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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Père André Manaranche, Des idées courtes sur la conversion chrétienne (2)

Publié par Walter Covens sur 13 Mars 2007, 20:34pm

Catégories : #la vache qui rumine (Années B - C)

LA CONVERSION ATTEINDRAIT D'ABORD LES IDÉES

    Se convertir, dit-on, c'est devenir bien-pensant à force de bien penser. Pas davantage. Pas d'abord. Comprends ­moi bien ami: je ne suis absolument pas un anti-intellectuel, qui mépriserait le rôle de l'intelligence dans la foi; ce serait cette hérésie subtile qu'on appelle «fidéisme» comme si la foi ne se basait que sur elle-même. Mais je constate deux choses: d'abord que bien des gens cherchent sans réussir à trouver, ensuite  que des gens trouvent sans avoir cherché. C'est ce que Paul (Rom 10, 20), citant Isaïe (65, 1), fait dire à Dieu:  «J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis manifesté à ceux qui ne m'interrogeaient pas».

    D'ailleurs, à supposer même que les gens cherchent, le Dieu de Jésus-Christ ne leur apparaît pas comme le fruit de leur enquête, comme une déduction de leur philosophie: il se donne à eux comme un événement tout-à-fait inattendu, que les évangiles nomment le Royaume: «Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche», disent Jésus (Mt 4, 17) et avant lui Jean-Baptiste (Mt 3, 2). Dans le bouillonnement des idées les plus contradictoires ou même les plus probables, le converti ne pousse pas un «Eurêka» triomphant, qui le laisserait à la hauteur de ses débats: il se trouve haussé au plan personnel, qui est celui d'une rencontre inespérée, d'une rencontre jubilante. «Et voici que vous être Quelqu’un tout-à-coup», s'écrie le jeune Claudel de 18 ans, un après-midi de Noël à Notre-Dame de Paris. C'est un tel événement que l'abbé Huvelin provoque en Charles de Foucauld quand il lui dit, d'une voix chaude et ferme: «Mettez-vous à genoux, confessez-vous, vous croirez». C'était la même année 1886, deux mois avant, à Saint-­Augustin.

    L'esprit fonctionnait bien avant, depuis quatre ans, chez le futur ermite du Sahara, mais il ne débouchait sur rien. L'esprit ne fonctionna qu'après chez le jeune poète, ami de Rimbaud. Il nous le dit lui-même avec beaucoup de simplicité:

Car mes convictions philosophiques étaient entières. Dieu les avait laissées dédaigneusement où elles étaient, je ne voyais rien à y changer... L'édifice de mes opinions et de mes connaissances restait debout et je n'y voyais aucun défaut. Il était seulement arrivé que j'en étais sorti.

    Claudel se voit alors comme «un homme qu'on arracherait d'un seul coup de sa peau pour le planter dans un corps étranger». Il lui faut donc croire à ce qui lui demeure répugnant. Ce ne sera point sans qu'il livre une belle défense, une lutte loyale: «cette résistance a duré quatre ans», avoue-t-il. La conversion dispense donc pas l'homme de raisonner, mais elle lui donne un être nouveau pour réfléchir. Il n'affronte plus telle opinion à telle opinion, mais les opinions à l'événement. Il se bat avec un cœur nouveau, qui n'est pas préservé de saigner, mais qui est armé pour le combat. Dieu s’impose doucement, Dieu se dit en se donnant, il se dit comme il se donne. Ce qui vient à bout des idées adverses, c’est une présence. Point d’étude qui puisse se dispenser de la prière.

    En prison depuis huit mois, aidé par son avocat et par son aumônier, le jeune Jacques Fesch, 24 ans, commençait à régler ses comptes avec Anatole France et autres incroyants, et déjà les objections fondaient comme neige au soleil; mais rien ne se produisait, aucune démarche concrète, aucun ébranlement.

Je n'avais plus, écrivait-il, la certitude de l'inexistence de Dieu, je devenais réceptif sans pourtant avoir la foi, j'essayais de croire par la raison sans prier, ou si peu .

    C'était l'impasse : il ne concluait à rien. Et puis tout-à­coup, il apprend la trahison d'un être cher, et c'est comme un coup de poignard en plein cœur.

C'est alors qu'un cri jaillit de ma poitrine, un appel au secours: 'Mon Dieu!', et instantanément, comme un vent violent qui passe sans qu’on sache d’où il vient, l'Esprit du Seigneur me prit à la gorge ... C'est une impression de force infinie et de douceur qu'on ne pourrait supporter trop longtemps. Et, à partir de ce moment-là, j'ai cru, avec une conviction inébranlable qui ne m'a pas quitté depuis (Journal Spirituel, 3 août 1954).

    Jacques a découvert, dans l'expérience d'une infidélité humaine, l'absolue Fidélité du Dieu d'amour. Il n'a pas conclu à l'existence de l'Etre Suprême: il s'est trouvé blotti contre un Cœur, pour toujours; un Cœur qui est venu à lui et qu'il n’aurait jamais senti battre autrement. Il a accédé à cette qualité chrétienne du Divin. Il n'a pas pour autant cessé de réfléchir, mais il a réfléchi de plus haut, Dieu l'ayant dispensé du reste. Dans les trois années qui lui restent à vivre avant son exécution, il a fait des lectures, mais des lectures positives, pour éclairer l'événement et pour vivre chrétiennement là où il en était de sa vie.

