par Sandro Magister
ROMA, le 7 mai 2008 – La lettre des 138, avec ses suites, n’est ni la seule ni la principale piste de dialogue entre l’Eglise catholique et l’islam. Le Vatican travaille sur plusieurs terrains et avec des interlocuteurs différents.
La dernière rencontre avec des représentants musulmans a eu lieu au Vatican. La délégation était composée de huit membres de l’Islamic Culture and Relations Organization de Téhéran. C’est donc l’islam chiite qui était représenté; son centre de gravité se trouve en Iran mais il est présent dans beaucoup d’autres pays, formant ainsi de 12% à 15% de la communauté musulmane mondiale.
La rencontre a débuté le lundi 28 avril et s’est achevée le mercredi 30 par une entrevue avec Benoît XVI dans une salle contiguë à celle des audiences générales. Dans un communiqué, le Saint-Siège a déclaré que “le pape s’est dit particulièrement satisfait du choix du sujet“.
Et pour cause: le sujet, “Foi et raison dans le christianisme et dans l’islam“, est l’un des préférés de Benoît XVI.
Il s’articulait autour de trois axes, présentés l’un après l’autre par un représentant catholique et un représentant musulman:
1. “Foi et raison: quelle relation?“, avec, du côté catholique, Vittorio Possenti, professeur de philosophie politique à l’Université de Venise et membre de l’Académie pontificale des sciences sociales;
2. “Théologie/Kalam comme enquête sur la rationalité de la foi“, avec, du côté catholique, Piero Coda, professeur de théologie à l’Université pontificale du Latran et président de l’Association théologique italienne;
3. “Foi et raison face au phénomène de la violence“, avec, du côté catholique, le jésuite Michel Fédou, théologien et historien de l’Eglise, du Centre Sèvres à Paris.
En plus de ces trois rapporteurs, la délégation catholique comprenait Ramzi Garmou, archevêque chaldéen de Téhéran; Pier Luigi Celata, archevêque secrétaire du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux; Khaled Akasheh, chef du bureau pour l’islam dans ce même conseil; Ilaria Morali, professeur de théologie dogmatique à l’Université pontificale grégorienne et spécialiste des relations non-chrétiennes.
La rencontre a été présidée conjointement par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, et par Mahdi Mostafavi, président de l’Islamic Culture and Relations Organization de Téhéran.
Mostafavi est un “Seyyed“, c’est-à-dire un descendant direct du prophète Mahomet. Jusqu’à il y a deux ans, il a été vice-ministre des Affaires étrangères à Téhéran. Avant de repartir pour l’Iran, il a déclaré au quotidien de Rome “il Riformista“:
“Je vois le président Ahmadinejad au moins deux fois par semaine. Les valeurs spirituelles et morales sont fondamentales dans nos choix gouvernementaux et je suis son conseiller spirituel“.
Ces quelques mots montrent combien la délégation iranienne était haut placée et étroitement liée au leadership d’Ahmadinejad, qui représente l’aile la plus dure du régime khomeyniste, la plus hostile à l’Occident et la plus déterminée à refuser à Israël le droit d’exister.
Il faut toutefois rappeler que le régime de Téhéran s’était distingué par sa modération lors de l’explosion de violence qui avait fait suite au discours de Benoît XVI à Ratisbonne. Depuis de nombreuses années, l’islam chiite iranien devance l’islam sunnite dans ses rapports avec l’Eglise de Rome, sur le plan religieux, culturel et politique. Après avoir rencontré, le 6 avril dernier, le nouveau nonce apostolique en Iran, l’archevêque Jean-Paul Gobel, le président Ahmadinejad a défini le Vatican comme une force positive pour la paix et la justice dans le monde. Ou plutôt, pour les intérêts iraniens, un allié potentiel contre les pressions des Etats-Unis et des pays européens.
La rencontre de ces jours derniers est la sixième de la série. La prochaine aura lieu d’ici deux ans à Téhéran et sera précédée d’une rencontre préparatoire.
Cela ne veut pas dire que l’Eglise de Rome se montre docile lors de ces rencontres. Le 3 novembre 2005, le professeur Possenti, l’un des rapporteurs de la dernière rencontre, avait signé un appel contre le président iranien Ahmadinejad à cause des déclarations anti-israéliennes de ce dernier. Un sit-in de protestation avait suivi devant l’ambassade d’Iran à Rome.
