LETTRE AUX ÉVÊQUES DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE
SUR LA COLLABORATION DE L'HOMME ET DE LA FEMME
DANS L'ÉGLISE ET DANS LE MONDE
INTRODUCTION
1. Experte en humanité, l'Église s'est toujours intéressée à ce qui concerne l'homme et la femme. Ces derniers temps, on a beaucoup réfléchi sur la dignité de la femme, sur ses droits et ses devoirs dans divers secteurs de la vie sociale et ecclésiale. Ayant contribué à l'approfondissement de ce thème fondamental, en particulier par l'enseignement du Pape Jean-Paul II, (1) l'Église est aujourd'hui interpellée par certains courants de pensée dont bien souvent les thèses ne coïncident pas avec les perspectives authentiques de la promotion de la femme.
Après une brève présentation et une évaluation critique de certaines conceptions anthropologiques contemporaines, le présent document entend proposer des réflexions inspirées par les données doctrinales de l'anthropologie biblique — indispensables pour protéger l'identité de la personne humaine — sur certains présupposés d'une conception correcte de la collaboration active de l'homme et de la femme dans l'Église et dans le monde, dans la reconnaissance de leurs différences. D'autre part, ces réflexions entendent être un point de départ d'une démarche d'approfondissement au sein même de l'Église et instaurer un dialogue avec les hommes et les femmes de bonne volonté, dans la recherche sincère de la vérité et en vue d'un engagement commun pour tisser des relations toujours plus authentiques.
I. LE PROBLÈME
2. Ces dernières années, on a vu s'affirmer des tendances nouvelles pour affronter la question de la femme. Une première tendance souligne fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation. La femme, pour être elle-même, s'érige en rival de l'homme. Aux abus de pouvoir, elle répond par une stratégie de recherche du pouvoir. Ce processus conduit à une rivalité entre les sexes, dans laquelle l'identité et le rôle de l'un se réalisent aux dépens de l'autre, avec pour résultat d'introduire dans l'anthropologie une confusion délétère, dont les conséquences les plus immédiates et les plus néfastes se retrouvent dans la structure de la famille.
Une deuxième tendance apparaît dans le sillage de la première. Pour éviter toute suprématie de l'un ou l'autre sexe, on tend à gommer leurs différences, considérées comme de simples effets d'un conditionnement historique et culturel. Dans ce nivelage, la différence corporelle, appelée sexe, est minimisée, tandis que la dimension purement culturelle, appelée genre, est soulignée au maximum et considérée comme primordiale. L'occultation de la différence ou de la dualité des sexes a des conséquences énormes à divers niveaux. Une telle anthropologie, qui entendait favoriser des visées égalitaires pour la femme en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré en réalité des idéologies qui promeuvent par exemple la mise en question de la famille, de par nature bi-parentale, c'est-à-dire composée d'un père et d'une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l'homosexualité et de l'hétérosexualité, un modèle nouveau de sexualité polymorphe.
3. La racine immédiate de cette tendance se trouve dans le cadre de la question de la femme, mais sa motivation la plus profonde doit être recherchée dans la tentative de la personne humaine de se libérer de ses conditionnements biologiques. (2) Selon cette perspective anthropologique, la nature humaine n'aurait pas en elle-même des caractéristiques qui s'imposeraient de manière absolue: chaque personne pourrait ou devrait se déterminer selon son bon vouloir, dès lors qu'elle serait libre de toute prédétermination liée à sa constitution essentielle.
Une telle perspective a de multiples conséquences. Elle renforce tout d'abord l'idée que la libération de la femme implique une critique des Saintes Écritures, qui véhiculeraient une conception patriarcale de Dieu, entretenue par une culture essentiellement machiste. En deuxième lieu, cette tendance considérerait comme sans importance et sans influence le fait que le Fils de Dieu ait assumé la nature humaine dans sa forme masculine.
4. Face à ces courants de pensée, l'Église, éclairée par la foi en Jésus Christ, parle plutôt d'une collaboration active entre l'homme et la femme, précisément dans la reconnaissance de leur différence elle-même.
Pour mieux comprendre le fondement, le sens et les conséquences de cette réponse, il convient de revenir, ne fut-ce que brièvement, à la Sainte Écriture, riche aussi de sagesse humaine, dans laquelle cette réponse s'est manifestée progressivement grâce à l'intervention de Dieu en faveur de l'humanité. (3)
1 Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Familiaris consortio (22 novembre 1981): AAS 74 (1982), pp.81-191, La Documentation catholique 79 (1982), pp.1-37; Lettre apost. Mulieris dignitatem (15 août 1988): AAS 80 (1988), pp.1653-1729; La Documentation catholique 85 (1988), pp.1063-1100; Lettre aux Familles (2 février 1994): AAS 86 (1994), pp.868-925; La Documentation catholique 91 (1994), pp.251-277; Lettre aux Femmes (29 juin 1995): AAS 87 (1995), pp.803-912; La Documentation catholique 92 (1995), pp.717-722; Catechesi sull'amore umano (1979-1984): Insegnamenti II (1979) - VII (1984): Le corps le cœur et l'esprit. À l'image de Dieu. Homme et Femme. Une lecture de Genèse 1-3, Paris, Cerf (1983) et Le corps le cœur et l'esprit. À l'image de Dieu. Homme et Femme. Une lecture de Matthieu 5, 27-28, Paris, Cerf (1984). Congrégation pour l'Éducation catholique, Orientations éducatives sur l'amour humain. Traits d'éducation sexuelle (1er novembre 1983): Ench. Vat. 9, pp.420-456; La Documentation catholique 81 (1984), pp.16-29. Conseil pontifical pour la Famille, Vérité et signification de la sexualité humaine. Des orientations pour l'éducation en famille (8 décembre 1995): Ench. Vat. 14, pp.2008-2077; La Documentation catholique 93 (1996), pp.207-235.
2 Sur la question complexe du genre (gender), voir aussi Conseil pontifical pour la Famille, Famille, mariage et «unions de fait» (21 novembre 2000), n.8: La Documentation catholique 98 (2001), pp.163-164.
3 Cf. Jean-Paul II, Encycl. Fides et ratio (14 septembre 1998), n.21: AAS 91 (1999), p.22; La Documentation catholique 95 (1998), p.909: «Cette ouverture au mystère, qui lui venait de la Révélation, a finalement été pour lui la source d'une vraie connaissance, qui a permis à sa raison de s'engager dans des domaines infinis, ce qui lui donnait une possibilité de compréhension jusqu'alors inespérée».