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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Mgr Guy Bagnard, La miséricorde et le ministère du prêtre

Publié par dominicanus sur 4 Avril 2008, 22:04pm

Catégories : #La vache qui rumine (Année A)

Congrès mondial sur la miséricorde

ROME, Vendredi 4 avril 2008 (ZENIT.org) - « Le mi­nis­tère de la ré­con­ci­lia­tion reste sans doute le plus dif­fi­cile et le plus dé­li­cat, le plus fa­ti­gant et le plus exi­geant - sur­tout lors­que les prê­tres sont en pe­tit nom­bre. Il sup­pose aus­si, chez le con­fes­seur, de gran­des qua­li­tés hu­mai­nes, par des­sus tout une vie spi­ri­tuelle in­tense et sin­cère ; il est né­ces­saire que le prê­tre re­coure pour lui-même ré­gu­liè­re­ment à ce sa­cre­ment : c'est par ces paroles de Jean-Paul II que Mgr Guy Bagnard, évêque de Belley-Ars, a conclu, jeudi 3 avril, dans l'après-midi, en l'église romaine de San Carlo al Corso, son exposé sur « la mi­sé­ri­corde et le mi­nis­tère du prê­tre ». Il s'appuyait aussi sur l'héritage spirituel du saint Curé d'Ars, saint Jean-Marie Vianney.

  

« La mi­sé­ri­corde et le mi­nis­tère du prê­tre »

Par Mgr Bagnard

  

Il suf­fit de par­cou­rir quel­ques pa­ges d'Évan­gile pour s'aper­ce­voir dans quelle proxi­mi­té Jé­sus a vécu avec les ma­la­des. Lé­preux, boi­teux, pa­ra­ly­sés, aveu­gles, sourds-muets, tous vien­nent à Lui et Le sup­plient de les gué­rir.

Ce n'est pour­tant au­cune de ces ma­la­dies que dé­si­gnaient les cé­lè­bres pa­ro­les de Jé­sus : "Ce ne sont pas les bien-por­tants qui ont be­soin du mé­de­cin, mais les ma­la­des." Le con­texte où ont été pro­non­cées ces pa­ro­les nous ap­prend que Jé­sus pre­nait alors son re­pas dans la mai­son de Mat­thieu qu'il ve­nait d'ap­pe­ler à sa suite. Au­tour de la ta­ble se te­nait un grand nom­bre de pu­bli­cains ré­pu­tés pour leur mal­hon­nê­te­té dans l'exer­cice de leur pro­fes­sion : la col­lecte des im­pôts. C'étaient des pé­cheurs pu­blics, dé­si­gnés du doigt par l'opi­nion ! A l'adresse des pha­ri­siens qui con­dam­naient ces fré­quen­ta­tions dou­teu­ses, Jé­sus ré­pond avec les pa­ro­les du pro­phète Osée : "C'est la mi­sé­ri­corde que je veux et non les sa­cri­fi­ces." (Mt 9,12). A côté des ma­la­dies du corps, Jé­sus sou­li­gne la pré­sence des ma­la­dies de l'âme. Leur gué­ri­son ne peut être ob­te­nue que par la mi­sé­ri­corde. C'est pour en pu­ri­fier les hom­mes qu'il est venu en ce monde. Bien mieux, les ma­la­dies du corps avaient moins de con­sé­quen­ces dra­ma­ti­ques sur la des­ti­née hu­maine que les ma­la­dies in­vi­si­bles de l'âme : "Afin que vous sa­chiez que le Fils de l'homme a le pou­voir, sur la terre, de par­don­ner les pé­chés, alors, lève-toi, dit Jé­sus au pa­ra­ly­sé, prends ta ci­vière et ren­tre chez toi." (Mt 9,6). Jé­sus in­di­quait que son pou­voir de gué­ri­son sur les corps an­non­çait un pou­voir plus fon­da­men­tal sur les âmes.

Ce­lui qui a reçu l'or­di­na­tion pro­longe l'ac­tion du Christ. Parce qu'il a don­né ses lè­vres, ses mains, son in­tel­li­gence et son cœur au Christ, pour con­ti­nuer son œu­vre de gué­ri­son, il est ame­né à ac­cor­der une place de choix au mi­nis­tère de la mi­sé­ri­corde.

