1. De tous les miracles opérés par Notre-Seigneur Jésus-Christ, le plus célèbre est la résurrection de Lazare. Mais si nous en remarquons bien l'auteur, nous devrons bien plus nous en réjouir que nous en étonner. C'est celui qui a créé l'homme qui a ressuscité un homme; car il est le Fils unique du Père, et par lui, vous le savez, toutes choses ont été faites. Si donc c'est par lui qu'ont été faites toutes choses, y a-t-il rien d'étonnant à ce qu'un homme ait été ressuscité par lui, quand tant d'hommes naissent chaque jour par l'effet de sa puissance? C'est bien plus de créer les hommes que de les ressusciter. Cependant il a daigné créer et ressusciter; créer tous les hommes et en ressusciter quelques-uns. Car le Seigneur Jésus a fait beaucoup de choses; mais toutes n'ont pas été écrites; l'Evangéliste Jean lui-même nous atteste que le Seigneur Jésus a fait et dit beaucoup de choses qui n'ont pas été écrites (Jn 20, 30): on choisit de préférence, pour les écrire, les choses qui paraissaient suffire au salut des croyants. Tu as entendu que le Seigneur Jésus a ressuscité un mort: il te suffit de savoir que, s'il avait voulu, il aurait ressuscité tous les morts; mais il s'est réservé de le faire à la fin du monde. Car pour lui qui, comme vous l'avez appris, a par un grand miracle fait sortir vivant du tombeau un mort qui y était renfermé depuis quatre jours, "l'heure viendra", comme il dit lui-même, "où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et sortiront". Il a ressuscité un mort déjà tombé en putréfaction; mais cependant ce cadavre infect avait encore la forme de corps humain; mais au dernier jour, c'est avec des cendres que d'un seul mot il reconstituera des corps. Il fallait néanmoins qu'en attendant il fît quelques miracles qui nous fussent donnés comme des marques de sa puissance, afin que nous croyions en lui, et que nous nous préparions à cette résurrection, qui sera pour la vie et non pour la condamnation. Car voici ce qu'il dit: "L'heure viendra où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix et ceux qui auront bien fait sortiront pour la résurrection de la vie; ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement (Jn 5, 28-29)".
2. Nous lisons crans l'Evangile que trois morts ont été ressuscités par le Seigneur, et ce n'est assurément pas sans raison; car les oeuvres du Seigneur ne sont pas seulement des actions, elles sont aussi des signes. Si donc elles sont des signes, outre qu'elles ont un côté admirable, elles nous indiquent certainement aussi quelque chose de caché à nos yeux. Mais trouver ce que signifient ces actions offre parfois plus de difficulté que de les lire ou de les entendre. Nous écoutions avec admiration, comme en présence d'un grand miracle étalé à nos regards, lorsqu'on nous lisait dans l'Évangile de quelle manière Lazare a été ressuscité. Si nous y réfléchissons, par une opération bien plus admirable de Jésus-Christ, tout homme qui croit ressuscite: et si nous reportons notre attention sur tous ceux qui meurent, et si nous pensons au genre de mort le plus lamentable, celui qui pèche se fait mourir. La mort du corps, tout homme la craint, et la mort de l'âme, bien peu la redoutent. Pour la mort du corps, qui, sans aucun doute, doit arriver un jour, tous cherchent à l'empêcher de venir: c'est là tout leur travail. Il travaille à ne pas mourir, l'homme qui doit mourir, et l'homme qui doit vivre éternellement, ne travaille pas à ne point pécher, et lorsqu'il travaille à ne pas mourir, il s'occupe inutilement: car ce qu'il fait ne peut servir qu'à différer l'heure de la mort et non à l'éloigner tout à fait. Si, au contraire, il voulait ne pas pécher, il