Dimanche dernier, avec le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, nous avons entendu Jésus annoncer le don de l'eau vive. Aujourd'hui, avec l'aveugle-né, c'est l'eau de la piscine de Siloé (= "envoyé") qui va lui donner la lumière. Mais à la différence de dimanche dernier, nous sommes aujourd'hui en milieu juif, près du Temple, un jour du sabbat. La guérison que Jésus accomplit est un signe qui nous montre que le Seigneur vient guérir les hommes de leur aveuglement en leur apportant la lumière. Les interprétations divergent. Les voisins, et surtout les pharisiens en discutent. Jésus rendra son jugement à la fin :
Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : "Nous voyons !" votre péché demeure.
Saint Augustin souligne la portée baptismale de cette eau en commentant :
Il lava ses yeux dans la piscine de l'Envoyé, il fut baptisé dans le Christ.
Le passage dans l'eau du baptême nous fait passer des ténèbres du péché à la lumière du Christ et nous ouvre, par la foi, à la grâce de Dieu. L'Église nous l'enseigne :
"Ce bain (du baptême) est appelé illumination, parce que ceux qui reçoivent cet enseignement (catéchétique) ont l'esprit illuminé" (saint Justin). Ayant reçu dans le Baptême le Verbe, "la lumière véritable qui illumine tout homme" (Jn 1, 9), le baptisé, après avoir été illuminé est devenu fils de lumière, et "lumière" lui-même (Ép 5, 8). (CEC 1216)
C'est aux Éphésiens déjà baptisés que saint Paul rappelait cela. C'est à nous que le Seigneur le dit aujourd'hui.
Autrefois, vous étiez ténèbres ; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière ...
"Autrefois", cela veut dire : avant votre baptême. "Maintenant", c'est après le baptême. "Vous êtes devenus lumière" : nous sommes bien d'accord. Mais ce n'est pas tout. Saint Paul continue :
... vivez comme des fils de la lumière,
Vivre comme des fils de la lumière, qu'est-ce à dire ? Saint Paul va le préciser. Il s'agit d'avoir une fécondité spirituelle, un peu comme la lune par rapport au soleil :
... or la lumière produit tout ce qui est bonté, justice et vérité - et sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres, elles ne produisent rien de bon ; démasquez-les plutôt.
Ce n'est pas par un uniforme que les chrétiens se distinguent des autres. Dès le 1er siècle, la foi chrétienne s'est répandue rapidement à Rome et dans le monde, non seulement par son originalité et son universalité, mais aussi et surtout par le témoignage de ferveur, d'amour fraternel et de charité envers tous, manifesté par les chrétiens.
Or, les autorités civiles et le peuple même, d'abord indifférents, se sont montrés très vite hostiles à la nouvelle religion, parce que les chrétiens refusaient le culte de l'empereur et l'adoration des divinités païennes de Rome. Pour cette raison, les chrétiens ont été accusés de manque de loyauté envers la patrie, d'athéisme, de haine envers le genre humain, de délits occultes comme l'inceste, l'infanticide et le cannibalisme rituel. Les chrétiens ont été accusés d'être la cause des calamités naturelles, telles que la peste, les inondations, les famines, etc.
La religion chrétienne a été déclarée étrange et illicite (décret sénatorial de l'an 35), pernicieuse ("exitialis", Tacite), perverse et excessive ("prava et immodica", Pline), neuve et maléfique ("nova et malefica", Suétone), obscure et ennemie de la lumière ("tenebrosa et lucifuga", de l'Octavius de Minucius), détestable ("detestabilis", Tacite). Elle a donc été mise hors la loi et poursuivie comme l'ennemi le plus dangereux du pouvoir romain, qui était fondé sur l'ancienne religion nationale et sur le culte de l'empereur, instrument et symbole de la puissance et de l'unité de l'Empire. On reconnaît sans peine la situation de l'aveugle-né de l'évangile :
Et ils le jetèrent dehors.
On peut y reconnaître également les attaques du laïcisme contre l'Église catholique notamment en France ...
Les trois premiers siècles ont été l'époque des martyrs, qui s'achève en 313 avec l'édit de Milan, par lequel les empereurs Constantin et Licinius concédèrent la liberté à l'Église. Dans la très grande majorité des cas, les chrétiens ont affronté avec courage, souvent avec héroïsme, l'épreuve des persécutions, sans toutefois la subir passivement. Ils se sont défendus avec force en dénonçant le manque de fondement des accusations de délits occultes ou publics qui leur étaient adressées, en présentant la teneur de leur foi ("ce en quoi nous croyons") et en décrivant leur identité ("qui nous sommes"), exactement comme l'avait fait l'aveugle-né devant les pharisiens.