* * *

Jean-Ma­rie Vian­ney de­meure, dans l'his­toire de l'Eglise, le té­moin pri­vi­lé­gié de ce mi­nis­tère. Dans l'exer­cice de sa charge de curé, au fil des an­nées, le temps pas­sé au con­fes­sion­nal a dé­me­su­ré­ment gran­di. On es­time qu'il s'y te­nait en­tre 13 et 18 heu­res par jour, par tous les temps, aus­si bien dans la cha­leur que dans le froid. Au cours des vingt-cinq der­niè­res an­nées de sa vie, il ne fai­sait plus que cela. "Ra­re­ment un pas­teur a été à ce point con­scient de ses res­pon­sa­bi­li­tés, dé­vo­ré par le dé­sir d'ar­ra­cher ses fi­dè­les à leur pé­ché ou à leur tié­deur." (Jean-Paul II, Let­tre aux prê­tres pour le Jeu­di Saint 1986).

A regar­der Jean-Ma­rie Vian­ney, dans l'exer­cice de cette pas­to­rale de la mi­sé­ri­corde, un fait mé­rite d'être sou­li­gné. Il avait per­çu l'im­mense ef­fort qui est re­quis du pé­cheur pour ve­nir cher­cher le par­don. Re­con­naî­tre sa ma­la­die est déjà une épreuve. Mais en­tre­pren­dre de s'en li­bé­rer en est une au­tre bien plus lourde en­core. Le mou­ve­ment na­tu­rel est de re­met­tre à plus tard. Mille rai­sons sur­gis­sent pour re­pous­ser au len­de­main. Le fils de la pa­ra­bole a at­ten­du le tout der­nier mo­ment, d'être lit­té­ra­le­ment af­fa­mé, pour se dé­ci­der en­fin à re­pren­dre le che­min du re­tour.

Le Curé d'Ars, qui avait une pro­fonde con­nais­sance du cœur hu­main, eut un jour une drôle d'idée. Au ris­que de sur­pren­dre son en­tou­rage et de sou­le­ver des in­com­pré­hen­sions, il en­tre­prit rien moins que de faire per­cer une porte dans la fa­çade de l'église pa­rois­siale, lé­gè­re­ment sur le côté ; c'était une porte si étroite si dis­crète, qu'au­jourd'hui en­core, on ne la re­mar­que pas. En la pous­sant, on tom­bait au pied d'un con­fes­sion­nal, pla­cé là tout ex­près. C'était le cin­quième con­fes­sion­nal qu'il avait ins­tal­lé dans son église. Les qua­tre au­tres étaient si­tués plus haut dans la nef ou der­rière l'au­tel. L'avan­tage de ce nou­veau dis­po­si­tif per­met­tait de ve­nir se con­fes­ser to­ta­le­ment in­co­gni­to ! C'était là que ceux qu'il ap­pe­lait les grands pé­cheurs pou­vaient s'ou­vrir à la mi­sé­ri­corde. In­si­gne dé­li­ca­tesse de ce curé qui res­sen­tait en lui-même ce qu'il en coû­tait de re­ve­nir dans une église où l'on n'avait peut-être pas mis les pieds de­puis trente, qua­rante ou cin­quante ans. Ain­si, la grâce de la Mi­sé­ri­corde était mise à la por­tée du plus grand nom­bre. A elle seule, cette in­ven­tion en dit long sur l'amour des pé­cheurs qui ha­bi­tait le cœur de Jean-Ma­rie Vian­ney, à l'image du Père de la pa­ra­bole qui at­tend sur le seuil et re­garde l'ho­ri­zon s'il voit re­ve­nir le fils. Jean-Ma­rie Vian­ney avait l'ha­bi­tude de dire : "Ce n'est pas le pé­cheur qui re­vient vers Dieu pour lui de­man­der par­don ; mais c'est Dieu lui-même qui court après le pé­cheur et qui le fait re­ve­nir à lui." (No­det p. 133) C'est vers ceux qui sem­blaient les plus éloi­gnés que le cœur du prê­tre al­lait d'em­blée en prio­ri­té. Dans ce con­fes­sion­nal, di­sait-il, j'ai pu pren­dre les âmes au vol ! Il ins­cri­vait dans les faits l'amour de Dieu pour les pé­cheurs.

