Voici mon discours prononcé lors d'une conférence au parlement de la République tchèque, et plus précisément dans l'une des salles les plus prestigieuses du parlement. Je suis tellement honorée.
Écoutez et n'hésitez pas à partager !
Olivia Maurel, née d’une mère porteuse, milite pour l’abolition universelle de la gestation pour autrui.
D’ordinaire on trouve dans les familles, au fond d’un tiroir de bibliothèque ou parfois sous la poussière d’un grenier, ces vieux albums photo où sont consignés comme des trésors les premiers battements de cils des nouveau-nés. Ici c’est un sourire, là une grimace, on ne sait pas toujours faire la différence ; regardez, il avait déjà beaucoup de cheveux à la naissance, et ces doigts boudinés posés sur le sein de sa mère, si ce n’est pas adorable… Olivia Maurel a grandi sans jamais connaître ces photos de naissance que l’on montre aux enfants quand ils sont en âge de comprendre qu’il s’agit d’eux en plus jeunes. Pas plus qu’elle n’a vu de photos de sa maman enceinte d’elle. «Petite, dit-elle, j’ai toujours eu l’impression que quelque chose clochait…»
Ce n’est pas tout. Il y avait ce miroir maternel dans lequel se reflétait un visage qui n’était pas le sien : elle ne ressemblait pas à sa mère. Laquelle d’ailleurs était plus âgée que les autres mamans, celles de ses copains et copines. «Il y avait aussi une certaine distance psychique qui était présente», ajoute-t-elle avec pudeur. Aux doutes généalogiques répond une certitude d’état civil, une information administrative, qui pour avoir été écrite des centaines de fois sur des formulaires, n’en devient pas moins mystérieuse pour autant : Olivia est née en 1991 à Louisville, dans le Kentucky. Soit à plusieurs milliers de kilomètres de la Floride, où elle a passé son enfance. Sa mère lui expliquait avoir accouché là-bas par nostalgie d’un film qu’elle avait beaucoup aimé. C’était un premier mensonge. Il y en eut d’autres, beaucoup d’autres : son enfance en est truffée.
Les pièces du puzzle ne s’emboîtaient plus : aux grandes questions des origines, qui structurent habituellement l’éveil tumultueux de la conscience de soi, Olivia n’a su trouver que des réponses parcellaires, bancales. Chaque nouveau doute appelait chez ses parents une fable de plus, si bien que faute de pouvoir compter sur eux, elle finit par s’en remettre à Google : à la fin de l’adolescence, elle fit des recherches sur la ville où elle est née.
«Au début, je cherchais plutôt un centre d’adoption, mais en première page est apparu un site internet pour une agence de GPA . C’est là où tout s’est solutionné dans ma tête…» La coïncidence eut valeur pour elle de vérité, et Olivia s’est mise à raconter à ses proches qu’elle était née d’une mère porteuse. Elle l’a d’abord confié à ses amis, petits-amis, son mari plus tard, même son docteur - mais pas ses parents : «J’avais peur de leur réaction. J’avais l’impression de leur devoir ma vie, car je sais que ma vie vaut un certain prix.» Elle insiste sur ce dernier mot, qui revêt dans sa bouche un poids terrible.
«J’avais enfin une preuve irréfutable de mes origines»
Cette intime conviction d’être née d’une autre mère que celle qui l’a élevée a hanté Olivia sans qu’elle n’ose tout de suite en avoir le cœur net, mais elle ne parvenait pas à dissimuler à ses proches la souffrance causée par cette blessure intime, nichée au cœur de son identité de femme, de fille, de mère. À tel point que la famille de son mari s’est finalement résolue à lui offrir, pour ses 30 ans, un test ADN. La vérité que ses parents lui ont d’abord tue a éclaté avec la précision chirurgicale de la génétique : bien que la femme qui l’a élevée soit française, Olivia n’a aucune origine française. La base de données détecte une cousine germaine et un oncle américains. «J’ai su avec une preuve physique, à ce moment précis, que j’étais née d’une gestation pour autrui», se souvient Olivia. «J’ai d’abord crié : YES ! C’est comme si j’avais gagné une longue bataille, j’avais enfin une preuve irréfutable de mes origines. Mon instinct me disait que j’étais née par GPA mais sans preuve tangible, je n’aurais jamais eu de réponse. J’étais soulagée, heureuse de savoir que je n’avais pas été une folle pendant toutes ces années à raconter toutes ces choses !»
