16, 12. J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent.
Le Seigneur aurait encore beaucoup à dire sur sa vie éternelle auprès du Père, sur la raison de sa venue dans le monde, sur sa passion proche et son retour dans la Trinité. Et il aurait tout autant à dire sur ce qui lui advient maintenant et sur ce qui lui arrivera dans sa passion, en tant qu'homme et en tant que Fils du Père, dont la mission devient de plus en plus urgente et universelle. Et tout cela dépassera de loin les événements extérieurs et visibles : l'arrestation, les interrogatoires, la flagellation, le crucifiement ... toutes choses qui se passent totalement dans la sphère du Père, dans ces mystères de Dieu, dont les disciples actuellement ne se doutent même pas.
En ce moment, le Fils a une vision totale de son œuvre. Il voit exactement ce qu'il a réalisé jusqu'ici, il peut l'évaluer dans sa portée éternelle; et il voit tout autant ce qui est sur le point d'arriver. Dans cette vision du passé et de l'avenir se situe toute l'actualité de sa mission. En tant qu'homme, il lui faudrait parler avec ses disciples de cette mission et de tout ce qui est imminent afin de les y préparer, pas seulement pour qu'ils en profitent le plus possible, mais aussi pour obtenir d'eux une certaine aide dans l'accomplissement de sa mission. En tant qu'homme, il voudrait les initier plus profondément aux desseins de Dieu, en vertu de leur communauté d'amour. Mais il doit renoncer à cette aide. Ils ne sont pas encore en état de comprendre sa mission. Ils ne sont même pas capables d'assumer leur tâche, et combien moins encore la sienne! Mais il faut au moins qu'ils sachent que tout ce qu'il leur a dit jusqu'ici concernant son rôle de Fils ne peut être considéré que comme des allusions. Il leur en a donné tout juste quelques aperçus adaptés à leur capacité; ils peuvent déjà leur paraître immenses. Mais dans l'optique du Seigneur, ce n'étaient là que des allusions bien modestes.
Dans ce qu'il y aurait encore à dire sont compris tous les mystères. Le mystère de sa séparation du Père, de sa naissance, de sa jeunesse, de ses activités, de l'institution des sacrements, de sa passion et de sa rédemption. Tous ces mystères dont ils ne connaissent que l'ébauche, chaque fois qu'ils se rapprochent d'eux deviennent plus démesurés et béants. En outre : jusqu'ici il a donné à ses discours une teneur générale. Ce qu'il a dit aux uns concernait tout autant les autres. En leur parlant, il a .souvent mis en évidence l'un d'eux, mais en pensant toujours à tous. Et ce qu'il a en tête actuellement, ce qu'il aurait à dire, c'est une révélation adressée à chacun individuellement, révélation qui ne serait communicable à la foule qu'après avoir été donnée à chacun et accueillie par chacun. Dans ce sens, il se pourrait que l'un fût mûr et disposé pour une des vérités et un autre pour une autre. Mais il ne veut pas faire ce choix pendant les discours de sa vie terrestre. Il ne commencera que sur la croix, pour continuer au ciel.
Dans toutes les paroles personnelles du Seigneur adressées à un individu particulier, dans tout ce qu'on peut appeler lumière personnelle et révélation privée, il y a toujours deux aspects: quelque chose que l'on peut communiquer et qu'il faut transmettre, et quelque chose qui demeure personnel et est incommunicable. Cela touche tellement au mystère entre le Seigneur et l'individu que cela ne peut être transposé dans un langage général. Toute révélation privée possède ces deux faces : l'une tournée vers l'Eglise et destinée à être diffusée, et une autre qui n'est communicable qu'indirectement, par la vie transformée de celui qui la reçoit, mais qui, comme parole, reste un secret entre Dieu et l'âme. Cela ne veut pas dire que cette deuxième face indéterminable est purement privée et sans aucun lien avec la mission. Au contraire, elle exerce une influence aussi forte que la parole révélée et la mission de l'annoncer: c'est l'existence de la foi de celui qui a été interpellé, existence qui demeure inexprimable,parce qu'elle est grâce du Seigneur, et qui pourtant est la chose proprement efficace. Par cette existence n'est toutefois touché, dans l'entourage et dans l'Eglise, que celui qui croit déjà ou qui tout au moins a déjà été touché par la grâce du Seigneur. Un autre ne verrait cela que du dehors, peut être verrait-il un homme « enthousiaste », « éveillé », «religieux », mais il n'y reconnaîtrait jamais une personne touchée par la parole de Dieu. Le croyant, par contre, peut avoir été touché lui-même par le Seigneur, mais il a besoin d'en rencontrer d'autres qui le sont aussi, afin d'être encore touché à nouveau et de pouvoir réaliser les lumières reçues. De tout cela, le Seigneur ne peut rien dire en ce moment, parce qu'il n'a encore jamais parlé personnellement de cette manière avec un individu particulier.