Si la mi­sé­ri­corde est le re­mède le plus sûr pour gué­rir les ma­la­dies de l'âme, il de­vient in­dis­pen­sa­ble de l'ap­pro­cher d'aus­si près que pos­si­ble de ce­lui qui en a be­soin ! L'in­tense dé­sir de l'of­frir aux pé­cheurs a fait trou­ver au Curé d'Ars les moyens de la don­ner.

Sa re­nom­mée comme con­fes­seur est liée sans au­cun doute à sa sain­te­té per­son­nelle. Il n'était pas rare d'en­ten­dre les ha­bi­tants d'Ars rai­son­ner ain­si, comme s'ex­pri­mait l'un d'en­tre eux : "Nous ne va­lons pas mieux que les au­tres, mais nous au­rions trop de honte à nous li­vrer à de sem­bla­bles dés­or­dres si près d'un saint" (Mon­nin, t. 1, p. 220). Mais ou­tre le rayon­ne­ment de sa sain­te­té, d'au­tres fac­teurs in­ter­ve­naient. L'un d'en­tre eux sem­ble avoir joué un rôle non né­gli­gea­ble. Le Curé d'Ars li­sait dans les cœurs ; il avait comme l'in­tui­tion des con­scien­ces. Il est évi­dem­ment dif­fi­cile de sa­voir ce qui se pas­sait exac­te­ment dans le con­fes­sion­nal en­tre le curé et les pé­ni­tents. Il faut donc avan­cer avec pru­dence sur ce ter­rain. Mais beau­coup de té­moi­gna­ges re­cueillis au cours du pro­cès de ca­no­ni­sa­tion ré­vè­lent que ceux qui ve­naient s'age­nouiller près du curé se sen­taient mis bru­ta­le­ment face à face avec leur vie. Fré­quem­ment, le curé dé­cou­vrait lui-même au péni­tent l'une ou l'au­tre de ses fau­tes.

L'ab­bé Al­fred Mon­nin, un de ses pre­miers bio­gra­phes, cite, par exem­ple, le cas de cet homme de mau­vaise vie qui, at­teint d'in­fir­mi­tés, vint à Ars es­pé­rant ob­te­nir la gué­ri­son. Sur les con­seils de quel­ques amis, il ac­cepte de se con­fes­ser. Jean-Ma­rie Vian­ney l'écoute en si­lence, puis lui de­mande : "Est-ce tout ?" - "Oui", ré­pond l'homme. "Mais, ré­pli­que le curé, vous n'avez pas dit que tel jour, à tel en­droit, vous avez com­mis une très grave faute". Et le curé se met à lui faire l'his­toire de sa vie, mieux qu'il ne l'au­rait faite lui-même. Des cas de ce genre sont nom­breux. Jean-Ma­rie Vian­ney po­sait sou­vent la ques­tion ri­tuelle : "De­puis quand date vo­tre der­nière con­fes­sion ?" Il ar­ri­vait que le pé­ni­tent ne se sou­vienne de rien ! Alors, il n'était pas rare que le Curé ré­ponde lui-même : "Cela fait vingt-huit ans, mon ami, et vous n'avez pas été com­mu­nier à la suite de cette con­fes­sion."

