Et puis, pour la fin du monde, vous avez vu la grande imagerie apocalytique évoquée pour signifier les événements qui sont incomparablement plus importants, plus denses, plus décisifs que les images employées pour les désigner. On prend les grandes orgues pour dire ces choses-là, mais c'est en dessus de toute la voix des grandes orgues; c'est le drame de l'esprit, en face de son Créateur, qui aura dit "oui", ou qui aura dit "non"; c'est incomparablement supérieur à toutes les descriptions cosmiques.
La fin du monde, quelle est la date? "Quant à ce Jour-là et à cette Heure-là..." (Mc 3, 32). "Jour" et "Heure" avec majuscules. Le Jour de Yahvé! Il y a eu toute l'histoire du monde pendant laquelle Il a regardé la trajectoire de son peuple, l'aventure de son peuple, et puis Il l'attend au bout du chemin. Qu'est-ce qui arrivera au bout du chemin? Ce qui se trouve dans le coeur de chacun explosera, sera révélé; ou: la lumière, et le oui, et l'amour; ou: le non, le refus et la haine.
"Quant à la date de ce jour, ou à l'heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, personne que le Père seul" (Mt 24, 36). Cette heure, Jésus ne veut pas la révéler. Il y a même dans saint Marc: "Personne, si ce n'est le Père, par même le Fils ne la connaît" (Mc 13, 32). Alors cela va poser une question: - Est-ce que cela veut dire que Jésus ignorait la date de la fin du monde? Certainement pas. Comme Dieu, il la savait, et il est envoyé pour préparer cette date qui doit être la date suprême. Voilà la réponse que donnent la Tradition, les Pères grecs, et qui est reprise admirablement par Bossuet dans ses "Méditations sur l'Évangile". Il questionne à la manière de saint Augustin: "Mais, Seigneur,, que voulez-vous dire de cette date que personne ne connaît?"
La réponse, elle est donnée par un texte qui se trouve au commencement des Actes des Apôtres: Jésus est avec les disciples - c'est un peu avant l'Ascension - et les disciples le voient ressuscité, et ils pensent que cela va être maintenant l'explosion générale du monde dans la lumière. Le Sauveur lui-même, qui était mort, enseveli, est maintenant ressuscité, tout va suivre. Non, tout ne va pas suivre. Lui montera au ciel, et nous, nous aurons à continuer sa vie de pélerin, son voyage. Il a été un roi crucifié, nous aurons un royaume crucifié, jusqu'au jour de la fin des temps. Alors, au moment où les apôtres lui posent la question: - Quand cela arrivera-t-il? C'est au prologue des Actes des Apôtres, versets 6 et 7: "Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas restaurer la royauté en Israël? Jésus répond: - Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa seule autorité." C'est au moment où il va partir pour l'Ascension. Il sait bien ces moments, lui, mais il n'a pas à les dire. Ce n'est pas dans la corbeille des choses qu'il a à leur dire. C'est cela la réponse.
On pourrait donner une autre réponse, en disant qu'il y a en Jésus la science divine, bien sûr, qui est la science bienheureuse, dans laquelle il voyait dans la lumière de la divinité se refléter tout le cours de l'histoire du monde; mais il y a une science expérimentale de Jésus, acquise avec son entourage. Le petit Jésus venant au monde a commencé à voir les couleurs, à sentir le chaud et le froid; il a regardé autour de lui, il a été éduqué par les contacs heureux ou douloureux avec le monde, avec les hommes, les travaux des hommes, les réponses des hommes. Toutes ces choses-là ont formé en lui ce que saint Thomas appelle: une science expérimentale, une science acquise, qui a grandi toujours, jusqu'au moment de la mort. "Il a été obéissant jusqu'à la mort" (Ph 2, 8) "et il a appris ce que c'était qu'obéir" (He 4, 8) jusqu'au moment de la mort sur la croix. Il y a un science expérimentale en Jésus, qui a toujours grandi, et de cette science espériementale, il ne connaissait pas la date de la fin du monde. Il la connaissait par une science supérieure. Alors, ou bien il a parlé en se mettant sur le plan de cette science, qui est celle des propres créatures, et à ce moment-là il pouvait dire que personne ne la savait, même pas lui, en tant qu'il parlait sur ce plan-là; ou bien alors, il la savait même sur ce plan-là, par une révélation, seulement elle n'était pas dans la corbeille des choses à leur livrer.
Alors dans cette grande fresque de la fin du monde, l'apocalypse synoptique, gardez cela: la perspective juive était: tout viendra d'un seul coup. La réalité est: non, il y aura d'abord une première venue du Sauveur pour sauver le monde, et puis une seconde venue pour venir à la rencontre du monde. La première venue du Sauveur marque une immense catastrophe de l'ancienne Alliance, l'inauguration d'une nouvelle Alliance. La catastrophe sera la ruine de Jérusalem, en l'an soixante-dix, avec les signes précurseurs: l'invasion des armées romaines. Et la fin du monde, ce sera la refonte de l'univers tout entier, quelque chose d'absolument inimaginable, et dont la date nous restera toujours cachée.
du 16 octobre 1971 au 18 mars 1972 sur l'Apocalypse de saint Jean