Un des piliers caractéristiques de la foi catholique est la foi en l’incarnation1. L’incarnation est la doctrine selon laquelle Dieu, pour sauver le monde déchu, s’est fait homme. Jésus Christ, comme nous le proclamons chaque semaine dans le Credo, est vrai homme et vrai Dieu. Il est le fils de la Vierge Marie et le Fils du Père éternel.
Avant ce jour mémorable, il y a deux mille ans, quand l’ange Gabriel visita la Bienheureuse Vierge Marie et qu’elle conçut du Saint Esprit, Dieu paraissait lointain. Il était celui qui gouverne l’univers et veille sur la famille humaine, mais comme à distance. Bien sûr, il avait envoyé des prophètes en Israël, en guidant particulièrement le Peuple élu de l’Ancien Testament. Mais quand la deuxième Personne de la Très Sainte Trinité se fit homme dans le sein de la Vierge Marie, ce fut le début d’une ère nouvelle. C’est la raison pour laquelle nous datons les évènements de l’histoire de l’humanité selon qu’ils ont eu lieu avant ou après Jésus Christ.
Par son Incarnation, Dieu s’est rendu activement présent dans sa création. Même les anciens mythes de divinités qui entrent en relation avec les hommes n’ont jamais pu concevoir que le seul vrai Dieu, Créateur de toutes choses, ait aimé le monde au point de s’incarner, se faisant l’un des nôtres, pour qu’il puisse prendre un sourd-muet par la main, l’emmener à l’écart, loin de la foule, lui toucher la langue et les oreilles, et – d’une manière si humaine, physique – le guérir, accomplissant ainsi les merveilleuses prophéties que nous avons entendues dans la première lecture… Jamais personne n’avait pu imaginer que Dieu irait jusqu’à se salir pour nous purifier. Voilà la foi chrétienne, voilà la vision catholique, merveilleuse et unique, de Dieu.
Cette activité aimante incessante de Dieu dans le monde, construisant son Royaume et nous guidant dans la voie du salut, nous permet de répondre à une objection courante à la foi chrétienne. Dès les temps apostoliques, l’Eglise a été accusée de tellement attirer l’attention des hommes sur le ciel, que les chrétiens en deviennent inutiles sur la terre. Rien n’est plus éloigné de la vérité ! Notre Dieu est un Dieu actif, incarné, et de ce fait, ses disciples aussi. Pensez à saint Grégoire le Grand, dont nous venons de faire mémoire, ou, plus près de nous, saint Jean Paul II, ou la bienheureuse Mère Teresa...
Le 17 septembre nous ferons mémoire de saint Robert Bellarmin, qui fut cardinal dans la première partie du 17ème siècle. Sa vie témoigne clairement du fait que notre foi en Jésus Christ, bien loin de les saper, libère toutes les potentialités humaines. Saint Robert apprit à maîtriser toutes les langues anciennes durant son temps libre, il enseigna presque tous les sujets abordés dans les universités de l’époque. Il écrivit deux catéchismes qui furent traduits dans presqu’autant de langues que la Bible elle-même. Ses « Controverses » sur la foi catholique furent un bestseller international durant toute la durée de sa vie. Il fut Recteur du Collège Romain (l’institut théologique le plus éminent de l’époque), théologien personnel de deux papes, à la tête de la Bibliothèque du Vatican, membre de pratiquement toutes les congrégations romaines, auteur prolifique de pamphlets pour défendre la vraie foi contre les bruyants détracteurs de l’Ecosse jusqu’à Venise, de Paris jusque Palerme. Pour compléter le programme, il entreprit diverses missions diplomatiques au nom de l’Eglise, fut Provincial des Jésuites, passa trois années entières à appliquer les réformes du Concile de Trente dans l’archidiocèse de Capoue (1602-1605), s’y montrant un pasteur exemplaire, et exerça la fonction de directeur spirituel des Jésuites à Rome. Il pourrait bien être le candidat idéal pour devenir le saint patron de la gestion du temps. Sans aucun doute, son infatigable activité dans l’Eglise trouva sa source dans et fut le reflet de l’amour actif qui a poussé Dieu à s’incarner pour nous conduire au salut.
Voilà pourquoi nous pouvons être certains que le découragement ne provient jamais du Saint Esprit. Pour un catholique, l’espérance n’est pas un rêve, mais une réalité. Ceci est important pour nous de deux manières.
Premièrement, au regard de notre combat spirituel. Souvent, nous avons l’impression de stagner spirituellement, d’être incapable de faire des progrès, de surmonter des défauts ou des habitudes de péché. Nous risquons alors de sombrer dans le découragement. C’est exactement ce que cherche le démon, car le découragement nous amène à rendre les armes, à ne plus faire aucun effort pour suivre le Christ, pour prier et pour pratiquer l’ascèse. C’est le moment que le diable attend pour nous faire chuter gravement, nous entraînant dans une relation ou une activité peccamineuse qui fait obstacle au flux de la grâce de Dieu dans et au travers de notre vie. C’est la raison pour laquelle, quand nous entendons le découragement frapper à la porte de notre cœur, quand nous avons l’impression de faire du « sur place » dans notre vie spirituelle, nous devons laisser Jésus nous prendre par la main, loin de la foule, pour nous renouveler intérieurement. Cela peut vouloir dire faire une retraite ou un pèlerinage, ou simplement prendre plus de temps de silence pour être avec le Seigneur…
Deuxièmement, la présence active de Dieu dans le monde nous remplit d’une espérance sans bornes pour les autres. Aucun pécheur n’est trop endurci pour être transformé par l’amour miséricordieux du Christ. Les plus grands pécheurs deviennent souvent de grands saints. Même si quelqu’un semble être sourd à la Parole de Vie et incapable de répondre aux motions intérieures du Saint Esprit, notre confiance ne doit jamais en être ébranlée, car Jésus est celui qui « fait entendre les sourds et parler les muets ».
En poursuivant cette Eucharistie, renouvelons notre confiance en ce Dieu qui s’est fait chair, et qui agit dans le monde. Permettons-lui de toucher nos cœurs blessés, et prions pour ceux qui ne prient plus depuis longtemps.