L'acui­té du re­gard du con­fes­seur opé­rait un choc puis­sant sur le pé­ni­tent. Ce­lui-ci fai­sait une ex­pé­rience sem­bla­ble à celle de la Sa­ma­ri­taine de l'Évan­gile. Elle avait en­ten­du Jé­sus lui dire qu'elle n'avait pas de mari et Jé­sus lui avait dé­cou­vert sa pro­pre vie. Quel­ques ins­tants après, elle s'adres­sait alors aux gens de son vil­lage, avec une émo­tion à peine voi­lée :"Ve­nez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait !" Le pé­ni­tent d'Ars n'avait pas le sen­ti­ment d'être ac­cu­sé ou con­dam­né, mais ce­lui d'être re­gar­dé par Dieu lui-même dans l'in­ti­mi­té de sa vie. Toute ré­sis­tance, toute dé­fense alors s'éva­nouis­saient. Il s'ou­vrait à la Lu­mière, sans cher­cher d'ex­cuse, sans re­cou­rir à des échap­pa­toi­res, sans se jus­ti­fier. Il se trou­vait sou­dai­ne­ment de­vant Dieu. Et Dieu ve­nait le cher­cher dans les si­tua­tions très con­crè­tes de son exis­tence ; c'était là qu'il était re­joint et sau­vé ! Sous cette lu­mière, il était re­con­duit à la vé­ri­té exis­ten­tielle de son être et c'est pour­quoi la grâce du sa­cre­ment opé­rait en pro­fon­deur à l'in­time de l'âme. Il res­sor­tait du con­fes­sion­nal ré­gé­né­ré. Dieu était pas­sé. Il avait agi ! Le pé­ni­tent avait fait l'ex­pé­rience que Dieu l'ai­mait tel qu'il était. Un des pre­miers ef­fets de la mi­sé­ri­corde est de ne plus se dis­si­mu­ler à soi-même et d'ac­cep­ter que Dieu puisse nous re­gar­der en vé­ri­té. C'est dans cette ex­pé­rience de la lu­mière qui nous pé­nè­tre que l'on me­sure l'im­mense bon­té de Dieu et que l'on puise l'élan de re­par­tir et de for­ti­fier la dé­ci­sion de chan­ger de vie !

Ain­si, dans l'exer­cice de ce mi­nis­tère, Jean-Ma­rie Vian­ney mon­trait que la Mi­sé­ri­corde de Dieu ne di­mi­nuait en rien l'exi­gence de Vé­ri­té et l'ef­fort coû­teux qui lui est lié. Il al­liait les deux dans le pro­fond équi­li­bre que lui com­mu­ni­quait sa sain­te­té. La mi­sé­ri­corde, il sa­vait en par­ler comme nul au­tre : "Que Dieu est bon, di­sait-il, son bon Cœur est un océan de mi­sé­ri­corde. Ain­si quel­que grands pé­cheurs que nous puis­sions être, ne dés­es­pé­rons ja­mais de no­tre sa­lut. Il est si fa­cile de se sau­ver !" " Nos fau­tes sont comme des grains de sa­ble à côté des mi­sé­ri­cor­des de Dieu." "Qu'est-ce que nos pé­chés, si nous les com­pa­rons à la mi­sé­ri­corde de Dieu ! C'est une graine de na­vette de­vant une mon­ta­gne". "Dieu court après l'homme et le fait re­ve­nir." (Abbé Toc­ca­nier, Pro­cès de ca­no­ni­sa­tion).

A ceux qui, pour­tant, se com­plai­saient à par­ler de ses sé­vé­ri­tés, il faut rap­pe­ler le ju­ge­ment tout sim­ple, mais com­bien vrai d'un vieux pay­san d'Ars qui avait con­nu Jean-Ma­rie Vian­ney dès son ar­ri­vée : "Il prê­chait sur­tout sur l'amour de Dieu, sur la pré­sence de No­tre Sei­gneur dans l'Eu­cha­ris­tie, sur l'ha­bi­ta­tion du Saint-Es­prit dans no­tre âme. Et quand il par­lait sur le pé­ché, alors il pleu­rait." Jean-Ma­rie Vian­ney avait ap­pris à se dé­ga­ger de l'es­prit jan­sé­ni­sant dont il avait été mar­qué dans sa jeu­nesse et du­rant les pre­miè­res an­nées de son mi­nis­tère au con­tact de l'ab­bé Bal­ley, à Écul­ly. Il ex­pli­quait dans ses ca­té­chè­ses : "Les jan­sé­nis­tes ont bien en­core les sa­cre­ments, mais ils ne ser­vent de rien car ils pen­sent qu'il faut être trop par­fait pour les re­ce­voir. L'Église ne dé­sire que no­tre sa­lut ; voi­là pour­quoi elle nous fait un pré­cepte de re­ce­voir les sa­cre­ments." (Mon­nin p. 327)

