Même dans la patrie du droit et de la démocratie, la liberté de conscience est en danger. C'est l'accusation sans précédent que les évêques lancent contre le président des États-Unis. Voici la lettre confidentielle dans laquelle ils expliquent pourquoi
Elle porte deux signatures : celle du cardinal Timothy M. Dolan, archevêque de New-York et président de l’USCCB (photo), et celle de l’évêque de Bridgeport, William E. Lori, président du comité pour la liberté religieuse.
Les deux prélats l’ont adressée, le 22 février dernier, à tous les évêques des États-Unis. De manière confidentielle. Mais en les invitant à en faire connaître le contenu à tous les fidèles.
On peut en lire ci-dessous le texte intégral.
Cette lettre leur a été inspirée par les règles publiées au mois de janvier par le ministère de la Santé, qui font obligation à toutes les institutions, y compris catholiques, de fournir à leurs employés un contrat d’assurance-santé qui s’appliquera même aux produits pharmaceutiques abortifs, à la stérilisation et à la contraception.
Ce n’est pas la première fois que les évêques affrontent l'administration Obama à propos de décisions concernant le ministère de la Santé, confié à la catholique "liberal" Kathleen Sebelius.
Mais, cette fois-ci, il s’agit d’un affrontement de bien plus grande portée. Selon les évêques, ce qui est aujourd’hui en danger, aux États-Unis, c’est tout simplement la liberté religieuse.
Parler de liberté religieuse, aux États-Unis, c’est toucher aux fondements mêmes de la nation. Les États-Unis sont nés justement au nom de la défense intégrale de la liberté religieuse des individus et des communautés contre tout pouvoir terrestre, à commencer par l’État.
Cette lettre peut donc surprendre les lecteurs européens, qui vivent dans des états qui se sont au contraire constitués pour défendre leur "laïcité" contre les "ingérences" des Églises, constamment soupçonnées et accusées d’envahir leur domaine.
C’est ce qui explique la prudence avec laquelle, en général, la hiérarchie catholique, en Europe, affronte les autorités civiles. Une prudence qui est d’autant plus évidente lorsqu’on la compare à la franchise avec laquelle, dans la société américaine, les communautés religieuses s’expriment dans la sphère publique et critiquent le pouvoir politique.
Dans la lettre, le cardinal Dolan et l’évêque Lori – qui n’est pas pour rien chargé précisément, à l’USCCB, des questions de liberté religieuse – expliquent clairement comment ils perçoivent ce dramatique enjeu.
Et ils donnent des indications en ce qui concerne la manière d’agir pour défendre concrètement la liberté de conscience qui est ainsi menacée. Il y a, sur le site web de l’USCCB, une partie où l’on peut trouver les lignes d’action de la campagne :
> Conscience Protection
"Nous continuerons jusqu’à ce que la protection du droit de conscience soit rétablie", a déclaré l’évêque Lori après le rejet au sénat, le 2 mars, par 51 voix contre 48, d’un amendement intitulé "Respect for Right of Conscience Act" qui avait été présenté par Roy Blunt, sénateur républicain du Missouri.
Traditionnellement, dans les différents pays, ce sont les nonces apostoliques qui effectuent des démarches confidentielles auprès des autorités politiques, pour mettre fin aux conflits.
Mais aux États-Unis, plus qu’ailleurs, ce sont les évêques qui interviennent directement et publiquement.
Et cela est encore plus vrai pour les évêques très "positifs" qui constituent aujourd’hui l'aile marchante de l'épiscopat américain, à commencer par l’archevêque de New-York.
Dolan est un cardinal sur lequel Benoît XVI lui-même compte beaucoup. C’est lui que le pape a chargé d’ouvrir, le 17 février, la journée "de réflexion et de prière" qui a réuni tous les cardinaux autour du pape, la veille du dernier consistoire.
Il suffit de lire le discours que Dolan a prononcé à cette occasion, pour comprendre que c’est un homme au caractère bien trempé :
> "We gather as missionaries, as evangelizers"
"JUSQU'À CE QUE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE SOIT RÉTABLIE..."
Le 22 février 2012
Chers frères dans l’épiscopat,
Depuis la dernière fois où nous vous avons écrit à propos des très grands efforts que nous faisons ensemble afin de protéger la liberté religieuse dans notre pays bien-aimé, vous avez été nombreux à nous demander de vous écrire encore une fois pour vous tenir informés de la situation et pour demander à nouveau l’assistance de tous les fidèles dans cette tâche si importante. Nous sommes heureux de le faire maintenant.
Tout d’abord, nous voulons vous dire, à vous et à tous nos sœurs et frères en Jésus-Christ, combien nous apprécions du fond du cœur le remarquable témoignage d’unité dans la foi et de force de conviction que vous avez donné au cours de ce dernier mois. Nous avons fait entendre nos voix et nous continuerons à le faire jusqu’à ce que la liberté religieuse soit rétablie.
Comme nous le savons, le ministère de la Santé et des services sociaux a annoncé, le 20 janvier, sa décision de publier des règles définitives qui contraindraient à peu près tous les employeurs, parmi lesquels un grand nombre d’institutions religieuses, à payer pour des produits pharmaceutiques abortifs, des stérilisations et des actes de contraception. Ces règles n’assureraient aucune protection à nos grandes institutions – telles que les organisations de charité catholiques, les hôpitaux, les universités – ou aux fidèles pris individuellement. Ces règles frappent au cœur notre droit fondamental à la liberté religieuse, ce qui affecte notre capacité à servir ceux qui ne font pas partie de notre communauté de foi.
