... Cette mondanité qui ovudrait aménager la Croix en transat, Jésus l'assimile à l'enfer même. Ici, selon ses propres termes, ce qui est des hommes est aussi ce qui est de Satan. Et nous voici face à un mystère inscrutable : ce qui est satanique, en l'occurence, ce n'est plus seulement de conduire à la Croix, c'est de l'empêcher ; ce n'est plus seulement la cruauté du bourreau, c'est la compassion du sentimental. Et cette compassion fausse peut correspondre à la cruauté la pire, car, avec ses mille caresses, elle fait manquer la vraie Vie. On en peut tirer cette conclusion très probable : dans sa double science, le démon cherche autant à faire assassiner le Christ qu'à le faire aimer de la mauvaise manière. En le protégeant contre cette atroce humiliation par laquelle il sauvera les hommes, il pourrait le faire proclamer roi temporel d'Israël. Il rassemble donc les foules autour de lui, le fait acclamer comme thaumaturge, poursuivre comme zélote victorieux, admirer comme le plus grand sage de ce monde. Commentant l'allégorie de la Caverne, Heidegger note que la façon contemporaine de mettre à mort le philosophe, c'est de le rendre célèbre. Rien de plus efficace pour effacer le sage que d'en faire un people, rien de mieux non plus pour éclipser son étoile que de le médiatiser en star. Sa parole une fois débitée en slogans qu'on serine de bouche en bouche, il n'y a plus rien à craindre. Elle ne met plus à la question, elle contribue au bavardage. Qui sait si cette renommée fondée sur le malentendu n'est pas une des premières visées du diable ? Et qui sait si certains pseudo-apôtres, de nos jours, n'en restent pas à cette foi-là ?