Mais, pour au­tant, la Mi­sé­ri­corde n'est pas une ver­tu dou­ce­reuse, qui se con­ten­te­rait de bé­nir et d'ab­sou­dre, en lais­sant croire qu'il n'y a guère de dif­fé­rence en­tre le bien et le mal, et qu'en con­clu­sion, comme le dit la chan­son, "on ira tous au pa­ra­dis". Jean-Ma­rie Vian­ney avait un sens aigu de la gra­vi­té du pé­ché ; cette con­science était, chez lui, la con­sé­quence d'une réa­li­té ma­jeure dans sa vie spi­ri­tuelle : il vi­vait en con­ti­nuelle union avec Dieu. "Il m'a avoué un jour, dit le Frère Atha­nase, qu'il per­dait ra­re­ment le sou­ve­nir de la pré­sence de Dieu". Et l'ab­bé Toc­ca­nier ré­sume ain­si le cli­mat de sa vie in­té­rieure : "Dieu, rien que Dieu, Dieu par­tout, Dieu en tout, toute la vie du Curé d'Ars est là !"

 

Ain­si, tout ce qui dé­tour­nait de Dieu, tout ce qui l'of­fen­sait, le fai­sait souf­frir. S'il avait l'amour du pé­cheur, il avait en même temps l'hor­reur du pé­ché. Aus­si me­su­rait-il sa res­pon­sa­bi­li­té de curé, une res­pon­sa­bi­li­té qui sou­vent le tour­men­tait : "Ah, si j'avais su ce que c'était qu'un prê­tre, au lieu d'al­ler au sé­mi­naire, je me se­rais bien vite sau­vé à la Trappe" (Mon­nin t. 2, p. 275). Il per­ce­vait les ef­fets des­truc­teurs du pé­ché dans les cœurs avec une sorte d'an­goisse :"Le péché obs­cur­cit la foi dans les âmes comme les brouillards épais obs­cur­cis­sent le so­leil à nos yeux : nous voyons bien qu'il fait jour, mais nous ne pou­vons dis­tin­guer le so­leil." (No­det p. 147). "Oh ! Jé­sus, don­nez-nous une sainte hor­reur de nos pé­chés. Fai­tes pas­ser dans nos cœurs une goutte de cette amer­tume dont le vô­tre fut inon­dé. Si nous ne pou­vons ef­fa­cer nos pé­chés par l'ef­fu­sion de no­tre sang, fai­tes du moins que nous puis­sions les pleu­rer." (No­det p. 143)

Jean-Ma­rie Vian­ney per­ce­vait le ca­rac­tère dra­ma­ti­que de toute exis­tence hu­maine, car l'homme y jouait son éter­ni­té ! Il avait "une vi­sion pa­thé­ti­que du sa­lut" (Jean-Paul II, Ars 1986) Cette con­vic­tion était si an­crée en lui qu'elle a im­pri­mé à sa vie spi­ri­tuelle une orien­ta­tion dont les traits les plus spec­ta­cu­lai­res étaient la pra­ti­que d'une as­cèse ri­gou­reuse. Ses pé­ni­ten­ces étaient im­pres­sion­nan­tes par leur am­pleur et leur fré­quence. Cer­tains y ont vu une re­cher­che pa­tho­lo­gi­que de la souf­france. Elles étaient bien plu­tôt l'ex­pres­sion d'une vé­ri­té pro­fonde : la vo­lon­té de se sanc­ti­fier soi-même pour sanc­ti­fier les au­tres ! Re­non­cer à soi-même, fût-ce dans la re­cher­che d'un bien-être lé­gi­time, était chez lui une ma­nière d'ou­vrir plus lar­ge­ment à Dieu les por­tes de sa vie. Il di­sait : "Il n'y a qu'une ma­nière de se don­ner à Dieu dans l'exer­cice du re­non­ce­ment et du sa­cri­fice : c'est de se don­ner tout en­tier, sans rien gar­der pour soi. Le peu que l'on garde n'est bon qu'à em­bar­ras­ser et à faire souf­frir... Je pense sou­vent que je vou­drais bien pou­voir me per­dre et ne plus me re­trou­ver qu'en Dieu." (Mon­nin, t. 2, p. 631). "Se don­ner tout en­tier" était ins­crit au cœur de son mi­nis­tère.

