Quand les les chrétiens fêtent la Pentecôte ils lisent immanquablement le texte fameux de la descente du
Saint Esprit sur les apôtres, sous la forme de langues de feu. Ils suivront aussi les apôtres qui sortent de la maison où ils se terraient pour se mettre à parler à tous les gens rassemblés à
Jérusalem pour cette grande fête juive (Actes des Apôtres 2,1-11).
Mais très peu auront la curiosité de compter le nombre des peuples énumérés dans ce récit :
Parthes, Mèdes, Élamites, habitants de Mésopotamie, de Judée, de Cappadoce, du Pont, d'Asie, de Phrygie, de Pamphylie, d'Égypte, de cette partie de la Libye qui est proche de Cyrène,
Romains en résidence, Juifs, prosélytes, Crétois et Arabes.
Ces peuples, dont les ressortissants entendent dans leur propre langue ce que disent les
apôtres,
C’est le miracle dit de glossolalie, qu’on a assimilé à l’anti-Babel, la ville dont Dieu
brouilla les langues des habitants afin qu’il ne puissent pas construire une tour montant jusqu’au ciel (Genèse 11,1-9).
sont au nombre de 17.
Ces peuples, dont le texte dit qu’ils sont de toutes les nations qui sont sous le ciel,
sont donc clairement considérés comme représentant l’univers alors connu, comme le dit la note de la Bible de Jérusalem.
Ailleurs, dans l’évangile de Jean, qui est le seul à montrer Jésus qui souffle sur les apôtres en disant : recevez
l’Esprit Saint (Jean 20,22 ; c’est la Pentecôte selon Jean), on assiste au chapitre 21 à une apparition de Jésus ressuscité à ses apôtres et à une pêche miraculeuse où Pierre tire
le filet plein de gros poissons : 153 (Jean 21,11).
On a beaucoup glosé sur ces 153 poissons et on pensait même, dans les premiers siècles, qu’il s’agissait de
toutes les espèces de poissons alors connues. Mais saint Augustin – très finement – note dans son Traité sur l'Évangile de Saint Jean que 153 représente la somme de tous les nombres
compris entre 1 et 17.
1 + 2 + 3 + ... + 17 = 153. Il s’agit bien sûr des 17 premiers nombres entiers naturels.
La Bible de Jérusalem reprend en note cette idée, sans citer saint Augustin et en écrivant que 10
et 7 représentent la multitude et la totalité (j’aimerais assez qu’elle explique pourquoi !) ; en cela elle rejoint les commentaires des théologiens et exégètes, qui ne font que
suivre ce que disait saint Augustin : la conversion du genre humain (A. Loisy), la foule des croyants gagnés par la prédication apostolique (R. Bultmann), l'universalité (R.
Schnackenburg), la totalité des chrétiens de tous les temps et leur multitude (M.-É. Boismard), sans expliquer vraiment, eux non plus…
Le filet plein de poissons symboliserait l'Église universelle. Son intégrité figurerait l'unité de
l'Église : l'unité de l'Église sera préservée malgré le grand nombre de chrétiens qui en feront partie au cours des âges (voir Jn 17,11.22-23) (M.-É. Boismard).
Saint Augustin aurait pu dire, en langage mathématique, que 153 est le nombre triangulaire de
17,
La formule mathématique pour calculer le nombre triangulaire de l’entier n est :
n(n+1)/2. Pour 17 : 17x18/2, soit 153.
et les kabbalistes chrétiens diront que 153 est la gloire de 17.
En hébreu la gloire est kavod, de la racine verbale signifiant peser. La somme
des 17 premiers entiers est bien le poids total de 17… et la gloire de Dieu est bien une manifestation de son poids ; en langage djeune on pourrait dire que Dieu c’est du
lourd !
Mais on peut affiner ce que dit saint Augustin
Qui n’avait sans doute pas fait beaucoup d’hébreu ou avait presque tout oublié, volontairement ou
pas.
et noter que 17 est la valeur du mot hébreu tov,
tov s’écrit avec trois lettres - teth, vav et beith - qui sont
respectivement les 9e, 6eet 2e lettres de l’alphabet, la somme 9+6+2 étant égale à 17 (on parle de valeur en guematria du mot
tov).
qui signifie bon, bien : 153 est donc la gloire du bien, ce qui correspond
parfaitement à ce que dit saint Augustin, qui estime que seuls les bons ont été pêchés par les apôtres (qui ont jeté le filet à droite de la barque !).
C’est ainsi que les 17 peuples de la Pentecôte et les 153 poissons de l’évangile de Jean se
rejoignent dans la symbolique de la totalité de l’Univers de l’époque appelée à être sauvée par la mort et la résurrection de Jésus, le Christ…
Mais cette notion n’est sans doute pas tombée du ciel en Ac 2 ou en Jn 21 ; elle fait certainement
appel à une notion biblique beaucoup plus ancienne. Pour la trouver, on doit remonter aux sources, c’est-à-dire au récit de la Création du monde.
Ce récit commence par : dans un commencement Dieu créa le ciel et la terre, en hébreu :
ber’éshiyt bara’ ’élohiym ’et hashamaiym ve’et ha’arets,
Genèse 1,1.
où la somme des valeurs (rangs dans l’alphabet) des lettres de ber’éshiyt, dans un
commencement, a pour valeur 76.
Il se termine, le 7e jour, par : ki bo shavat mikal-mela’k heto
asher-bara’ ’élohiym la‘assot, qui signifie littéralement : car pour lui repos hors de tout l’ouvrage qu’il avait créé pour faire,
Genèse 2,3. On reconnaît en shavat, repos, un mot de la famille de
Shabbat.
où le dernier mot, la‘assot, pour faire, a pour valeur 77.
Le récit de la Création du début de la Genèse commence donc par un mot de valeur 76 et se termine
par un mot de valeur 77, les deux mots qui encadrent ce récit ayant donc pour valeur totale 153,
ber'éshiyt + la'assot = 76 + 77 = 153.
symbole de l’ensemble de la Création !
Les 153 poissons pêchés par les apôtres, gloire du nombre (17) des peuples appelés par eux à la Pentecôte,
symbolisent donc l’ensemble de la Création et les apôtres sont institués pêcheurs des êtres humains qui composent, non plus toute l’humanité de
l’époque, mais toute la création, depuis son origine !
On dépasse vertigineusement les bons sauvés de saint Augustin et les peuples présents à Jérusalem,
pour étendre à l’ensemble de la création l’annonce faite par les disciples de la mort et de la Résurrection de Jésus au fil des siècles, pour le salut de l’humanité tout entière, de toujours à
toujours : c’est cela la gloire du Bien !