    Je te dis cela, ami, car tu as peut-être essayé de résoudre tes questions religieuses en faisant le tour des boutiques, dans le souk du sacré. Tu as regardé, senti, pesé, évalué. Tu as tout soumis à ton jugement, mais comme un voyeur, comme un touriste, comme un collectionneur. Tu as sans doute conclu que tout a de la valeur. Tu t'es construit alors un petit musée pour abriter tes trouvailles. Mais tu n'as rencontré personne: tu es finalement demeuré l'arbitre du débat, sans t'engager toi-même. Tu t'en es trouvé intelligent, mais à distance.

    Tu t'es senti enrichi de trésors spirituels en ta possession, alors que l'attitude juste serait de t'appauvrir, de te dépouiller. Réfléchis: que peut bien valoir un Absolu qui t'appartiendrait, dont tu serais le détenteur? N'est-­ce pas contradictoire dans les termes? Qui doit pouvoir l'emporter sur l'autre? Est-ce toi qui possèdes des vérités, ou est-ce la Vérité qui te possède? Est-ce à toi d'asservir le divin pour tes besoins personnels, ou est-ce à l'Amour de te prier d'être son serviteur ? Ne mets-tu pas les choses à l'envers, complètement, toi, Jean-Philippe qui m'écris: «Je ne vois pas en quoi Dieu me serait nécessaire?» ; et toi, Stéphane, qui fais toutes les épiceries du sacré pour te trouver un dieu à ta convenance, curieux de préférence?

    Toute la Bible est là pour nous le rappeler : c’est Dieu qui aime le premier, c'est Dieu qui cherche l'homme et lui dit, dès l'abord: «Adam, où es-tu?» (Gen 3, 9). Comme l'a dit le théologien orthodoxe Paul Evdokimov, toutes les religions se ressemblent parce que, chez elle , c'est l'homme qui se met en frais pour atteindre Dieu par ses propres moyens, et qui l'imagine donc d'après ses besoins les mêmes. Le Judéo-christianisme, lui seul, est original, parce qu'il renverse le mouvement: pour lui, ce n'est pas l'homme qui dresse son échelle, c'est Dieu qui descend vers la terre. «Heureux sommes-nous, Israël: ce qui plaît à Dieu nous fut révélé!» (Bar 4, 4). Or, ce qui plaît à Dieu, ce n'est pas recevoir, c’est de donner. La Révélation est une entreprise qu'il entend manœuvrer lui-même. La conversion, c'est avant tout de le laisser remettre les choses à l'endroit: «Ce n’est pas toi qui, c’est Moi qui», nous dit-il. Les deux Testaments sont pleins de  formules de ce type: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est Moi qui vous ai choisis» (Jn 15, 16). «Ce n'est pas moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi» (Gal 2, 20). «Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est Lui qui nous a aimés» (1 Jn 4, 10). Là se trouve le critère de la vérité: il est dans le Don. Vérifie, et tu verras que religions et mystique sont essentiellement allergiques à la grâce. Elles camouflent, sans y parvenir, une extraordinaire volonté de puissance: par le rite, par la méthode, par la technique, par le savoir, elles n'ont d'autre but que de s'emparer du divin, du divin tel qu'elles le conçoivent et tel qu'elles veulent l'utiliser.

    La conversion, c'est l'accueil du gratuit. Et l'accueil du gratuit se fait dans la rencontre. «Qu'as-tu que tu n'aies reçu?» (1Cor 4,7). Tu ne dois jamais sortir de là. Méfie-toi: s'il est des façons grossières de chercher à s'emparer de l'énergie divine, comme la magie, il est des façons subtiles qui ne valent pas plus cher: ce sont toutes ces méthodes de méditation qui entendent forcer la main du Donateur. Méfie-toi de ces manières, qui sont d'ailleurs vouées à l'échec, car on ne violente pas l'Absolu, surtout pas l'Amour absolu. L'idole, dans la Bible, ce n'est pas seulement le faux dieu: c'est la relation fausse au divin, la manipulation du sacré, le déclenchement automatique du bienfait désiré; c'est finalement le contournement de l'Amour, d'un Amour qu'il serait trop aléatoire de prier. Là est l’erreur, et cette erreur, chez les prophètes, suscite l'indignation de Yahweh, car elle conduit à douter de lui, à le prendre pour ce qu'il n'est pas: un distributeur mécanique qui ne fonctionne pas au sentiment mais à la pièce de monnaie. Prends garde à ne pas oublier le premier moment de ta conversion, où n'existe aucun marchandage. Vérifie soigneusement, de halte en halte, que ta vie spirituelle est structurée par le don, tout comme la vie trinitaire elle-même. C'est ainsi que tu pourras en aider d'autres qui s'égarent dans des tentatives décevantes: tellement décevantes que, parfois, ils se vouent autant au dieu qu'au diable, pour obtenir un résultat à tout prix. Et ils en viennent à se détruire.

Premiers pas dans l'amour, Éd. Le Sarment Fayard, Coll. Lumière Vérité 1988, p. 26-31
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