Il in­sis­tait par­ti­cu­liè­re­ment sur le re­non­ce­ment à sa vo­lon­té pro­pre : "Nous n'avons en pro­pre que no­tre vo­lon­té ; c'est la seule chose que nous puis­sions ti­rer de no­tre fond pour en faire hom­mage au Bon Dieu. Aus­si, as­sure-t-on qu'un seul acte de re­non­ce­ment à la vo­lon­té, Lui est plus agréa­ble que trente jours de jeûne." (Mon­nin, t. 2, p. 645). Et il n'hé­si­tait pas à don­ner des exem­ples très con­crets : "On se prive d'une vi­site qui fait plai­sir, on rem­plit une œu­vre de cha­ri­té qui en­nuie, on se cou­che deux mi­nu­tes plus tard, on se lève deux mi­nu­tes plus tôt ; lors­que deux cho­ses se pré­sen­tent à faire, on donne la pré­fé­rence à celle qui nous plaît le moins." (Mon­nin, t. 2, p. 646)

 

­Ce­tte abnéga­tion n'avait rien d'un re­plie­ment sur soi, ni d'une sorte d'au­to-mu­ti­la­tion ; Jean-Ma­rie Vian­ney y voyait le che­min par le­quel Dieu pre­nait pos­ses­sion de sa vie ; elle l'en­ga­geait dans la se­que­la Chris­ti, Lui, le sau­veur, qui, dans son amour du Père, avait ac­cep­té de s'abais­ser. Ce re­non­ce­ment n'avait rien de des­truc­teur ; il était vi­vi­fiant parce que l'amour l'ins­pi­rait.

En­ga­gé sur cette voie du ra­di­ca­lisme évan­gé­li­que, il pou­vait in­ter­cé­der pour son peu­ple en toute con­fiance et dans une grande au­then­ti­ci­té in­té­rieure. Ain­si, en ar­ri­vant à Ars, il n'avait eu qu'un cri, au pied du ta­ber­na­cle :"Mon Dieu, con­ver­tis­sez ma pa­roisse, et je suis prêt à souf­frir tout ce que vous vou­drez, tout le reste de ma vie." En en­ga­geant toute sa per­sonne dans sa de­mande, il s'as­so­ciait à l'ac­tion de Dieu qui, seule, pou­vait con­ver­tir le cœur de ses pa­rois­siens. Il se mon­trait plei­ne­ment so­li­daire avec eux. Et c'est bien ce qui l'a beau­coup af­fec­té dans les der­niè­res an­nées de son mi­nis­tère : il n'avait plus le temps de s'oc­cu­per d'eux.

Et c'est dans ce même es­prit qu'il sup­por­tait les heu­res in­ter­mi­na­bles de con­fes­sion. Ce qu'il souf­frait au con­fes­sion­nal était of­fert pour la con­ver­sion de ceux qui ve­naient re­ce­voir le par­don. Cer­tai­nes de ses con­fi­den­ces per­met­tent d'en­tre­voir les épreu­ves qu'il a ren­con­trées : "Je sè­che d'en­nui sur cette pau­vre terre, di­sait-il à un con­frère très pro­che ; mon âme est triste jus­qu'à la mort. Mes oreilles n'en­ten­dent que des cho­ses pé­ni­bles et qui me na­vrent le cœur. Je ne peux plus y te­nir. Di­tes-moi, se­rait-ce un grand pé­ché que de dés­obéir à mon Évê­que en par­tant d'ici dis­crè­te­ment ?" (Mon­nin t. 2, p. 271). "Mon Dieu, que le temps me dure avec les pé­cheurs ! Quand se­rai-je avec les saints ! On of­fense tant le Bon Dieu qu'on se­rait ten­té de de­man­der la fin du monde. Quand on pense, ajou­tait-il en pleu­rant à chau­des lar­mes, quand on pense à l'in­gra­ti­tude de l'homme en­vers le Bon Dieu, on est ten­té de s'en al­ler de l'au­tre côté des mers pour ne pas la voir." (Mon­nin t. 2, p. 273-74).