Depuis le 20 janvier, la réaction a été immédiate et incessante. Nous nous sommes rassemblés - et nous avons été rejoints par des gens de toutes croyances et de toutes opinions politiques - pour rendre parfaitement clair ce point : nous sommes unis pour nous opposer à toute tentative de refuser ou d’affaiblir le droit à la liberté religieuse sur lequel notre pays a été fondé.
Le vendredi 10 février, l'Administration a publié les règles définitives. Pour reprendre ses propres termes, elles ont été confirmées "sans changement". L'obligation de fournir les prestations illicites est maintenue. L'exemption extrêmement restreinte qui est accordée aux églises est maintenue. En dépit de la vague de protestations, toutes les menaces contre la liberté religieuse créées par les règles initiales sont maintenues.
La liberté religieuse est un droit fondamental pour tous. Ce droit ne dépend pas de la décision de l’accorder qui serait prise par quelque gouvernement que ce soit : c’est un don de Dieu et les sociétés justes en reconnaissent et en respectent le libre exercice. Le libre exercice de la religion va bien au-delà de la liberté de culte. Il interdit également au gouvernement de contraindre des individus ou des groupes à violer leurs convictions religieuses les plus profondes et d’interférer dans les affaires internes des organisations religieuses.
Des actes récents de l'Administration ont cherché à réduire ce libre exercice à un "privilège" arbitrairement accordé par le gouvernement, comme une simple exemption par rapport à une forme globale et extrême de sécularisme. L'exemption est trop étroitement délimitée, parce qu’elle n’exempte pas la plupart des employeurs religieux à but non lucratif, les assureurs affiliés à des organismes religieux, les employeurs auto-assurés, ou d’autres entreprises privées possédées et gérées par des personnes qui refusent à juste titre de payer pour des produits pharmaceutiques abortifs, pour des stérilisations et pour des contraceptions. Et puisqu’elle n’est instituée que par un coup de tête du pouvoir exécutif, cette exemption excessivement restreinte peut elle-même être supprimée facilement.
Aux États-Unis, la liberté religieuse ne dépend pas de la bienveillance de ceux qui nous gouvernent. Elle est notre "première liberté" et le respect que l’on a pour elle doit être large et inclusif, et non pas étroit et exclusif. Les catholiques et les autres croyants de bonne volonté ne sont pas des citoyens de seconde zone. Et ce n’est pas au gouvernement de décider lequel de nos ministères est "suffisamment religieux" pour justifier la protection de la liberté religieuse.
Tout cela n’est pas qu’une question de contraception, de produits pharmaceutiques abortifs et de stérilisation, même si tout le monde doit reconnaître qu’il y a de l’injustice à les inclure dans un programme de protection sanitaire obligatoire pour tous. Ce n’est pas une question de républicains ou de démocrates, de conservateurs ou de "liberal". C’est une question de gens qui ont la foi. C’est d’abord et avant tout une question de liberté religieuse pour tout le monde. Si le gouvernement peut, par exemple, dire aux catholiques qu’ils ne peuvent pas agir aujourd’hui dans le domaine des assurances sans violer leurs convictions religieuses, comment cela va-t-il finir ? C’est une violation des limites constitutionnelles fixées à notre gouvernement et des droits fondamentaux sur lesquels notre pays a été fondé.
Il reste encore beaucoup à faire. Nous ne pouvons pas rester inactifs face à une menace aussi grave contre la liberté religieuse pour laquelle nos parents et nos grands-parents se sont battus. En ce moment de l’histoire, nous devons travailler activement pour défendre la liberté religieuse et pour faire disparaître tout ce qui menace la pratique de notre foi dans le domaine public. C’est notre patrimoine en tant qu’Américains. Le président Obama doit abroger la loi ou, à tout le moins, prendre des mesures complètes et efficaces pour protéger la liberté religieuse et la conscience.
Avant tout, chers frères, nous comptons sur l’aide du Seigneur dans ce combat important. Nous avons tous le devoir d’agir maintenant, en prenant contact avec nos législateurs pour soutenir la loi sur le respect des droits de la conscience, ce qui peut être fait en utilisant l’appel qui se trouve sur le site www.usccb.org/conscience.
Nous vous invitons à partager le contenu de cette lettre avec les fidèles de votre diocèse, sous les formes ou par les moyens qui vous paraîtront les plus efficaces. Continuons à prier pour qu’il soit mis fin rapidement et complètement à cette menace et à toutes les autres qui pèsent sur la liberté religieuse et sur la pratique de notre foi dans notre grand pays.
Timothy Cardinal Dolan
Archevêque de New-York
Président de la conférence des évêques catholiques des États-Unis
William E. Lori
Évêque de Bridgeport
Président du comité "ad hoc" pour la liberté religieuse
À propos des évêques "positifs", qui constituent aujourd’hui l'aile marchante de l'épiscopat américain, et de leur manière de concevoir la religion dans la société, l’un d’eux est l'archevêque de Los Angeles, José H. Gómez :
> Les États-Unis redécouvrent leur langue maternelle: le latin (13.9.2011)
Et un autre est l’archevêque de Philadelphie (précédemment évêque de Denver), Charles J. Chaput :
> La doctrine du catholique Kennedy? À oublier (2.3.2010)
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.