Toutes les personnes nées par GPA que je connais ont eu des soucis avec l'alcool et la drogue à des moments...
Elle saura plus tard le fin mot de l’histoire ; les parents qui l’ont élevée, accaparés par la bonne fortune de leur entreprise, ont laissé filer les premières années de leur mariage : quand son père, plus jeune que sa mère, fut rattrapé par le désir d’avoir des enfants, sa mère n’était déjà plus en âge de procréer. Olivia a été conçue avec les gamètes de son père, américain, et celles d’une autre femme à qui l’on a sous-traité la grossesse : la femme qui l’a élevée est en réalité sa «mère d’intention».
Depuis, Olivia raconte dans ses vidéos TikTok les coulisses de cette enquête dont elle est à la fois l’énigme et la clef. Elle livre sans filtre les épreuves psychologiques traversées, évoque sa bipolarité et son hyperactivité, des séquelles qu’elle a décelées chez d’autres personnes nées comme elles d’une mère porteuse, et auprès de qui elle a commencé depuis plusieurs années un compagnonnage d’infortune : ils sont ensemble les enfants d’un désir échangé contre un chèque à une femme qui a loué son ventre le temps de quelques mois. Quand ses parents ont fini par découvrir les vidéos sur les réseaux sociaux, elle n’avait toujours pas su trouver le courage de leur parler. «J’avais préféré ne rien dire par peur d’être abandonnée une nouvelle fois. J’ai une peur de l’abandon extrême, qu’à l’époque je soignais par une psychanalyse» raconte Olivia, qui depuis a pris ses distances avec eux.
S’ils n’ont pas su ou pas pu lui dire la vérité, c’est tout simplement qu’ils n’ont jamais trouvé les mots justes. «Ils avaient la vie parfaite : de l'argent, une belle situation, une jolie maison, un nouveau bébé, je pense qu'ils ont eu peur de tout foutre en l'air si j'avais su…» Est-ce qu’elle leur en veut ? «Jamais», assure Olivia. «Car je ne crois pas que la haine et la rancœur nous élèvent ou nous soignent, mais aussi parce qu’ils ont simplement utilisé un processus disponible pour eux, servi sur un plateau d’argent.» Du reste, les autres enfants nés par GPA avec qui elle est en contact, notamment «Baby M» (dont l’affaire intrigua les États-Unis dans les années 80 : la mère porteuse fut contrainte par la justice de donner l’enfant à ses parents d’intention alors qu’elle voulait le garder pour l’élever elle-même), ont tous su la vérité depuis toujours : «ça ne change rien», juge Olivia, car eux aussi souffrent comme elle de dépressions chroniques et de symptômes post-traumatiques complexes. «Ils ont tous eu des soucis avec l’alcool et la drogue à des moments…»
Militante pour l’abolition universelle de la GPA
Ceux à qui elle en veut en revanche, c’est «aux pays qui ont légalisé la GPA, commerciale ou “altruiste”», Olivia insiste pour que l’on écrive ce dernier mot entre guillemets. Sa blessure intime est devenue un combat politique. Peu à peu, ses histoires de vie contées à longueur de courtes pastilles vidéo sur les réseaux sociaux se sont teintées d’un message clair, en sus du témoignage : Olivia Maurel veut faire abolir la gestation pour autrui, partout dans le monde. Elle ne supporte plus la mièvrerie qui entoure la publicité déguisée qui est faite pour cette pratique : «On n’arrête pas de nous dire partout que la GPA, c’est cool, par le biais d’influenceurs ou de stars, mais personne ne montre l’envers du décor, personne ne parle de nous, les enfants nés d’une GPA !»
