Le mystère de la Pentecôte que nous célébrons aujourd'hui n'est pas seulement le dernier jour du Temps Pascal. C'est le dernier jour, parce que c'est l'accomplissement de tout ce qui précède, le but poursuivi par Dieu dès le début de l'histoire du salut. C'est pour nous donner part à l'Esprit Saint que Jésus s'est fait homme, qu'il a vécu parmi nous, d'abord trente ans dans son humble existence de fils de charpentier, et puis, pendant quelques années, en prêchant, en guérissant, en ressuscitant. C'est pour cela qu'il a souffert, qu'il est mort, qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité. C'est pour cela encore qu'il est monté au Ciel.
Il faut même aller plus loin encore : c'est pour répandre l'Esprit que le monde a été créé, que Noé a été sauvé du déluge dans l'Arche, qu'Abraham a dû quitter son pays pour la terre promise, que Moïse a été envoyé vers Pharaon pour libérer les Hébreux de l'esclavage d'Égypte, et que Dieu a suscité des Juges, des Rois et des Prophètes.
À cela il faut ajouter encore que c'est uniquement dans ce but que Jésus a fondé l'Église, qu'il a institué les sacrements et envoyé ses apôtres dans le monde entier. Pour tout cela, pour tout ce que Dieu a fait depuis le commencement et pour tout ce qu'il fera jusqu'à la fin, il n'y a pas d'autre raison que celle-ci : Dieu veut nous donner part à son Esprit ! C'est ce que les Pères de l'Église ont eu l'audace d'appeler la divinisation de l'homme. Dieu a voulu que les hommes et lui vivent du même Esprit, en formant un même Corps !
Mais pour que ce grand dessein de l'Amour miséricordieux puisse aboutir, il faut que les hommes y correspondent. Dieu respecte la liberté humaine et ne veut rien lui imposer, même pas ce qu'il y a de meilleur. Pouvons-nous dire que tout ce que nous faisons, depuis que nous avons cru et que nous avons été baptisés, n'a eu d'autre but que de recevoir le Saint Esprit que Dieu désire tant nous donner, et d'aider Dieu à le transmettre autour de nous, puisqu'il nous le donne pour cela ? Quel est notre but dans la vie ? Si je vous avais distribué une feuille de papier sur laquelle est écrit seulement : "Je voudrais" en vous demandant de continuer la phrase, qu'est-ce que vous y mettriez ? Sans doute beaucoup de choses, et beaucoup de choses différentes, selon votre âge, votre sexe, vos convictions politiques, votre humeur du moment, etc.
Ainsi, selon une enquête réalisée en France auprès des jeunes de 15 à 24 ans, arrivent en tête au hit-parade des valeurs : la famille, le travail, les amis - la famille et le travail surtout pour les filles. Les garçons, eux, accordent plus d'importance au sport et à la musique. Ceux qui font de la politique savent très bien qu'actuellement, la préoccupation majeure des Français dans leur ensemble, c'est le chômage (précarité de l'emploi), le terrorisme, la pauvreté, la santé et la délinquance.
Mais pour nous qui sommes chrétiens, quelle est notre souci principal ? Combien auraient mis : "Je voudrais ... le Saint Esprit ? Or, pour un chrétien, c'est la seule et unique bonne manière de compléter la phrase. Combien de ceux qui se disent chrétiens savent seulement que c'est le souci principal de Dieu ?
Souvenez-vous : quand, dans l'Évangile, Jésus veut nous éduquer à la confiance dans la prière, il dit :
"Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent !"
C'est la version selon saint Matthieu (7, 11). Quand Jésus dit : "de bonnes choses", ce serait intéressant de savoir à quoi il pense. C'est même très important, puisque c'est la condition pour être exaucé. En effet, si nous demandons de mauvaises choses, nous ne serons pas exaucés (et c'est tant mieux). On donnerait cher pour savoir quelles sont ces "bonnes choses" auxquelles pense Jésus.
Eh bien, nous le savons, grâce à saint Luc, qui rapporte le même enseignement de Jésus sur la confiance dans la prière, mais avec la précision que nous voudrions avoir :
"Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le lui demandent !" (Lc 11, 13)
Voilà ! C'est donc l'Esprit Saint, la "bonne chose" que nous pouvons demander avec l'assurance d'être exaucés, parce que c'est lui que le Père veut nous donner. La prière étant un exercice de désir, il faut que notre désir corresponde au désir de Dieu.
