Dernièrement, on a pu observer un cas d’école avec avec l’affaire de la laryngo-trachéite aigüe qui conduisit le pape à l’hôpital Gemelli. La plupart des journaux s’en sont pris, d’une même voix, à la communication officielle rassurante du Vatican. D’excellents confrères ont même perdu leur sang-froid. Quand la machine médiatique est en marche sur tous les continents, rien ne peut l’arrêter. Vous devez prendre votre mal en patience et laisser passer.
Lorsque la machine sera passée, alors vous serez de nouveau audible. Pour communiquer, il faut toujours choisir son heure. Mais, sans hésiter, par la suite, à s’expliquer. Ou, si nécessaire, à rendre les coups. Quand elle a reçu un soufflet, il me semble que l’Eglise a trop souvent tendance à tendre l’autre joue, avant de se réfugier dans le silence de la repentance. Elle ne perdrait rien à interpeller de temps en temps les médias ou à les mettre en face de leur responsabilité.
Oui, ce que nous attendons de vous aussi, c’est que vous n’ayez pas peur de nous. Cessez de nous ménager. Demandez-nous des comptes. Questionnez-nous. Grattez là où ça fait mal : la commercialisation de l’information ; la mainmise de grands groupes industriels sur les médias ; l’espèce de neutralité froide affichée par les médias devant l’horreur du monde.
Comme beaucoup de journalistes, j’ai aimé que le texte Aetatis Novae, rédigé par la commission pontificale des moyens de communications sociales, ait dénoncé, en son temps, la montée des monopoles, la dictature de l’audimat ou la loi de l’argent. Il n’y a pas si longtemps, Jean-Paul II a eu raison de réclamer, que « les hommes et les femmes des médias prennent pleinement part à la destruction des murs de haine de notre monde, murs qui séparent les peuples et les nations les uns des autres, alimentant l’incompréhension et la méfiance ». J’ai encore approuvé le Saint Père quand, lundi dernier, il a demandé aux médias de « rapporter les événements de manière précise et véridique, en donnant voix aux diverses opinions. »
Rien n’interdit l’Eglise d’admonester régulièrement les médias de la sorte. Je pense même qu’elle ne le fait pas suffisamment. Il est clair qu’elle souffre vis-à-vis d’eux d’un « complexe d’infériorité », pour reprendre l’expression de Mgr Martini. Elle n’ose pas leur dire leur fait.
N’en doutez pas : une Eglise prudente, compassée ou calculatrice ne sera jamais respectée par les médias. La meilleure communication est celle qui vient du fond du coeur. Pour être bien entendu, vous devez être vous-même, avec vos contradictions : engagés dans votre époque, partout où les humains souffrent, et en même temps enracinés dans les siècles, sans chercher à être à la page.
Tel est le dilemme de l’Eglise : être ici et ailleurs. Vous n’êtes pas obligé de répondre au premier coup de sifflet de l’animateur de télévision qui vous placera entre une prostituée reconvertie dans la chanson et un champion de football drogué avant de vous demander de répondre en dix secondes, pas une de plus, à sa question rituelle : « Et Dieu dans tout ça ? » Mais vous devez témoigner partout où on a besoin de vous, sous peine de donner raison à Julien Green qui écrivait, révolté : « Il est effrayant de voir à quel point le catholicisme dérange peu la vie des hommes. »
Voilà pourquoi l’Eglise ne doit pas s’interdire d’entrer, quand il le faut, dans la mêlée médiatique ni de se faire inviter sur les plateaux de télévision pour affronter les critiques. Même si on est en droit de le regretter, il n’y a pas de meilleur moyen pour parler au monde, aujourd’hui.
Trop longtemps, l’Eglise a récusé la liberté de la presse, « la plus funeste », selon l’encyclique Mirari vos de 1832, au temps de Grégoire XVI. « Une liberté exécrable, d’après cette encyclique, et pour laquelle on n’éprouvera jamais assez d’horreur ». Dieu merci, le discours du Vatican a changé depuis. Même si le clergé semble souvent mal à l’aise avec cette liberté.
L’Eglise doit être partout. Dans les bidonvilles, au milieu des catastrophes, parmi les damnés de la terre, et aussi sur le petit écran. Il ne s’agit pas, pour elle, d’être de son temps. Il lui faut déranger son temps. Je vous en supplie, dérangez-nous, dérangez le monde.
C’est tout le bonheur que je nous souhaite.