n'aurait pas tant de peine et il vivrait éternellement. Oh! si nous pouvions exciter les hommes et nous exciter nous-mêmes avec eux à aimer la vie permanente autant qu'ils aiment cette vie fugitive! Que ne fait pas l'homme tombé en danger de mort? En voyant le glaive suspendu sur leur tête, plusieurs ont livré ce qu'ils avaient en réserve pour assurer leur vie. Quel est celui qui n'aurait pas tout donné pour n'être pas frappé? Et après cet abandon peut-être a-t-il été frappé. Quel est celui qui, pour vivre, ne consentirait pas à l'instant à perdre ce qui le faisait vivre, préférant une vie de mendiant à une prompte mort? Quel est celui à qui l'on adit: Embarque-toi, si tu neveux pas mourir, et qui a hésité? Quel est celui à qui l'on a dit: Travaille, si tu ne veux pas mourir, et qui a été paresseux? Ils sont bien légers les ordres que Dieu nous donne pour nous faire obtenir une vie éternelle, et nous négligeons de lui obéir! Dieu ne te dit pas: Sacrifie tout ce que tu as, pour vivre pendant un temps bien court, et accablé de soucis; mais il dit: Donne aux pauvres une partie de ce que tu as, si tu veux vivre toujours et à l'abri de toute peine. Ils sont notre condamnation, les amateurs de cette vie temporelle qu'ils n'ont ni quand ils veulent, ni aussi longtemps qu'ils le veulent, et nous ne nous condamnons pas nous-mêmes, nous qui nous montrons si paresseux, si lâches à ne quérir la vie éternelle, que nous aurons si nous le voulons, et que nous ne perdions jamais quand nous l'aurons. Et cette mort que nous craignons tant, nous la subirons malgré nous.
3. Si donc le Seigneur par sa grâce et sa miséricorde infinie ressuscite nos âmes pour nous garantir de la mort éternelle, nous devons bien le comprendre, ces trois morts qu'il ressuscita dans leurs corps signifient quelque chose, et ils figurent la résurrection des âmes qui se fait par la foi. Il a ressuscité la fille du chef de la synagogue lorsqu'elle était encore étendue dans sa demeure (Mc 5, 41-42); il a ressuscité le jeune fils de la veuve qu'on portait déjà hors de la ville (Lc 7, 14-15); il a ressuscité Lazare enseveli depuis quatre jours. Que chacun examine l'état de son âme: si elle pèche, elle meurt; le péché, c'est la mort de l'âme. Mais quelquefois on pèche en pensée. Ce qui est mal t'a causé du plaisir. Tu as consenti, tu as péché. Ce péché t'a donné le coup de la mort; mais la mort est à l'intérieur, parce que la mauvaise pensée ne s'est pas réduite en acte. Voulant montrer qu'il ressusciterait cette âme, le Seigneur ressuscita cette jeune fille qui n'avait pas encore été portée dehors, mais qui gisait sans vie dans sa demeure, indiquant par là un péché caché. Toutefois, si tu ne t'es pas borné à consentir à la mauvaise pensée, mais qu'en outre tu aies fait le mal, tu as transporté le mort en dehors des portes; tu es dehors, et tu es emporté mort. Cependant le Seigneur ressuscita aussi ce mort et le rendit à sa mère qui était veuve. Si tu as péché, fais pénitence; et le Seigneur te ressuscitera et te rendra à l'Église, ta mère. Le troisième mort est Lazare. Il y a un genre de mort bien cruel: on l'appelle la mauvaise habitude; car autre chose est de pécher, autre chose est de contracter l'habitude du péché. Celui qui pèche et qui se corrige aussitôt, revient bien vite à la vie; comme il n'est pas encore enlacé par l'habitude, il n'est pas encore enseveli. Mais celui qui a l'habitude de pécher est enseveli, et l'on dit de lui avec raison: Il sent mauvais. Car il commence à avoir une mauvaise réputation, qui se répand autour de lui comme une odeur insupportable. Tels sont tous ceux qui s'accoutument aux crimes, qui sont perdus de moeurs. Tu lui dis: N'agis pas ainsi; est-ce qu'il t'entend, celui que la terre étouffe, que la corruption déjà gagné et qui est écrasé sous le poids de l'habitude? Et cependant, même ce dernier, Jésus-Christ est assez puissant pour le ressusciter. Nous avons connu, nous avons vu, et nous voyons tous les jours des hommes qui, renonçant à une habitude criminelle, vivent ensuite beaucoup mieux que ceux qui les reprenaient. De tels hommes peut-être te faisaient horreur. Vois la soeur même de Lazare (si toutefois c'est elle qui couvrit de parfums les pieds du Seigneur, et les essuya avec ses cheveux après les avoir arrosés de ses larmes), cette soeur de Lazare fut plus avantageusement ressuscitée que son frère. Elle fut délivrée du poids énorme de ses habitudes criminelles. C'était en effet une pécheresse célèbre, et d'elle il a été dit: "Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a aimé beaucoup (Lc 7, 47)". Nous en voyons beaucoup, nous en avons connu beaucoup qui ont été ainsi ressuscités; que personne ne désespère, mais que personne ne se laisse aller à la présomption. Si le désespoir est un mal, la présomption en est aussi un. Evite le désespoir et ne choisis point ce qui pourrait te donner de la présomption.
4. Le Seigneur ressuscita donc Lazare; vous avez entendu en quel état il était, c'est-à-dire ce que signifie sa résurrection. Continuons donc à lire; et comme dans ce récit beaucoup de choses sont très-claires, nous ne donnerons point l'explication de chaque passage, afin de pouvoir traiter plus au long ce qu'il est nécessaire d'expliquer. "Or, il y avait un malade nommé Lazare, de Béthanie, dans la demeure de Marie et de Marthe, ses soeurs". Vous vous souvenez que, dans la dernière lecture, le Seigneur s'échappa des mains de ceux qui voulaient le lapider, et qu'il se retira au-delà du Jourdain, au lieu où Jean baptisait (Jn 10, 39-40). Pendant que le Seigneur était là, Lazare était malade à Béthanie, bourg rapproché de Jérusalem.
5. "Or, Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et qui essuya ses pieds avec ses cheveux, et son frère Lazare était malade. Ses soeurs envoyèrent donc vers Jésus, disant". Nous avons déjà compris où elles envoyèrent; c'était là où se trouvait le Seigneur, car il était absent, et il se trouvait au-delà du Jourdain. Elles envoyèrent vers le Seigneur, lui annonçant que leur frère était malade, afin qu'il vînt, s'il le voulait bien, et qu'il le délivrât de sa maladie. Mais le Christ différa de le guérir, afin de pouvoir le ressusciter. Que lui firent donc dire les soeurs de Lazare? "Seigneur, celui que vous a aimez est malade"; elles ne lui dirent pas: Venez. Comme il aimait Lazare, il suffisait de lui annoncer qu'il était malade. Elles n'osèrent pas lui dire: Venez et guérissez-le; elles n'osèrent pas lui dire: Commandez du lieu où vous êtes, et il sera fait ici comme vous l'ordonnerez. Mais pourquoi n'osèrent-elles pas le faire, puisque ce fut précisément là le motif pour lequel la foi du centurion mérita des éloges? Le centurion dit en effet: "Je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, mais seulement dites une parole et mon serviteur sera guéri (Mt 8, 8-10)". Elles ne lui dirent rien de pareil, mais seulement ceci: "Seigneur, celui que vous aimez est malade". Il suffit que vous le sachiez, car ceux que vous aimez vous ne les abandonnez pas. Mais, dira quelqu'un, comment Lazare peut-il figurer le pécheur, puisque le Seigneur l'aimait si tendrement? Que celui-là écoute le Seigneur, car il nous dit: "Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (Mt 9, 13)". Si Dieu n'avait pas aimé les pécheurs, il ne serait pas descendu du haut du ciel sur la terre.