Notons au passage que pour prier, il n'est pas nécessaire d'être des saints, puisque Jésus s'adresse à ceux qui sont mauvais : "Vous qui êtes mauvais", votre Père vous donnera l'Esprit Saint si vous le lui demandez. Il n'est donc pas nécessaire d'être des saints pour cela. Les Apôtres et les nombreux disciples qui suivaient Jésus durant les années de sa vie publique n'avaient certainement pas beaucoup brillé par leur sainteté au moment où leur Maître fut arrêté et condamné à mort. Ce sont pourtant ces mêmes Apôtres, avec quelques femmes, qui, en entendant la promesse de Jésus de leur envoyer l'Esprit, l'ont reçu au bout de neuf jours de prière d'une manière peu banale. Quelle consolation pour nous !
Par contre, ce qui est nécessaire, c'est de demander l'Esprit Saint (que Dieu nous promet à nous aussi), et pas n'importe quoi. Ensuite il est nécessaire de vouloir devenir des saints, puisque c'est pour cela que Dieu nous le donne.
Saint Séraphim de Sarov est un des saints russes les plus connus et les plus populaires, non seulement parmi les orthodoxes, mais aussi parmi beaucoup de chrétiens d’autres confessions. Il naît en 1759 et entre au monastère de Sarov à l’âge de vingt ans, où il restera jusqu’à sa naissance au ciel en 1833. Pendant quarante-six ans il vit d’abord comme moine en communauté, puis, de 1794 à 1810, comme ermite, et en dernier lieu, comme reclus dans le monastère de Sarov. Durant toutes ces longues années il mène le dur combat pour la sainteté, bénéficiant de nombreuses grâces, notamment des apparitions de la Vierge Marie.
Les dernières huit années de sa vie terrestre, il émerge de la solitude pour servir aux nombreux fidèles qui accourent vers lui en tant que starets (père spirituel). Chacun de ceux qui le visitent dans sa petite cellule - moines, moniales, prêtres, laïcs, hommes, femmes, riches, pauvres, empereurs ... - vient pour être conforté dans ses épreuves, pour entendre la parole de vie, pour recevoir le conseil nécessaire afin d'avancer sur le chemin vers Dieu. L’évènement le plus célèbre de la vie de saint Séraphim s’est produit un jour d’hiver en pleine forêt en 1830, lorsqu’il a été transfiguré, devant et avec son disciple Nicolas Motovilov, qui nous raconte ce qui s'est passé :
"C'était un jeudi. Le ciel était gris. La terre était couverte de neige et d'épais flocons continuaient à tourbillonner lorsque le Père Séraphim engagea notre conversation dans une clairière, près de son "Petit Ermitage" face à la rivière Sarovka coulant au pied de la colline. Il me fit asseoir sur le tronc d'un arbre qu'il venait d'abattre et lui-même s'accroupit en face de moi.
- Le Seigneur m'a révélé, dit le grand starets, que depuis votre enfance vous désiriez savoir quel était le but de la vie chrétienne et que vous aviez maintes fois interrogé à ce sujet des personnages même haut placés dans la hiérarchie de l'Église.
Je dois dire que dès l'âge de douze ans cette idée me poursuivait et qu'effectivement j'avais posé la question à plusieurs personnalités ecclésiastiques sans jamais recevoir de réponse satisfaisante. Le starets l'ignorait.
- Mais personne, continua le Père Séraphim, ne vous a rien dit de précis. On vous conseillait d'aller à l'église, de prier, de vivre selon les commandements de Dieu, de faire le bien - tel, disait-on, était le but de la vie chrétienne. Certains même désapprouvaient votre curiosité, la trouvant déplacée et impie. Mais ils avaient tort. Quant à moi, misérable Séraphim, je vous expliquerai maintenant en quoi ce but réellement consiste.
Le vrai but de la vie chrétienne consiste en l'acquisition du Saint-Esprit de Dieu. La prière, le jeûne, les veilles et autres activités chrétiennes, aussi bonnes qu'elles puissent paraître en elles-mêmes, ne constituent pas le but de la vie chrétienne, tout en aidant à y parvenir. Le vrai but de la vie chrétienne consiste en l'acquisition du Saint-Esprit de Dieu. Quant à la prière, au jeûne, aux veilles, à l'aumône et toute autre bonne action faite au nom du Christ, ce ne sont que des moyens pour l'acquisition du Saint-Esprit.
(Voir texte complet en bas de page)
Donc : ne pas confondre le but et les moyens, même si ces moyens sont utiles, voire indispensables. Mais attention aussi à la confusion des grandeurs !
Remarquez que seule une bonne action faite au nom du Christ nous procure les fruits du Saint-Esprit. Tout ce qui n'est pas fait en son Nom, même le bien, ne nous procure aucune récompense dans le siècle à venir, et en cette vie non plus ne nous donne pas la grâce divine. C'est pourquoi le Seigneur Jésus Christ disait : "Celui qui n'amasse pas avec moi dissipe" (Lc 11, 23).