communiqué mercredi dernier les chiffres records du nombre de catéchumènes en 2024. En constante hausse, +30%, ce nombre n’avait jamais été aussi élevé depuis vingt ans.
En Belgique, les diocèses ont recensé 362 baptêmes d’adultes (186 en 2014 !) : 68 en Flandre, 121 à Bruxelles (comprenant aussi les Brabants wallon et flamand) et 173 en Wallonie. Beaucoup d’autres pays en Europe et dans le monde font le même constat.
On doit s'en émerveiller. Mais on peut aussi s'en étonner, s'émerveiller d'autant plus que c'est étonnant. En France, comme en Belgique, comme en Suisse et dans le monde entier, l'Église catholique a été sinistrée par des scandales financiers et sexuels. Et alors même que de nombreux chrétiens "de souche" demandent à être "débaptisés" ou en tout cas quittent l'Église sans bruit, voilà que des jeunes et des adultes de plus en plus nombreux demandent à la rejoindre. Mais il y a aussi - et c'est encore scandaleux davantage - ceux à qui le Seigneur, comme jadis, demande : "Voulez-vous partir, vous aussi ?" et qui, tels que Judas, restent... pour trahir.
Lors de la même veillée de Pâques que nous célébrons ce soir, il y a environ 1600 ans, saint Augustin a exhorté tous les nouveaux convertis à maintenir l’unité de l’Église catholique. Il les avertit qu’il y aura des mauvais membres au sein de l’Église catholique, mais il explique à partir des Écritures comment et pourquoi c’est ainsi, et comment un vrai chrétien doit réagir.
Le fait que vous puissiez lire un sermon vieux de 1600 ans, comme s’il avait été prononcé cette nuit même, est, en soi, profond — une raison de plus de vous réjouir en tant que catholique. L’Église — l’aire de battage — demeure.
Puisqu'en recevant le baptême ils sont devenus des enfants de lumière, saint Augustin exhorte les néophytes (les "nouvelles plantes" encore tout fragiles, les nouveaux baptisés) à s'unir aux vrais enfants de lumière, aux bons chrétiens, sans s'étonner de rencontrer des mauvais chrétiens, attendu que ce monde est comme l'aire où la paille se trouve mêlée au bon grain. Mais ils doivent éviter aussi de s’attacher aux grains sortis de l'aire ; et quoi qu'ils aient à souffrir des méchants, qu'ils n'oublient pas que la paille est incapable d'écraser le bon grain...
1. L'Ecriture dit au livre de la Genèse : "Et Dieu vit que la lumière était bonne. Et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres; et Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit (1)". Mais si Dieu a donné à la lumière le nom de jour, il s'ensuit qu'on peut appeler jour ceux à qui l'apôtre Paul adresse ces paroles : "Vous étiez ténèbres , autrefois vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur (2)"; car ils étaient éclairés par Celui-là même qui commanda à la lumière de jaillir des ténèbres (3).
Ces enfants (4), que vous voyez si blancs à
1. Gen. I, 4, 5. — 2. Eph. V, 8. — 3. II Cor. IV, 6. — 4. Nom donné à tous les nouveaux baptisés, quel que fût leur âge.
l'extérieur, à l'intérieur si purs, et qui témoignent, par la blancheur de leurs vêtements, de la candeur de leur âme, étaient ténèbres quand ils étaient plongés dans la nuit de leurs péchés. Maintenant donc qu'ils ont été purifiés dans le bain du pardon, arrosés de l'eau de la sagesse et qu'ils sont pénétrés de la lumière de justice : "C'est le jour qu'a fait le Seigneur; livrons-nous à la joie et à l'allégresse qu'il nous inspire (1)". Prête donc l'oreille, jour du Seigneur, prête l'oreille, jour formé par le Seigneur, prête l'oreille et sois docile, afin de nous inspirer et joie et allégresse, notre joie
1. Ps. CXVIII, 24.
et notre couronne étant, comme dit l'Apôtre, que vous demeuriez fermes dans le Seigneur (1). Écoutez-nous, ô jeunes enfants d'une chaste Mère; ou plutôt écoutez-nous, enfants d'une Mère vierge. Puisqu'après avoir "été ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur, vivez comme des enfants de lumière"; attachez-vous aux enfants de lumière, et pour m'exprimer plus clairement, attachez-vous aux vrais fidèles; car, ce qui est affreux, il y en a de mauvais, il y en a qui portent le nom de fidèles sans l'être de fait; il y en a par qui sont outragés les sacrements du Christ, dont la conduite est une cause de perdition pour eux et pour autrui; pour eux, à cause de leur conduite coupable elle-même; pour autrui, à cause des exemples mauvais qu'ils donnent. Non, mes bien-aimés, ne vous liez pas avec ces mauvais fidèles; recherchez les bons, attachez-vous aux bons et soyez bons vous-mêmes.
