Supportant mal ces imprécisions, les fidèles se sont empressés de dire qu’ils étaient trois, sous prétexte qu’ils apportent trois présents, mais on peut être deux ou dix mille pour offrir de l’or, de l’encens et de la myrrhe. On leur a même donné des noms et, pour copier les trois mousquetaires, un roman n’a pas hésité à leur adjoindre un quatrième compagnon ! Comme nul ne sait ce qu’est un mage et puisque les cadeaux étaient somptueux, on en a fait des rois... Mais voilà... ils ne sont ni rois, ni trois. L’Evangile dit seulement : "des mages". Ils viennent d’Orient, l’endroit où la lumière paraît, où elle encore petite. Peut-être sont-ils astrologues ? En tout cas, ils observent les étoiles et aiment cette science qui vient du fond des âges et semble être la mère de toutes les autres.
Marcher vers la lumière
Par le lever de cet astre, Dieu indique que le monde et l’histoire ont un centre. Les mages arrivent dans la capitale de la Terre Promise pour demander au peuple élu où est son Roi. L’arrivée des fils d’étrangers à Jérusalem nous rappelle l’explosion de joie du livre d’Isaïe. C’est la première lecture de la fête de l’Epiphanie : "Debout, Jérusalem ! Resplendis ; elle est venue ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi... Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore... Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens et proclamant les louanges du Seigneur." Jérusalem ne brille que parce que la lumière est venue et que la gloire s’est levée sur elle. Ce n’est pas elle qui attire, mais sa lumière, celle que Dieu, par grâce, fait resplendir en elle.
La démarche des mages est pleine de beauté et force. Ils ont vu et ils sont venus. Entre ces deux verbes, il faut en sous-entendre un troisième : ils ont cru. Lorsque Dieu nous permet d’entrevoir quelque chose, l’adhésion de l’intelligence conduit à la foi. C’est une énergie intérieure, un mélange de force, de volonté et d’amour qui nous met en chemin. Les mages nous donnent une illustration de la belle maxime de D. Bonhoeffer : "Il ne suffit pas d’être croyant, il faut encore être disciple." Celui qui croit, se lève, veut écouter et suivre le Maître, et le terme de son parcours sera l’adoration de la source de toute sagesse. "Nous sommes venus nous prosterner devant lui."
Affronter les ténèbres
Puis notre prière se trouble et s’égare dans l’obscurité, devant la figure d’Hérode jaloux de ses prérogatives, et qui semble dire : "On demande le roi, mais le roi, c’est moi !" Le conflit sera mortel. Sur son parcours, le déploiement de ce péché entraînera les autres : il a peur et tout Jérusalem avec lui. Les conséquences sont connues : hypocrisie, volonté de puissance, massacre...
C’est à ce moment du récit que l’Ancien Testament est cité dans le prophète Michée. Pris d’inquiétude, le roi Hérode rassemble tous les chefs des prêtres et les tous les scribes d’Israël, pour leur demander où doit naître le Messie. Ils lui répondent : "A Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple" (5, 1).
La révélation que Dieu a faite à son peuple, cautionnée par tous les chefs des prêtres et par tous les scribes d’Israël – interprètes autorisés des prophètes - , servira la perversité des desseins du roi ; et sa colère se déchaînera en rage meurtrière contre les enfants, au moment même où la bonté du Père atteint son sommet. Le texte semble souligner le contraste entre la réunion solennelle des sages et des savants, et la convocation secrète des mages. Faut-il craindre que dans les ténèbres du cœur d’un seul homme, le projet d‘amour de Dieu pour tout un peuple puisse être mis en échec ? L’histoire du XXè siècle a été tristement éclairante en ce domaine.
