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Publié par dominicanus

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   Après le désert, la faim et ses tentations, après la Montagne et la contemplation de la Transfiguration, nous voici, en ce troisième dimanche de Carême, auprès d'un puits. Il est midi. Jésus a soif. C'est normal. La Samaritaine aussi. Ce qui n'est pas normal, c'est qu'elle vient puiser de l'eau en plein soleil. Tout le monde fait cela tôt le matin, ou en fin de journée, lorsque le soleil se fait moins ardent.


    De quelle soif s'agit-il ? D'une soif d'eau, bien sûr. Mais tout l'art de saint Jean consiste à suggérer, au-delà de cette soif d'eau, une autre soif : la soif d'une eau encore plus indispensable. Plus loin dans le récit, nous apprenons que cette femme, une Samaritaine, a eu une vie sentimentale plutôt tumultueuse, comme on dirait aujourd'hui. Comme tout le monde, elle avait eu soif d'être aimée. Personne n'a pu désaltérer cette soif (et elle-même n'a pu désaltérer la soif de personne). Au contraire, plus elle avançait dans sa vie, plus elle faisait l'expérience de ce manque d'amour. Alors que le milieu de l'époque ne tolérait tout au plus que trois mariages successifs, elle avait passé dans les bras de six hommes différents, et elle en était restée de plus en plus frustrée. Jésus va lui révéler quelle est l'eau capable de désaltérer sa soif fondamentale et qu'aucun homme ne pourra lui donner, cette eau qu'elle n'avait même pas eu idée de demander : c'est le don de Dieu.


    Mais il y a ici plus qu'une simple question de morale conjugale et sexuelle. Par un détour inattendu, le dialogue prend subitement une autre tournure, qui rejoint d'une autre manière l'attente secrète de cette femme. Du fait que Jésus lui a dévoilé son comportement répréhensible, alors qu'il ne la connaissait pas, cette femme voit en lui un prophète. C'est pourquoi, elle lui soumet spontanément une question religieuse, à première vue sans aucun rapport avec sa vie sentimentale. Pourtant le désordre sexuel de cette femme va évoquer l'infidélité religieuse du peuple des Samaritains tout entier. Ses aventures conjugales (et extra-conjugales) évoquent l'infidélité religieuse des Samaritains. Les cinq maris correspondent aux cinq divinités introduites en Samarie après la conquête des Assyriens en 721. Dans la Bible, la compromission avec les cultes païens en abandonnant la foi au Dieu unique et un revient à vivre dans l'adultère. En invitant la femme à "appeler" son mari, Jésus la provoque à invoquer de nouveau le vrai Dieu. En lui répondant : "Je n'ai pas de mari", la femme avoue donc son a-théisme. Elle est sans Dieu, comme elle est sans mari, et le dieu qu'elle adore n'est pas son Dieu. La Samarie n'a pas de mari. C'est le peuple juif que Dieu a épousé. C'est avec ce peuple qu'il a fait alliance.


    La soif de la femme n'était donc pas seulement matérielle, ni même simplement sentimentale, mais spirituelle. Jésus ne fait que l'aider à exprimer cette soif-là, en l'invitant ensuite, elle et son peuple, à passer d'un culte païen lié à un endroit, aussi vénérable qu'il soit, à l'adoration du Père en esprit et vérité, en esprit parce qu'en vérité. En d'autres mots, une adoration n'est authentique que si elle est produite par l'Esprit Saint qui dit la Vérité du Christ. C'est donc une adoration trinitaire.


    L'eau vive et l'adoration du Père ne sont donc pas des réalités différentes. L'eau vive symbolise la révélation de Jésus et, tout autant, de l'Esprit Saint. La véritable adoration est le fruit de cette révélation. Voilà le don que nous recevons au baptême. Ce que Dieu attend, ce que le Père cherche en ceux qui sont baptisés, c'est la louange et l'action de grâce, non pas seulement en paroles, en certains endroits et à certains moments, mais dans notre vie tout entière, toujours et partout. En recevant la révélation du Dieu unique et un, adoré en esprit et vérité, comment encore vivre dès lors dans les désordres moraux de toute sorte ?


