
L'Ascension est un mystère largement ignoré par la majorité des chrétiens. Pourtant il fait partie de notre profession de foi, et c'est un jour férié* Seuls ceux qui prient régulièrement le Rosaire le méditent assidument comme un évènement crucial, le moment culminant de la vie et de la mission du Christ, déterminant aussi pour l'Église, intimement liée au Christ. Trop souvent les chrétiens se représentent l'Ascension de Jésus comme le départ d'un être cher qu'on accompagne à l'aéroport. Quelle misère ! Quel sous-développement ! Puissions-nous donc, nous dont la foi est sous-développée, être des chrétiens "en voie de développement". Que l'Esprit Saint, promis par Jésus à l'Église, nous y aide ... et les anges aussi.
Dans la première lecture , saint Luc traduit pour ses lecteurs l'expérience de ceux qui ont été témoins de la dernière manifestation visible de Jésus. Ce passage se trouve dans l'introduction des Actes des Apôtres, dont le but est de montrer à tout "ami de Dieu" (c'est le sens de "Théophile") comment l'Esprit Saint, présent dans la vie de Jésus tout au long de l'évangile, déterminera les apôtres à devenir les témoins de Jésus Seigneur. C'est d'eux qu'il s'agira désormais (leurs noms seront cités au v. 13). L'histoire qu'ils vont vivre se déroulera grâce au dynamisme du même Esprit et grâce à l'action permanente de Jésus ressuscité.
Si Jésus n'est plus visible comme autrefois, il est pourtant présent. Mais il faut avoir la foi pour le voir.
Dans l'évangile, la finale de saint Matthieu, on trouve comme en écho l'annonce du début, où Jésus est présenté comme l'Emmanuel, Dieu avec nous (1, 23), ce qui nous fait déjà pressentir la dimension universelle de Jésus, dont l'existence concerne tous les hommes, puisque chacun d'eux est destiné à reproduire son image en sa propre vie. Avec son autorité divine, le Ressuscité envoie tous ceux qui entendent son appel vers "toutes les Nations", pour en faire des disciples.
Pourtant, c'est une Église très pauvre, un petit groupe, amputé par le défection de l'un des leurs, onze hommes de peu de foi, encore traumatisés par les évènements des dernières semaines. La scène reprend les récits de vocation de l'Ancien Testament. En conférant aux disciples l'investiture prophétique qu'il avait lui-même reçue après son baptême, Jésus les revêt de "toute autorité", celle qui lui a été donnée "au ciel et sur la terre".
"Allez donc" : Ils reçoivent à leur tour l'extraordinaire pouvoir d'opérer le rassemblement universel des nouveaux disciples par le baptême et l'enseignement, les deux éléments constitutifs du chrétien.
Le baptême "au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit" manifeste l'entrée du chrétien dans le Royaume. La formule trinitaire, empruntée sans doute par saint Matthieu au rituel baptismal déjà en vigueur dans les communautés de son temps, est significative d'une pratique ecclésiale rattachée au baptême du Christ, qui était déjà une épiphanie trinitaire (cf. Mt 3, 16-17).
Mais au commandement de baptiser est joint celui d'enseigner. Le commandement ultime du Christ est double : baptiser et enseigner. L'Église ne peut donc pas se contenter de baptiser à tout-va. Et quand elle baptise des petits enfants, les parents, parrains et marraines doivent promettre de pourvoir à une éducation religieuse conforme à l'enseignement de l'Église. C'est aussi le rôle de la catéchèse. Mais les premiers catéchistes doivent être les parents eux-mêmes. Il ne s'agit pas seulement d'une leçon à faire apprendre par coeur aux enfants (bien que la mémoire doit aussi jouer son rôle), mais de la bonne Nouvelle du Royaume (la présence même de Jésus ressuscité) dont il faut se laisser pénétrer pour pouvoir la leur transmettre.
L'enseignement doit ainsi se traduire par un comportement : "garder tout ce que je vous ai prescrit". C'est l'Évangile tout entier qui devient ainsi enseignement de vie pour les disciples, signifié sacramentellement dans le baptême et déployé humainement dans l'existence quotidienne. La morale chrétienne, c'est la Bonne Nouvelle en acte de rayonnement. C'est une condition essentielle pour une catéchèse efficace. Les parents d'abord, et les catéchistes ensuite, se doivent de donner aux enfants un exemple de vie conforme aux exigences de l'Évangile.
Donner une éducation authentiquement et intégralement chrétienne à ses enfants : voilà une nécessité primordiale. Encore faut-il se garder d'oublier que cet enseignement, revêtu de TOUTE autorité, concernant TOUT ce qu'il a prescrit, s'adresse à TOUTES les nations. TOUS les chrétiens partagent la responsabilité de cet appel. C'est par ce quadruple "tout" que saint Matthieu exprime la totalité de l'action divine prenant corps dans la totalité de l'agir humain, selon la totalité du temps et de l'espace. Le chiffre quatre, on le sait, symbolise le monde créé, composé de quatre éléments fondamentaux (air, terre, eau, feu) et désigné par les quatre points cardinaux. C'est l'évangélisation en 4x4 : la traction (ou l'attraction) intégrale pour une mission tout-terrain !
Chaque baptisé devient responsable de tous ses frères en humanité, parce que l'Évangile est un message destiné au monde entier. "La promesse faite à Abraham" (Gn 12, 3 ; cf. le Magnificat), rappelée par les prophètes (Jr 4, 2), et accomplie en Jésus, se manifeste à travers la communauté des disciples qui marchent dans les pas de leur Maître sous la conduite des apôtres, et de leurs successeurs, les évêques.
Ainsi l'Église grandit et se fortifie en vivant et en disant Jésus, qui rassemble toutes les nations du monde et les plonge dans sa vie et sa mort, afin de leur faire partager la vie et l'action du Père, dans l'Esprit. L'Église, dans toute sa faiblesse humaine, subsiste grâce à la présence en elle de la divinité.
Dieu, dit saint Paul, a établi son Fils
"au-dessus de toutes les puissances et de tous les êtres qui nous dominent, quel que soit leur nom, aussi bien dans le monde présent que dans le monde à venir. Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de lui la tête de l'Église qui est son corps, et l'Église est l'accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude."
Pour saint Matthieu, également, l'Église apparaît comme le lieu où s'atteste la présence universelle de Jésus, englobant l'espace et le temps, comme le trait d'union entre terre et ciel, dans la particularité de l' "ici" et du "maintenant".
* Le jeudi de l'Ascension est un jour férié en France. Sous l'Ancien régime, les fêtes chrétiennes rythmaient la vie des villes et des campagnes. L'Ascension, comme Pâques, Noël ou les fêtes patronales étaient chômées dans un pays encore majoritairement rural. La Révolution française a tenté – sans succès - de les remplacer par de nouvelles célébrations laïques. Le Concordat signé en 1801 par Napoléon Bonaparte avec le pape Pie VII, rétablit quatre fêtes chrétiennes dans le calendrier : Noël, l'Ascension du Christ, l'Assomption de Marie (15 août) et la Toussaint.
On parle alors de "fêtes d'obligation". Malgré la séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905, ces quatre dates demeurent chômées dans l'ensemble de Hexagone (l'Alsace et la Moselle la célèbrent également, tandis que la Saint-Etienne du 26 décembre et le Vendredi Saint ne sont chômés que dans les trois départements de l'est de la France). Par ailleurs, ce jour est férié dans de nombreux pays comme l'Allemagne, la Belgique ou la Suisse (mais pas l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni).