566 Les tâches de responsabilité dans les institutions sociales et politiques exigent un engagement sérieux et articulé, qui sache mettre en évidence, par les réflexions apportées au débat politique, par la programmation et les choix opérationnels, la nécessité absolue d'une qualification morale de la vie sociale et politique. Une attention inadéquate à la dimension morale conduit à la déshumanisation de la vie en société et des institutions sociales et politiques, en consolidant les « structures de péché »: « Vivre et agir en politique conformément à sa conscience ne revient pas à se plier à des positions étrangères à l'engagement politique ou à une forme de confessionnalisme; mais c'est l'expression par laquelle les chrétiens apportent une contribution cohérente pour que, à travers la politique, s'instaure un ordre social plus juste et conforme à la dignité de la personne
humaine ».
567 Dans le contexte de l'engagement politique du fidèle laïc, il faut accorder un soin particulier à la préparation en vue de l'exercice du pouvoir que les croyants doivent assumer, spécialement quand ils sont appelés à cette charge par la confiance des concitoyens, selon les règles démocratiques. Ils doivent apprécier le système de la démocratie — « qui assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants, ou de les remplacer de manière pacifique lorsque cela s'avère opportun » — et repousser des groupes occultes de pouvoir qui visent à conditionner ou à subvertir le fonctionnement des institutions légitimes. L'exercice de l'autorité doit assumer le caractère de service, qu'il faut toujours accomplir dans le cadre de la loi morale pour la réalisation du bien commun: celui qui exerce l'autorité politique doit faire converger les énergies de tous les citoyens vers cet objectif, non sous forme autoritaire, mais en se prévalant de la force morale alimentée par la liberté.
568 Le fidèle laïc est appelé à discerner, dans les situations politiques concrètes, les pas qu'il est possible d'accomplir de façon réaliste pour mettre en pratique les principes et les valeurs morales propres à la vie sociale. Ceci exige une méthode de discernement personnel et communautaire, articulée autour de certains points nodaux: la connaissance des situations, analysées avec l'aide des sciences sociales et des instruments adéquats; la réflexion systématique sur les réalités, à la lumière du message immuable de l'Évangile et de l'enseignement social de l'Église; le discernement des choix tendant à faire évoluer positivement la situation présente. De la profondeur de l'écoute et de l'interprétation de la réalité peuvent naître des choix opérationnels concrets et efficaces; toutefois, il ne faut jamais leur attribuer une valeur absolue, car aucun problème ne peut être résolu de façon définitive: « La foi n'a jamais prétendu enfermer les éléments socio-politiques dans un cadre rigide, ayant conscience que la dimension historique dans laquelle vit l'homme impose de tenir compte de situations imparfaites et souvent en rapide mutation ».
569 Une situation emblématique pour l'exercice du discernement est le fonctionnement du système démocratique conçu aujourd'hui par beaucoup dans une perspective agnostique et relativiste, qui conduit à considérer la vérité comme un produit déterminé par la majorité et conditionné par les équilibres politiques. Dans un tel contexte, le discernement est particulièrement exigeant quand il s'exerce dans des domaines comme l'objectivité et l'exactitude des informations, la recherche scientifique ou les choix économiques qui influent sur la vie des plus pauvres, ou dans des réalités qui renvoient à des exigences morales fondamentales auxquelles il est impossible de renoncer, comme la sacralité de la vie, l'indissolubilité du mariage, la promotion de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme.
Dans cette situation, certains critères fondamentaux se révèlent utiles: la distinction et en même temps le lien entre l'ordre légal et l'ordre moral; la fidélité à sa propre identité et, en même temps, la disponibilité au dialogue avec tous; la nécessité que, dans le jugement et dans l'engagement social, le chrétien se réfère à la fidélité, triple et indissociable, aux valeurs naturelles, en respectant l'autonomie légitime des réalités temporelles, aux valeurs morales, en promouvant la conscience de la dimension éthique intrinsèque de chaque problème social et politique, et aux valeurs surnaturelles, en accomplissant sa tache dans l'esprit de l'Évangile de Jésus-Christ.
570 Lorsque, dans des domaines et des situations qui renvoient à des exigences éthiques fondamentales, des choix législatifs et politiques contraires aux valeurs et aux principes chrétiens sont proposés ou effectués, le Magistère enseigne que « la conscience chrétienne bien formée ne permet à personne d'encourager par son vote la mise en œuvre d'un programme politique ou d'une loi dans lesquels le contenu fondamental de la foi et de la morale serait évincé par la présentation de propositions différentes de ce contenu ou opposées à lui».
Dans le cas où il n'aurait pas été possible de conjurer la mise en œuvre de ces programmes politiques ou d'empêcher ou d'abroger ces lois, le Magistère enseigne qu'un parlementaire, dont l'opposition personnelle absolue en la matière serait manifeste et connue de tous, pourrait licitement offrir son soutien à des propositions visant à limiter les dommages causés par ces programmes et par ces lois et à diminuer les effets négatifs sur le plan de la culture et de la moralité publique. À cet égard, le cas d'une loi favorable à l'avortement est emblématique. Son vote, dans tous les cas, ne peut pas être interprété comme l'adhésion à une loi inique, mais seulement comme une contribution pour réduire les conséquences négatives d'une mesure législative dont l'entière responsabilité remonte à celui qui l'a introduite.
Il faut tenir compte de ce que, face aux multiples situations où sont en jeu des exigences morales fondamentales et incontournables, le témoignage chrétien doit être considéré comme un devoir auquel on ne peut se soustraire et qui peut aller jusqu'au sacrifice de la vie, au martyre, au nom de la charité et de la dignité humaine. L'histoire de vingt siècles, notamment celle du dernier, est riche en martyrs de la vérité chrétienne, témoins de foi, d'espérance et de charité évangéliques. Le martyre est le témoignage de la conformation personnelle à Jésus crucifié, qui s'exprime jusqu'à la forme suprême consistant à verser son sang, selon l'enseignement évangélique: « Si le grain de blé tombé en terre (...) meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).