Le sens qu'il don­nait à ses mor­ti­fi­ca­tions ap­pa­rais­sait clai­re­ment quand il pro­po­sait une pé­ni­tence à ceux qui ve­naient d'être ab­sous. "Je sais, dit l'ab­bé Toc­ca­nier, qu'il ne don­nait aux pé­ni­tents que des pé­ni­ten­ces pro­por­tion­nées à leur fai­blesse, c'est-à-dire, en gé­né­ral, très fai­bles et qu'il s'ap­pli­quait à y sup­pléer par des pé­ni­ten­ces per­son­nel­les." Un jour que l'un d'en­tre eux ex­pri­mait sa sur­prise de­vant la lé­gè­re­té de ce que le curé d'Ars lui in­di­quait, ce­lui-ci lui ré­pon­dit : "Al­lez, al­lez, mon ami , je fe­rai le reste." Le Frère Atha­nase ajoute : « Le Saint Curé m'a dit une fois : "un pé­ni­tent me de­man­da pour­quoi je pleu­rais en en­ten­dant sa con­fes­sion - je pleure, ai-je ré­pon­du, parce que vous ne pleu­rez pas !" ». Au con­tact des pé­cheurs, di­sent ses bio­gra­phes, il était "un tré­sor de ten­dresse et de mi­sé­ri­corde".

 

On sait que le temps pas­sé au con­fes­sion­nal re­cou­vrait la plus grande par­tie de ses jour­nées, mais le cli­mat de mi­sé­ri­corde s'éten­dait, lui, à la to­ta­li­té de son exis­tence. C'était sa vie en­tière qui était de­ve­nue mi­sé­ri­corde. Et c'est pour­quoi il sou­li­gnait le dan­ger qui guet­tait le curé dans sa res­pon­sa­bi­li­té : "Ce qui est un grand mal­heur, pour nous au­tres cu­rés, c'est que l'âme s'en­gour­dit. Au com­men­ce­ment, on était tou­ché de l'état de ce ceux qui n'ai­maient pas Dieu ; après on dit : en voi­là qui font bien leur de­voir, tant mieux ! En voi­ci qui s'éloi­gnent des sa­cre­ments, tant pis ! Et l'on n'en fait ni plus ni moins." Avec le temps, en ef­fet, l'in­dif­fé­rence peut l'em­por­ter sur la pas­sion de trans­met­tre les bien­faits de la mi­sé­ri­corde. On fi­nit par se ré­si­gner ! La pré­oc­cu­pa­tion de ga­gner des âmes au Christ peut même s'éva­nouir. Chez le Curé d'Ars, la Pas­sion pour ce mi­nis­tère était si pro­fonde qu'il di­sait : "Je res­te­rai jus­qu'à la fin du monde !" Quel­ques heu­res avant de mou­rir, il con­fes­sait en­core !

Lais­sez-moi ter­mi­ner avec ces mots de Jean-Paul II qui était si pro­che du Saint Curé d'Ars. C'est en ces ter­mes qu'il s'adres­sait aux prê­tres, lors du Jeu­di Saint 1986, l'an­née où il se ren­dit à Ars :

"Le mi­nis­tère de la ré­con­ci­lia­tion reste sans doute le plus dif­fi­cile et le plus dé­li­cat, le plus fa­ti­gant et le plus exi­geant - sur­tout lors­que les prê­tres sont en pe­tit nom­bre. Il sup­pose aus­si, chez le con­fes­seur, de gran­des qua­li­tés hu­mai­nes, par-des­sus tout une vie spi­ri­tuelle in­tense et sin­cère ; il est né­ces­saire que le prê­tre re­coure pour lui-même ré­gu­liè­re­ment à ce sa­cre­ment.

Soyez-en tou­jours con­vain­cus, chers frè­res prê­tres : ce mi­nis­tère de la mi­sé­ri­corde est l'un des plus beaux et des plus con­so­lants. Il vous per­met d'éclai­rer les con­scien­ces, de leur ap­por­ter le par­don et de leur re­don­ner vi­gueur au nom du Sei­gneur Jé­sus, d'être pour el­les mé­de­cin et con­seiller spi­ri­tuel ; il de­meure "la ma­ni­fes­ta­tion ir­rem­pla­ça­ble et le test du mi­nis­tère sa­cer­do­tal." (Let­tre aux prê­tres pour le Jeu­di Saint 1986).

Père Guy Bagnard

Evêque de Belley-Ars

© Mgr Guy Bagnard 2008

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