Aujourd'hui encore, et plus que jamais, pour beaucoup, le baptême d'eau entraîne inexorablement le baptême de sang, par exemple en Irak.
Dans les "Apologies" (plaidoyers de défense) des écrivains chrétiens des premiers siècles, adressées aux empereurs, les chrétiens demandaient de ne pas être condamnés injustement, sans être entendus et sans preuves. Le principe de la loi sénatoriale ("Non licet vos esse" - Il ne vous est pas permis d'exister) était jugé injuste et illégal par les Apologistes, parce que les chrétiens étaient d'honnêtes citoyens, respectueux des lois, dévoués à l'empereur, actifs et exemplaires dans la vie privée et publique.
Les catacombes contiennent le témoignage et la confirmation de la vie admirable des chrétiens, telle qu'elle est décrite par les apologistes. Dans la Lettre à Diognète (apologie d'un auteur inconnu des 2°-3° siècles), il y a comme une carte d'identité des chrétiens des premiers temps (voir textes durant la semaine).
Nous avons la chance de pouvoir accompagner les enfants qui cheminent vers le baptême dans notre paroisse sans être persécutés, du moins ouvertement et de manière sanglante. Mais les chrétiens, aujourd'hui, y compris chez nous, doivent souvent faire face aux critiques, aux moqueries, aux quolibets, non seulement de l'extérieur mais aussi de l'intérieur, de la part d'autres chrétiens ! L'aveugle-né, une fois guéri, sans crainte des pharisiens, leur répond avec son simple bon sens et il proclame sa foi en Jésus, le Fils de Dieu, contrairement à ses parents, qui ne veulent pas trop se mouiller. Nous aussi, plongés dans l'eau du baptême, nous avons reçu la lumière du Christ, et nous devons proclamer notre foi en lui.
Si le Carême est bien le temps de la préparation ultime des catéchumènes, il est aussi pour tous les baptisés le temps de la conversion qui prépare à la grande fête pascale. L’un, d’ailleurs, ne va pas sans l’autre : c’est parce qu’il est "temps de la purification et de l’illumination" pour ceux qui s’apprêtent à recevoir les sacrements de la Pâque, que le Carême est "temps d’effort, de prière et de partage" pour tous les fidèles qui s’apprêtent à être renouvelés dans leur existence de baptisé.
Aussi, c’est une chance pour nos paroisses, que des catéchumènes se préparent au baptême. Grâce à eux, grâce à leur démarche, aux rites qui leurs sont destinés ce matin, nous pouvons tous entrer davantage dans le mystère du salut que nous offre le Christ et que nous célébrons à Pâques. La possibilité pour recevoir le pardon du Seigneur dans le sacrement de pénitence nous sera largement offerte ces prochaines semaines. Ne manquons pas d'en profiter.
Avec les catéchumènes, chacun est ensuite appelé à faire des choix dans sa vie pour mieux suivre le Christ, au-delà de ses faiblesses et de ses misères. Pour les catéchumènes, nous sommes tous invités à marcher à leur côté, à les soutenir, à les accompagner, à commencer, bien sûr, par leurs parents, parrains et marraines, et leurs catéchistes. Mais pas eux tous seuls !
Je rappelle que quand on se marie ou quand on demande le baptême pour ses enfants, on s'engage solennellement à prendre au sérieux l'éducation religieuse de ces enfants, et ceci dès leur plus jeune âge, par la parole et par l'exemple, par la participation fidèle à l'eucharistie dominicale, par une vie chrétienne authentique. Pour aider les parents il faut aussi des catéchistes. Il faut des parents pour aider les autres parents. Je l'ai déjà dit et répété : nous manquons de catéchistes !
Il faut aussi que les parents et les catéchistes eux-mêmes, pour qu'ils puissent aider les enfants à grandir dans la foi, et à avancer vers la lumière, acceptent de se former en permanence.
Pour terminer je vous laisse méditer cette parole de saint Jean (3, 20-21) :
Tout homme qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses oeuvres ne lui soient reprochées ; mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses oeuvres soient reconnues comme des oeuvres de Dieu.