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Publié par Walter Covens


   
    Si le matérialisme dialectique qui inspirait les démocraties populaires a cessé d'exercer une influence déterminante, le matérialisme mercantile des démocraties pluralistes est encore triomphant.

    Pourtant, les choses bougent aussi à l'Ouest. Les Etats-Unis sont en train de faire une révolution culturelle inspirée par des chrétiens, protestants et catholiques. Cela se dit ou s'écrit peu ou pas en France, car ce mouvement s'est inscrit dans le retour des républicains aux affaires et a trouvé son soutien dans le président Bush. Or sa croisade, teintée de millénarisme contre l'islam, suscite aussi des questions éthiques. Son messianisme démocratique et sa bonne conscience protestante s'inscrivent dans une logique qui n'est pas celle de l'Église. Cependant, tout laisse penser que le renversement de l'opinion américaine sur la question du respect de la vie dépasse le clivage de la vie politique américaine entre républicains et démocrates.

    Sans entrer dans tous les détails de l'histoire récente de l'Église et de la société américaine depuis les années 1970, nous devons reconnaître que la démocratie américaine et les démocraties européennes évoluent différemment.

    L'Amérique est plus libérale que nous. L'ultralibéralisme y a droit de cité. Les libertariens sont presque tous américains ou inspirés par des universitaires américains. Dans le domaine de la permissivité, l'Amérique du Nord, États-Unis et Canada, nous ont devancés. Dès les années 1950-1960, l'influence de Kinsley a été déterminante sur l'évolution de la législation américaine. C'est pourquoi il est d'autant plus intéressant d'examiner comment a évolué l'opinion américaine depuis les années 1980 sous l'influence d'une minorité chrétienne qui a refusé le compromis avec le libéralisme éthique.

    En 1975, la France vote la loi Veil. A peu près au même moment, la Cour suprême rend le fameux arrêt Roe vs Wade. Celui-ci affirme que l'avortement relève du privacy act et, à ce titre, ne peut pas être interdit par des États fédérés. L'arrêt revenait, comme en France à la même époque, à légaliser l'avortement. Depuis ce jour, les neuf juges de la Cour suprême étaient majoritairement favorables à l'avortement. Les deux nominations que George Bush a réalisées à la Cour suprême en 2005 renversent cette majorité. Sa décision, approuvée par plus de 50 % des Américains, est une étape majeure dans la bataille que se livrent, aux États-Unis, les pro-choice et les pro-life. Elle fait suite à trente ans de combat culturel et politique, au terme desquels l'opinion américaine a évolué à l'instar de la Cour suprême.

    En effet, alors qu'en France le sujet est devenu tabou, la conférence épiscopale américaine, dès 1975, s'est dotée d'un « plan pastoral pour les actions en faveur de la vie ». Dans ce plan, révisé en 2001, on peut lire: « Les décisions concernant l'avortement prises par la Cour suprême doivent être inversées (reversed). »

    Pragmatiques, les catholiques américains n'en sont pas restés au niveau des déclarations de principe. Un véritable dispositif officiel a été mis en place. Chaque paroisse a été invitée à créer un comité provie en lien avec le comité provie diocésain. Ces comités ont pour objectif d'informer et de former au respect de la vie, de la conception à la sénescence, mais aussi de protéger et de soutenir spirituellement, psychologiquement et matériellement les jeunes femmes enceintes tentées par l' avortement. Fortement encouragée par les évêques, l'association Prêtres pour la vie compte aujourd'hui quarante-deux salariés.

    On ne compte plus les prises de positions de l'épiscopat américain dans cette bataille. Par exemple, celle de Mgr Willam K/.Weigard au cours de son homélie dans la cathédrale de Sacramento du 22 janvier 2003 : il vise le gouverneur de la Californie, Gray Davis, qui s'affirme catholique et proavortement. A son propos, Mgr Weigand déclare, conformément à ce que demande Jean-Paul II dans son encyclique Ecclesia de Eucharistia (avril 2003 et n° 36 du Catéchisme de l'Église catholiqite) : «Ceux qui approuvent l'avortement doivent s'abstenir de recevoir la Sainte Communion jusqu'à la conversion de leur cœur. » Une admonestation publique impensable en France, mais qui est devenue presque banale aux Etats-Unis, comme le montre la lettre pastorale adressée aux fidèles du diocèse de La Crosse par Mgr Leon Burke (Liberté politique, n° 25, mars 2004, p. 145-153) ou le communiqué de Mgr Alfred Hughes, archevêque de La Nouvelle­Orléans, ou encore l'interdiction faite par Mgr James P. Keleher, archevêque de Kansas City, à ses diocésains d'inviter des pro avortement à faire des conférences dans son diocèse, ou l'intervention de Mgr Michael J. Sheridan de Colorado Springs, interdisant à ses diocésains de voter pour des politiciens pro-avortement. Toutes ces décisions et toutes ces interventions sont dans la ligne de l' enseignement de Jean-Paul II, de Benoît XVI et de ce que demande le cardinal Francis Arinze, préfet de la Congrégation pour le culte divin : « Les politiciens qui favorisent l'avortement ne doivent pas communier et le prêtre doit leur refuser la communion» (Zenit, 23 avril 2004).

    Cet engagement de la hiérarchie américaine aux côtés des Églises évangélistes depuis trente ans a permis de marquer des points importants dans la bataille culturelle pour le respect de la vie. La nomination de John J. Roberts, en renversant la majorité pro avortement à la Cour suprême, pourrait dans les temps qui viennent traduire les progrès de l'opinion américaine en faveur d'une culture de vie sur le plan juridique.

    Le résultat, nous le connaissons : outre-Atlantique, les questions éthiques sont au cœur du débat politique ; en France, il demeure toujours malvenu de les évoquer. Ni la conférence épiscopale française ni aucun évêque français, à notre connaissance, n'a pris publiquement des positions comparables à l'épiscopat américain, et le débat sur le Téléthon en décembre 2006 a montré combien les points de vue diffèrent pour les catholiques français.

    C'est pourtant à cet engagement auquel nous appelle l'Église universelle.

    Les dissidents de l'Est et les militants américains démontrent qu'il est possible, contrairement à l'opinion courante en France, de changer la pensée dominante. Pas plus que le communisme n'était inscrit dans le sens de l'histoire, l'évolution des démocraties vers un système de plus en plus permissif n'est inéluctable, à condition que les chrétiens, soutenus par leur hiérarchie, s'engagent clairement comme l'a fait une partie de l'épiscopat américain.

L'engagement des chrétiens en politique, doctrine, enjeux, stratégie, Éd. Privat 2007, p. 153-156
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