2. Ne soyez pas étonnés, d'ailleurs, du grand nombre de ces mauvais chrétiens qui remplissent l'Église, qui participent aux dons de l'autel, qui applaudissent à haute voix les leçons de morale données par l'évêque ou par le prêtre, qui montrent enfin l'accomplissement de cette prophétie faite dans un psaume par Celui qui nous a appelés : "J'ai prêché, j'ai parlé, et ils sont devenus innombrables (2)". Ils peuvent maintenant se trouver avec nous dans l'Église ; mais ils.ne pourront compter dans cette grande assemblée des saints qui suivra la résurrection des morts. L’Eglise, aujourd'hui, est en effet comme l'aire où le grain est mêlé avec la paille, les bons avec les méchants; mais après le jugement elle ne contiendra que les bons, pas un seul méchant. On voit sur cette aire la moisson qu'ont semée les Apôtres, que les fidèles docteurs qui les ont suivis ont arrosée jusqu'à cette époque, et que les ennemis n'ont, hélas ! que trop foulée; elle n'a plus à attendre que d'être nettoyée par le Vanneur suprême. Il viendra donc, car vous avez dit en répétant le Symbole : "Il en viendra juger les vivants et les morts". D'ailleurs l'Évangile dit aussi : "Il aura son van à la main, et il nettoiera son aire, et il placera son froment au grenier, tandis qu'il brûlera la paille dans un feu inextinguible (3)":
J'ai un avertissement aussi à donner aux
1. Philip, IV, 1. — 2. Ps XXXI, 6. — 3. Matt. III, 12.
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fidèles plus anciens. C'est que le bon grain se réjouisse en tremblant, c'est qu'il reste dans l'aire sans la quitter. Qu'il ne se fie pas à son jugement pour essayer de se dépouiller en quelque sorte de la paille qui l'enveloppe; car en cherchant à se séparer de la paille, il ne pourrait rester sur l'aire; et comme le Juge qui ne se trompe jamais ne fera point monter au grenier ce qu'il ne trouvera point sur l'aire, c'est en vain que les grains éloignés maintenant de l'aire, répéteront qu'ils se sont formés sur l'épi, le grenier se remplira d'ailleurs, puis on le fermera. Aux flammes tout ce qui n'y sera point admis.
Donc, mes bien-aimés, c'est à celui qui est bon de tolérer celui qui est mauvais, et à celui qui est mauvais d'imiter le bon. Sur cette aire mystérieuse effectivement le bon grain peut dégénérer en paille, et la paille à son tour être changée en bon grain. Ceci arrive chaque jour, mes frères; la vie est pleine de ces chagrins et de ces consolations. On voit tomber et périr chaque jour ceux qui paraissaient bons; comme aussi on voit se convertir et ressusciter ceux qui paraissaient mauvais. "Car Dieu ne veut pas la mort de l'impie, mais son retour et sa vie (1)".
A vous maintenant, bons grains; à vous qui êtes ce que je voudrais être, à vous donc, bons grains. Ne vous attristez point d'être mêlés à la paille; ce mélange ne sera pas éternel. Combien après tout pèse sur vous cette paille? Grâces à Dieu, elle est légère. Seulement soyons le bon grain, et si abondante que soit la paille, elle ne nous écrasera point. Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous procurera une issue durant la tentation même, afin que vous puissiez persévérer (2).
Un mot aussi à la paille; où qu'elle soit, qu'elle m'écoute. Je voudrais qu'il n'y en eût pas ici; parlons néanmoins, dans la crainte qu'il y en ait. Écoute-moi donc, paille ; mais en m'écoutant tu ne seras plus paille. Ecoute-moi : Profite de la patience de Dieu. Que le voisinage et les avertissements du bon grain te changent en bons grains. La pluie de la divine parole ne te fait pas défaut. Ah ! ne laissez point stérile le champ du Seigneur; reverdissez, grainez, mûrissez. Celui qui a vous semés entend trouver en vous des épis et non des épines.
1. Ezéch. XVIII, 23. — 2. I Cor. X, 13.
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