9. «Etabli par Dieu dans un état de justice, l'homme, séduit par le Malin, dès le début de l'histoire, a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu»(28). Par ces paroles, l'enseignement du dernier concile rappelle la doctrine révélée sur le péché et en particulier sur le premier péché, le péché «originel». Le «commencement» biblique _ la création du monde et de l'homme dans le monde _ contient en même temps la vérité sur ce péché, qui peut être appelé aussi le péché des «origines» de l'homme sur la terre. Même si ce qui est écrit dans le Livre de la Genèse est exprimé sous forme de narration symbolique, et c'est le cas de la description de la création de l'homme comme être masculin et féminin (cf. Gn 2, 18-25), cela révèle en même temps ce qu'il faut appeler «le mystère du péché» et, plus pleinement encore, «le mystère du mal» qui existe dans le monde créé par Dieu.
Il n'est pas possible de lire «le mystère du péché» sans se référer à toute la vérité sur l'«image et ressemblance» avec Dieu qui est à la base de l'anthropologie biblique. Cette vérité montre la création de l'homme comme un don spécial de la part du Créateur, don dans lequel sont contenus non seulement le fondement et la source de la dignité essentielle de l'être humain _ homme et femme _ dans le monde créé, mais aussi l'origine de l'appel à participer tous les deux à la vie intime de Dieu même. A la lumière de la Révélation, la création signifie en même temps l'origine de l'histoire du salut. Dans ce commencement, précisément, le péché s'inscrit et prend forme comme opposition et négation.
On peut dire paradoxalement que le péché présenté dans la Genèse (chap. 3) est une confirmation de la vérité concernant l'image et la ressemblance de Dieu dans l'homme, si cette vérité signifie la liberté, c'est-à-dire la volonté libre dont l'homme peut se servir pour choisir le bien, mais dont il peut aussi abuser en choisissant le mal contre la volonté de Dieu. Toutefois, dans son sens profond, le péché est la négation de ce qu'est Dieu _ comme Créateur _ par rapport à l'homme, et de ce que Dieu veut pour l'homme depuis l'origine et pour toujours. En créant l'homme et la femme à son image et à sa ressemblance, Dieu veut pour eux la plénitude du bien, à savoir le bonheur surnaturel qui découle de la participation à sa vie elle-même. En commettant le péché, l'homme repousse ce don et simultanément il veut devenir lui-même «comme un dieu, qui connaît le bien et le mal» (cf. Gn 3, 5), c'est-à-dire qui décide du bien et du mal indépendamment de Dieu, son Créateur. Le péché des origines a sa «dimension» humaine, sa mesure interne dans la volonté libre de l'homme, et en même temps il comporte une certaine caractéristique «diabolique»(29), comme cela est clairement indiqué dans le Livre de la Genèse (3, 1-5). Le péché provoque la rupture de l'unité originelle dont l'homme jouissait dans l'état de justice originelle, de l'union avec Dieu comme source de l'unité à l'intérieur de son propre «moi», dans les rapports réciproques de l'homme et de la femme («communio personarum») et enfin par rapport au monde extérieur, à la nature.
D'une certaine façon, la description biblique du péché originel dans la Genèse (chap. 3) «répartit les rôles» qu'y ont tenus la femme et l'homme. Plus tard, certains passages de la Bible s'y référeront encore, par exemple la Lettre de saint Paul à Timothée: «C'est Adam qui fut formé le premier, Eve ensuite. Et ce n'est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme» (1 Tm 2, 13-14). Mais il n'y a pas de doute que, indépendamment de cette «répartition des rôles» dans la description biblique, ce premier péché est le péché de l'être humain, créé homme et femme par Dieu. C'est aussi le péché des «premiers parents», auquel est lié son caractère héréditaire. En ce sens, nous l'appelons «péché originel».
Comme on l'a déjà dit, on ne peut comprendre de façon adéquate ce péché sans se référer au mystère de la création de l'être humain _ homme et femme _ à l'image et à la ressemblance de Dieu. En fonction de cette référence, on peut saisir aussi le mystère de la «non-ressemblance» avec Dieu qu'est le péché et qui se manifeste dans le mal présent dans l'histoire du monde, cette «non-ressemblance» avec Dieu qui «seul est bon» (cf. Mt 19, 17) et qui est la plénitude du bien. Si cette «non-ressemblance» du péché avec Dieu, Sainteté même, présuppose la «ressemblance» dans le domaine de la liberté, de la volonté libre, on peut dire que, précisément pour cette raison, la «non-ressemblance» contenue dans le péché est d'autant plus dramatique et d'autant plus douloureuse. Il faut également admettre que Dieu, comme Créateur et Père, est ici atteint, «offensé», et, naturellement, offensé au coeur même de cette donation qui fait partie du dessein éternel de Dieu à l'égard de l'homme.
En même temps, toutefois, l'être humain _ homme et femme _ est atteint lui aussi par le mal du péché dont il est l'auteur. Le texte biblique de la Genèse (chap. 3) le montre par les paroles qui décrivent clairement la nouvelle situation de l'homme dans le monde créé. Il fait voir la perspective de la «peine» avec laquelle l'homme se procurera sa subsistance (cf. Gn 3, 17-19), et aussi celle des grandes «souffrances» dans lesquelles la femme mettra au monde ses enfants (cf. Gn 3, 16). Et tout cela est marqué par la nécessité de la mort, qui constitue le terme de la vie humaine sur terre. Ainsi, l'homme, qui est poussière, «retournera à la terre, d'où il provient»: «Tu es poussière, et tu retourneras à la poussière» (cf. Gn 3, 19).
Ces paroles trouvent leur confirmation de génération en génération. Elles ne signifient pas que l'image et la ressemblance de Dieu dans l'être humain, femme et homme, ont été détruites par le péché, mais elles signifient qu'elles ont été «obscurcies»(30) et, en un sens, «amoindries». En effet, le péché «amoindrit» l'homme, comme le rappelle aussi le Concile Vatican II(31). Si l'homme est déjà, par sa nature de personne, l'image et la ressemblance de Dieu, sa grandeur et sa dignité s'épanouissent dans l'alliance avec Dieu, dans l'union avec lui, dans la recherche de l'unité fondamentale qui appartient à la «logique» interne du mystère même de la création. Cette unité répond à la vérité profonde de toutes les créatures douées d'intelligence, et en particulier de l'homme qui, seul parmi les créatures du monde visible, a été dès le commencement élevé grâce à l'élection faite par Dieu en Jésus de toute éternité: «Il nous a élus dans le Christ, dès avant la fondation du monde.... dans l'amour, déterminant d'avance que nous serions pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté» (cf. Ep 1, 4-6). L'enseignement biblique, dans son ensemble, nous permet de dire que la prédestination concerne toutes les personnes humaines, hommes et femmes, chacun et chacune sans exception.