Trouver la joie
Notre joie revient ensuite, grâce à l’étoile consolatrice. Qu’elle nous aide à faire mémoire des visites de Dieu dans nos vies ! Rendons grâce pour les personnes et les événements qui ont été pour nous comme l’étoile des mages. Guidée par Dieu, elle ne fait qu’indiquer le lieu de notre renaissance, de notre conversion, de notre rencontre décisive avec le Messie. Elle apparaît et disparaît. Elle sollicite nos facultés personnelles, et, reconnue pour ce qu’elle est, elle provoque en nous une très grande joie. Est-il possible d’atteindre le bien du salut sans se laisser guider par elle ?
Constatons, sans répondre en théorie, que c’est elle ici qui permet aux Mages d’arriver à bon port. Grâce à elle, toutes les hésitations de l’homme disparaissent. Elle conduit jusqu’à la porte du Royaume celui qui cherche avec droiture.
L’Evangile nous invite ensuite à pénétrer avec les mages dans la maison. Profitons de tout ce qui s’offre au regard : les attitudes et les gestes des mages, exprimés en une cascade de verbes : ils entrent, ils voient, ils tombent à genoux et se prosternent, ils ouvrent leurs coffrets et offrent leurs présents... Les cadeaux sont symboliques, dit la tradition : l’or indique la royauté, l’encens la prière adressée à l’Enfant-Dieu, et la myrrhe, son immortalité. Les conséquences sont faciles à tirer : humilité, adoration, offrande, ouverture de tout notre être devant Dieu...
Que se passe-t-il dans le cœur de Marie, quand elle voit entrer ces personnages étonnants ? Rien de particulier, me semble-t-il, aucune surprise. Ce n’est plus comme l’irruption de l’ange Gabriel, à Nazareth ; tout est devenu naturel pour elle. Elle sait bien que la royauté n’est pas dans ces mages fastueux, mais dans la chair fragile de l’enfant qu’elle tient dans ses bras. Depuis plus de six mois, elle chante que Dieu renverse les potentats de leurs trône et élève les humbles. Elle voit ce que font les hommes, elle entend ce qu’ils disent, mais elle sait désormais que toute sa vie a été saisie, qu’elle est dans la main de Dieu.
Poursuivre la route
Au terme de ce temps de la Nativité, lorsque nous passons en revue tout ce qui a été vécu depuis Noël : la venue des anges et des bergers, l’hommage du monde entier à cet enfant dans le prosternement des mages, les regards et les gestes de tendresse de Joseph et de Marie reflétant l’infini de l’amour trinitaire, comment ne pas se représenter ces familles de Bethléem où d’autres enfants, aimés, vont mourir sur l’ordre féroce d’Hérode… Comment ne pas penser que l’histoire se poursuit malheureusement, vingt siècles plus tard, sur cette Terre Sainte qui n’arrive pas à trouver la paix ? Comment ne pas évoquer aussi les absents, ceux à qui justement la naissance du Messie est destinée : les chefs des prêtres et les scribes du peuple élu. Ils ne sont pas venus. On ne les a pas vus.
Et moi, en ce temps de Noël, m’a-t-on vu devant la crèche, me suis-je prosterné devant l’Enfant-Dieu dans l’adoration silencieuse ? Dieu se servira peut-être de moi, comme d’une étoile, pour indiquer la présence du Messie aux hommes de ce temps, mais il faut d’abord suivre le chemin des mages et imiter leur attitude : savoir se prosterner devant l’enfant Dieu, ouvrir les coffrets, tout ouvrir, même ce qui est le plus secret, le plus scellé, ce qui est merveilleux comme ce qui fait honte. Puis s’offrir soi-même comme toute la vie du Christ fut une offrande pour l’amour des hommes. "Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire."
Gloria et Pax, c’est le grand message de Noël. Que nos vies soient disponibles pour la gloire de Dieu, et il fera de nous des artisans de paix ! Il rendra son peuple semblable à une foule d’étoiles qui se lèvent devant le regard attentif des mages du XXIe siècle pour leur donner la joie, la très grande joie de se mettre en route et de découvrir enfin le Prince de la Paix.
(25/12/2003)