Même absence de complaisance chez Ilaria Morali, qui faisait également partie de la délégation catholique lors de la dernière rencontre. Selon elle, le dialogue entre l’Eglise catholique et les religions non-chrétiennes doit s’inspirer des deux documents de 1964 qui ont indiqué pour la première fois la conduite à tenir: l’encyclique de Paul VI “Ecclesiam Suam“ et la constitution conciliaire “Lumen Gentium“. Les religions non-chrétiennes ne figurent comme voie de salut dans aucun des deux documents. Seul Jésus-Christ est le sauveur de l’humanité toute entière, comme l’a souligné en 2000 la déclaration “Dominus Iesus“. Le dialogue est donc avant tout missionnaire, il a pour but de poursuivre le “colloquium salutis“ instauré par Dieu dans le Christ avec l’humanité. Ce n’est que secondairement qu’il cherche un terrain d'entente éthique et culturelle, pour une cohabitation plus pacifique
Le 17 avril dernier, à Washington, Benoît XVI s’exprimait devant quelque 200 représentants de religions non-chrétiennes. Il a confirmé ce qui précède par ces mots sans équivoque:
"Les chrétiens proposent Jésus de Nazareth. [...] C’est Lui que nous portons au forum du dialogue interreligieux. L'ardent désir de suivre ses traces pousse les chrétiens à ouvrir leurs esprits et leurs cœurs au dialogue“.
Dans le discours qu’il a lu à ses interlocuteurs musulmans, le professeur Possenti a interprété la rencontre d’Assise pour la paix (27 novembre 1986) selon le point de vue christologique suivant:
“La rencontre était centrée sur l’incompatibilité de l’Evangile avec la violence. Celui qui est mort sur la croix est une victime et pas un bourreau. La passion de Jésus révèle la violence que renfermaient les religions païennes: elle provoque une révolution qui est aujourd’hui irrépressible. Elle propose l’icône du Serviteur souffrant par amour, le symbole de l’amour non-violent, donné“.
En ce qui concerne le rapport entre la religion et la violence, Possenti a déclaré:
“La violence doit être laïcisée et attribuée à l’homme, non à Dieu“.
A la fin de la rencontre du 28 au 30 avril, les deux délégations se sont mises d’accord sur sept points, résumés dans un communiqué en ces termes:
“Premièrement: foi et raison sont toutes deux des dons de Dieu à l’humanité.
“Deuxièmement: foi et raison ne s’opposent pas; même si dans certains cas la foi peut être au-dessus de la raison, elle ne lui est jamais contraire.
“Troisièmement: foi et raison sont intrinsèquement non-violentes. Ni la raison ni la foi ne devraient être utilisées pour perpétrer la violence; malheureusement, dans certains cas, elles ont toutes les deux été mal utilisées dans le but de perpétrer la violence. Quoi qu’il en soit, ces événements ne peuvent faire douter ni de la raison ni de la foi.
“Quatrièmement: les deux parties ont décidé de coopérer encore plus pour favoriser une religiosité authentique, en particulier la spiritualité pour promouvoir le respect des symboles sacrés et des valeurs morales.
“Cinquièmement: chrétiens et musulmans devraient dépasser le stade de la tolérance, en acceptant les différences, en restant conscients de ce qu’ils ont en commun et en rendant grâce à Dieu pour cela. Ils sont appelés à se respecter mutuellement et donc à condamner la dérision des croyances religieuses.
“Sixièmement: il faudrait éviter les généralisations quand on parle de religions. Les différences entre les confessions au sein du christianisme et de l’islam et la diversité des contextes historiques sont des facteurs importants à prendre en compte.
“Septièmement: on ne peut pas juger les traditions religieuses sur la base d’un seul verset ou passage présent dans l’un ou l’autre livre sacré. Il convient d’avoir une vision globale et une méthode herméneutique adaptée pour les comprendre correctement“.
Outre Seyyed Mahdi Mostafavi, la délégation musulmane était composée de quatre chercheurs possédant le titre de hodjatoleslam: Mohammad Jafar Elmi, de l’Islamic College for Advanced Studies de Londres; Hamid Parsania, professeur de philosophie et de mystique à Qom et recteur de l’université Baqir al-Ulum; Mahdi Khamoushi; Mohammed Masjedjamei. Etaient aussi présents Rasoul Rasoulipour, doyen de la faculté d’études humanistes de l’université de Tarbiat Moallem; Mohsen Daneshmand, membre du corps diplomatique, et Abdolrahim Gavahi.
Les huit représentants chiites ont offert à Benoît XVI un exemplaire du Coran. L’agence officielle iranienne ISNA a rapporté que le pape l’a défini comme “un livre précieux“ et qu’il a évoqué le sujet de la rencontre en ces termes:
“Foi et raison sont les deux choses dont le monde a besoin, aujourd’hui plus que par le passé, et il est de notre devoir de satisfaire ce besoin de la société“.