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Publié par Walter Covens

La loi de l’incognito

       Si le " pour " doit être considéré comme le principe décisif de l’existence humaine et si, rejoignant le principe de l’amour, il constitue avec celui-ci la véritable manifestation du divin dans le monde, une autre conséquence encore apparaît. En effet, l’altérité de Dieu, que l’homme peut déjà conjecturer par lui-même, devient alors altérité totale ; il devient totalement impossible de connaître et de reconnaître Dieu. Car le caractère mystérieux et caché de Dieu, que l’homme pourrait prévoir, revêt alors la forme scandaleuse, tangible et visible d’un Crucifié. En d’autres termes : Dieu, le premier, l’alpha du monde apparaît alors comme l’oméga, la dernière lettre de l’alphabet de la création, comme la moindre des créatures. À ce propos, Luther parle du Dieu caché " sub contrario ", c’est-à-dire dans ce qui paraît être le contraire de Dieu. Il souligne ainsi l’originalité de la théologie négative chrétienne, résultant de la croix, par rapport à la théologie négative de la pensée philosophique. Déjà la philosophie, la simple réflexion de l’homme sur Dieu, découvre que Dieu est le Tout-Autre, essentiellement caché et incomparable. " Nos yeux sont faibles comme les yeux du hibou en face de ce qui est en soi la clarté suprême " disait Aristote. À partir de la foi en Jésus-Christ, nous répondrons : de fait, Dieu est le Tout-Autre, l’invisible, l’inconnaissable. Mais lorsqu’il s’est présenté ainsi tout-autre, invisible quant à sa nature divine, inconnaissable, ce ne fut pas le genre d’altérité et d’étrangeté que nous avions attendu et escompté, au point qu’il demeura en fait inconnu. Mais n’est-ce pas justement là qu’il apparaît alors réellement comme le Tout-Autre, qui bouscule nos prévisions d’altérité et se révèle par là le seul qui soit authentiquement tout autre ?

       Dans ce sens, on peut retrouver continuellement, à travers toute la Bible, des exemples des deux manières dont Dieu se manifeste dans le monde. Il se révèle tout d’abord dans la puissance cosmique. L’immensité, le logos du monde qui dépasse et en même temps englobe toute pensée humaine, renvoie à Lui, dont la pensée constitue ce monde ; à Lui devant qui les nations sont " comme des gouttes au bord d’un seau ", " comme des grains de poussière dans la balance " (Is 40, 15). L’univers témoigne réellement de son Créateur. Quelle que soit notre répugnance à l’égard des preuves de l’existence de Dieu, quelles que soient les objections que la réflexion philosophique peut à bon droit opposer aux différents arguments, il n’en est pas moins vrai qu’à travers le monde et sa structure intelligible transparaît la Pensée primordiale avec sa puissance créatrice.

       Mais ce n’est là qu’une des manières dont Dieu apparaît dans le monde. L’autre signe qu’il s’est constitué et qui, en le voilant davantage, révèle avec plus de vérité ce qui fait son être propre, c’est le signe de la petitesse, qui du point de vue cosmique et quantitatif est tout à fait insignifiant, presqu’un pur néant. Il faudrait ainsi parler de la série : terre – Israël – Nazareth – Croix – Église, où Dieu semble disparaître de plus en plus, et où précisément il apparaît de plus en plus dans son être véritable. Il y a d’abord la terre, un néant dans le cosmos, qui doit être le lieu de l’action de Dieu dans le cosmos. Il y a Israël, un néant parmi les puissances, qui doit être le lieu de son apparition dans le monde. Il y a Nazareth, encore un néant à l’intérieur d’Israël, qui doit être le lieu de sa venue définitive dans le monde. Il y a ensuite la croix, à laquelle un homme est suspendu, une existence ratée, et ce doit être le lieu où l’on peut littéralement toucher Dieu. Il y a enfin l’Église, produit équivoque de notre histoire et qui prétend être le lieu permanent de sa révélation. Nous ne savons que trop aujourd’hui combien la proximité de Dieu demeure cachée en elle. C’est précisément là où, dans le faste princier de la Renaissance, l’Église croyait pouvoir se défaire de ce caractère mystérieux et caché, et être directement " porte du ciel " et " maison de Dieu ", qu’elle est devenue encore une fois et plus qu’auparavant, l’incognito de Dieu, dont on avait peine à discerner la présence derrière tout cela. Ce qui est insignifiant au point de vue cosmique et terrestre représente ainsi le véritable signe de Dieu, dans lequel se manifeste le Tout-Autre que, par rapport à nos prévisions, nous sommes toujours encore incapables de reconnaître. Le néant cosmique, voilà le Tout véritable, car c’est le " pour " qui est la réalité divine authentique.

      
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