    La séparation entre la foi (le dogme) et la morale, entre les vertus théologales et les vertus morales, est toujours fallacieuse, une sorte de schizophrénie. La foi catholique sans morale serait comme une âme sans corps ; une morale sans dogme comme un corps sans âme. La morale chrétienne ne se réduit pas à un ensemble de règles déduites de quelques principes abstraits (des 'valeurs', comme on dit maintenant), plus ou moins communément admis, mais toujours négociable. La morale chrétienne, c'est le chemin pour connaître Dieu, pour comprendre quelles sont ses vues sur l'homme, et pour comprendre comment les hommes doivent être à la gloire de Dieu, selon ce qu'écrit saint Paul aux Romains (12, 1) :
 
Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c'est là pour vous l'adoration véritable.

 


    À la fin de son dialogue avec Jésus, ce n'est pas avec une simple formule de circonstance que la femme exprime sa foi nouvelle. C'est en laissant la cruche qui lui servait pour puiser l'eau du puits de Jacob, puisqu'elle n'en avait plus besoin (4, 15). La cruche dit, sans paroles, que la Samaritaine ne compte plus que sur la promesse de Jésus, qu'elle s'en remet totalement à lui.

    C'est par une vie droite, fondée sur une confiance absolue en Jésus, que nous aussi, nous proclamerons aux autres quelle est notre foi.



    Saint Paul, après avoir expliqué ce qu'est l'adoration véritable, précise :
 

Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. (Rm 12, 2)

    Par son exemple et son enseignement, Jésus nous montre aussi qu'agir ainsi, c'est en même temps pour nous une nourriture, une nourriture que nous ne connaissons pas, mais que nous devons apprendre à connaître :
 
Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre.

 


    La foi de notre baptême, c'est une foi droite qui agit de manière droite. Saint Paul, en se présentant comme Apôtre de Jésus Christ, affirme qu'il est "chargé de conduire ceux que Dieu a choisis vers la foi et la connaissance de la vérité dans une religion vécue" (Tt 1, 1).
 


    Je voudrais terminer en citant un passage d'un livre du chanoine Lallement, intitulé "Vivre en chrétiens dans notre temps" :
 

On n'a pas compris ce qu'est le christianisme - et donc pas non plus ce qu'est la morale chrétienne - tant que l'on pense plus ou moins confusément qu'être chrétien, c'est seulement, ou principalement, une certaine manière de vivre avec Jésus une vie de la terre. Vivre avec Jésus une vie d'homme sur la terre, cela même n'est vraiment compris que si l'on sait que le Christ est venu nous ouvrir à une vie proprement divine, ou pour employer un langage précis : à une vie théologale. (...)

Les Chrétiens les plus simples, qui ont vraiment un sens surnaturel par l'action de l'Esprit-Saint, même s'ils n'ont pas de formation théologique, savent que vivre avec Jésus, vivre de la grâce de Jésus, c'est surtout une certaine intimité avec le Père des cieux, notre Père. Ces chrétiens sont conduits pas l'Esprit de charité théologale dans le détail de leur vie humaine personnelle et sociale. Et c'est ainsi que vitalement ils pratiquent avec amour, avec divin amour, la morale chrétienne. C'est infiniment autre chose qu'un certain conformisme à des règles de convenance, à des habitudes d'un certain milieu.

À la condition qu'il y ait toujours ce même simple amour filial, cette charité se nourrit mieux encore cependant d'une connaissance plus approfondie de la Révélation, connaissance que donne une vraie théologie. Alors nous discernons que l'intention de Dieu pour l'homme est ceci : faire partager sa propre vie divine, le propre bonheur éternel, divin, des Personnes de la Sainte-Trinité, par des personnes qui sont aux prises avec toutes les difficultés, toutes les contingences de la matière.

 


    C'est cela, je crois, qui est admirablement résumé dans la préface de ce jour et que je vous invite à retenir :
 

En demandant à la Samaritaine de lui donner à boire, Jésus faisait à cette femme le don de la foi. Il avait un si grand désir d'éveiller la foi dans son coeur, qu'il fit naître en elle l'amour même de Dieu.

Puisse ce désir de Jésus se réaliser aussi en chacun de nous. Amen.





 
La Samaritaine: Vous tous qui avez soif, venez boire à la source du baptême - Homélie 3ème dimanche du Carême A
La Samaritaine: Vous tous qui avez soif, venez boire à la source du baptême - Homélie 3ème dimanche du Carême A
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