L’un après l’autre, elle balaie alors tous les arguments de ceux qui plaident en faveur d’une libéralisation du recours aux mères porteuses. Après tout, si ces dernières sont consentantes, où est le mal ? «Non, on répète “mon corps, mon choix” pour les femmes mais on oublie l’enfant, qui n’a pas le choix alors qu’il s’agit aussi de son corps… Et puis, qui peut dire qu’une femme est consentante quand il y a de telles sommes d’argent en jeu ?» Surtout, ajoute-t-elle, tout consentement contractuel suppose une possibilité de rétractation. Or les mères porteuses sont privées de ce loisir : les contrats entre parents d’intention et mères porteuses ne prévoient pas la possibilité pour la femme enceinte de changer d’avis au cours de la grossesse. En Californie, a expliqué un couple face à une commission juridique, la responsabilité légale de l’enfant avant même sa naissance incombe déjà aux parents d’intention, ce qui les rend décisionnaires en cas de complications médicales pendant la grossesse, si des soins ou des traitements sont proposés. «Pour de nombreux juristes, ajoute Olivia, il faut une disposition permettant de réduire les paiements versés à la mère porteuse si elle ne respecte pas les obligations contractuelles régissant son mode de vie pendant la grossesse. Alors non, pendant une GPA, le corps de la mère porteuse ne lui appartient pas !»
On objecte que la réalité de la gestation pour autrui est contrastée : la pratique est mieux encadrée aux États-Unis qu’en Inde ou en Ukraine… «Il n’existe pas de GPA éthique !» s’exclame aussitôt Olivia. «C’est d’ailleurs ce que dit le Dr René Frydman , le premier médecin qui a fait naître un bébé-éprouvette, et avec qui j’ai échangé sur Zoom l’autre jour : il a vu la réalité de la GPA dans le monde entier et il en conclut que la marchandisation du corps de la femme n’est jamais éthique.»
«Pourquoi m’a-t-elle vendue ?»
Car après son test ADN, Olivia a remonté le fil jusqu’à échanger avec la femme qui l’a mise au monde. En contactant d’abord son cousin biologique, puis son demi-frère et ses demi-sœurs, elle a fini par recevoir un jour sur Facebook le message de la mère qui l’a portée pendant neuf mois. «C’était une étape cruciale dans ma reconstruction car elle m'a apporté des précisions à des questions existentielles : comment s'est passée la grossesse ? Comment s'est déroulé l'accouchement ? Puis notre séparation ? Et surtout… pourquoi m'a-t-elle… vendue ?»
De message en message, Olivia a reconstitué le parcours et la vie de cette femme, les épreuves qui l’ont poussée à accepter l’impensable, une transaction avec son propre utérus. Inconsolable après la mort en bas âge de son plus jeune enfant, elle s’était laissée ensevelir sous les factures impayées.
Olivia a enquêté alors sur les conditions dans lesquelles se déroulent pour de vrai ces «GPA éthiques» dont les couples français vantent toute la délicatesse humaine. «D’abord il n’y a pas de vérification des commanditaires : on ne regarde pas s’ils ont un casier judiciaire, si l’enfant sera élevé dans de bonnes conditions», détaille-t-elle. «Et surtout, les mères porteuses se soumettent à des obligations qu’aucun régime démocratique ne pourrait accepter ! Elles n’ont pas le droit de boire de café, ni d’avoir des relations intimes avec leur conjoint…»
Indignée, Olivia Maurel a décidé depuis de porter son combat ailleurs que sur les réseaux sociaux, dans l’arène de la politique internationale où le sort de ces femmes est en train d’être lié. En mars dernier, à Casablanca, elle s’est associée aux médecins et psychologues de 75 nationalités différentes qui ont signé la déclaration en faveur d’une abolition universelle de la gestation pour autrui. Il y a urgence : la GPA représente déjà un marché de 14 milliards de dollars à travers le monde.
