Faisons d’abord les présentations. Le roi de l’Evangile, c’est Dieu le Père. Il prépare un repas pour son Fils, un repas de noce. Ce repas est décrit dans la 1e lecture comme un repas de joie au temps messianique, car ce n’est pas seulement Israël, ce sont tous les peuples qui y sont invités. Le voile de tristesse qui enveloppait les païens est déchiré : tout ce qui pourrait rendre triste – même la mort – a disparu. Il ne demeure aucune ombre dans cette image de l’Ancien Testament.
L’image du Nouveau Testament, par contre, comporte bien des zones d’ombre. Demandons-nous d’abord quel est ce repas que Dieu le Père prépare pour son Fils. C’est un repas de noce, ce que l’Apocalypse appelle le « repas des noces de l’Agneau » (Ap. 19, 7 ; 21, 9ss.). L’Agneau, c’est le Fils, qui consomme son union avec son Epouse-Eglise sur la Croix, mais aussi dans son Eucharistie.
Les Pères aimaient voir dans le Baptême du Christ les fiançailles du Christ et de son Eglise. Ce jour-là, l’Ami de l’Epoux lui présente ses premiers disciples. Mais ces fiançailles s’achèvent aux noces de Cana qui, le septième jour, préfigurent le jour de sa Résurrection et déjà le Ciel. Le Baptême évoque le bain purificateur, premier rite du mariage dans l’Antiquité. Cana évoque l’entrée dans la chambre nuptiale, la consommation finale. Toute la vie de l’Eglise est comme résumée en cette semaine qui s’écoule du Jourdain à Cana.
Or, la tradition chrétienne a toujours, et dès l’origine, interprété Cana dans un sens eucharistique. Dans la célébration eucharistique, le Père organise une fête :
« Voilà, mon repas est prêt. », fait-il proclamer, « venez au repas de noce ».
Dans la prière eucharistique, l’Eglise rend grâce au Père pour son cadeau le plus grand : son Fils, sous les apparences du pain et du vin. Cette action de grâce émane de l’Eglise qui, justement par ce repas, devient Epouse. Le Père donne ce qu’il a de meilleur, et il n’a rien d’autre à donner. Celui ou celle qui méprise ce don, ne peut plus rien espérer d’autre. Il se condamne lui-même, il est voué à la mort.
Ensuite il nous est montré qu’il y a deux manières de refuser l’invitation : ne pas y répondre (n’en faire aucun cas), et y participer, mais de manière indigne. Saint Matthieu relie ces deux manières de se rendre indigne de ce don suprême. La première manière, c’est l’indifférence : les invités ne font aucun cas de la grâce qui leur est offerte ; ils ont autre chose à faire, oh des choses honorables, pas des activités honteuses, mais des choses plus importantes à leurs yeux que de répondre à l’invitation du roi.
Dieu, qui a conclu une Alliance avec l’humanité, ne peut rester de marbre devant un tel mépris pour son invitation. Tout comme, dans l’Ancien Testament, Jérémie devait annoncer la destruction de Jérusalem, de même S. Matthieu prophétise la fin définitive de la Ville Sainte. Elle sera, en effet, réduite à la ruine et à la poussière par les Romains.
La deuxième manière de se rendre indigne consiste dans une tout autre forme d’indifférence : celle de l’homme qui se rend à l’invitation de l’Eucharistie, mais comme s’il entrait dans un bistrot. A quoi bon revêtir des vêtements de fête ? Le roi peut déjà être content de voir que je me suis dérangé, que je pratique encore, que je fais l’effort de quitter ma chaise pour aller prendre ce morceau de pain dans ma bouche.
Cet homme se fait interpeller : avez-vous la moindre notion du fait qu’en venant à la messe, vous participez à la plus belle fête du Roi de l’Univers, que vous mangez les mets les plus délicats que Lui seul peut vous offrir ?
« L’autre garda le silence. »
Dehors, il aura le temps de méditer ce à côté de quoi il est passé par son arrogance.
Dieu nous fait un cadeau d’une valeur inestimable. A nous d’apprendre à donner aux autres sans avarice et sans calcul mesquin.
Dans la 2e lecture, S. Paul se réjouit du fait que les chrétiens de la ville de Philippe aient compris cela. Il ne se réjouit pas tant à cause des cadeaux qu’il reçoit d’eux, que de ce que la communauté de Philippe ait appris à donner. C’est dans ce partage des chrétiens avec lui que le sens de l’Eucharistie s’accomplit.
Nous aussi, nous ne pourrons jamais assez remercier le Seigneur pour ses dons. Mais la meilleure façon de le faire, celle qui le réjouit le plus, c’est qu’à notre tour, nous nous laissions animer par l’Esprit-Don, en le traduisant, en l’incarnant dans nos actes.