Pour en venir à bout, Olivia Maurel ne ménage pas sa peine et court de sommet international en conférence sur les droits de l’homme. La vidéaste amateur qui racontait son quotidien en se filmant dans sa cuisine en train de préparer des gâteaux a troqué son jogging et ses baskets pour revêtir sa tenue du dimanche, afin de haranguer les assemblées où elle est invitée à la tribune : on la croise à son retour de Croatie, elle s’apprête à repartir pour Rome, où elle rencontrera le pape François ; puis ce sera Bruxelles, et les Nations unies… En France, elle a écrit à Élisabeth Borne pour la remercier de s’être engagée publiquement contre la GPA. Elle s’indigne en revanche que Bruno Le Maire, convaincu par un couple d’amis proche de lui, ait changé son fusil d’épaule sur le sujet. Elle rêve d’évoquer la question devant le président de la République, pour le convaincre de faire abolir la GPA, partout dans le monde.
A-t-elle seulement l’espoir d’y parvenir un jour ? «Je sais qu'on y arrivera et que dans quelques années on se demandera comment c'était possible de laisser des femmes être utilisées pour leurs capacités reproductives, comment c'était possible de contractualiser un être humain, un bébé dans ce cas. Il a fallu du temps aussi pour abolir l’esclavage !»
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Je suis née de GPA et je combats la GPA.
C’était une vidéo compliquée pour moi, une interview très difficile émotionnellement parlant.
Je remercie Rémy qui était le journaliste ce jour là. Il a été très patient et compréhensif.
🙏💫 https://t.co/TMJAjnoGvm
— Olivia Maurel (@maurel_olivia) March 25, 2024
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🇧🇪 1/ Suite à l’Avis n• 86 du Comité de Bioéthique de Belgique, les femmes s’organisent contre les tentatives de législations favorables à la gestation pour autrui (GPA)
2/ La Collective Women against Surrogacy Belgium, en collaboration avec la @CIAMS_Coalition et l’Université des Femmes, a émis une pétition contre cet Avis ?
3/ En plus de porter atteinte, de façon flagrante, aux droits des femmes et des enfants, cet Avis se fait le relais du marché qui cherche à développer la marchandisation et l’instrumentalisation du corps des femmes, ainsi que la réification des enfants.
4/ La critique exhaustive de l’Avis n•86 ⬇️
5/ 18 organisations féministes se sont associées pour affirmer leur ferme désaccord à l’encontre de cette pratique contraire à l’émancipation des femmes
@ENoMW @isalaasbl @Ellestournent @Femmes_de_droit @LeMSLF @MMM4Mothers @CECIF_ECICW @CFFB_asbl @SIEMPREngo @JumpEquality
6/📆 RDV ce jeudi 28 mars, à Bruxelles, pour le séminaire de réflexion féministe sur la GPA organisé à l’initiative de Women against Surrogacy Belgium, la CIAMS et l’Université des Femmes, à la Maison @amazone_be (en présentiel, possibilité de suivre en ligne) ⬇️
En présentiel, possibilité de suivre en ligne
7/ Nous aurons le plaisir de recevoir @maurel_olivia, née de GPA, pour nous parler de son vécu, de son expérience et de son engagement actuel contre la maternité de substitution
8/ A cette occasion, la pétition sera remise aux politiques présents, dont certains s’exprimeront sur la question suivante « L’approche politique de la GPA tient-elle compte des droits des femmes ? ».
@LeilaAgic @SophieRohonyi @VivTeitelbaum
Modératrice : @CWatillon