Il s'agit de Vito Mancuso, auteur d'un livre à grand succès recommandé par le cardinal Martini. On n'y trouve plus ni péché, ni rédemption et l'homme se sauve
lui-même. Après des mois de silence, le double holà des autorités du Vatican. Voici les textes intégraux
par Sandro Magister
ROMA, le 8 février 2008 – Un même jour du début de ce février, "L’Osservatore Romano " et "La Civilità Cattolica" – le journal officiel du Saint-Siège et la revue contrôlée ligne à ligne par la secrétairerie d’état du Vatican – ont l’un et l’autre critiqué très sévèrement un livre qui est devenu une affaire éditoriale, théologique et ecclésiale. En Italie et ailleurs.
Le livre est "L’anima e il suo destino", de Vito Mancuso. Les deux diatribes sont parues simultanément dans deux titres qui font autorité. C’était le 2 février, fête de la présentation de Jésus.
En quelques mois, "L’anima e il suo destino" a connu sept éditions, pour un total de 80 000 exemplaires vendus en Italie, ce qui est énorme pour un livre de théologie.
Vito Mancuso, 46 ans, marié et père de famille, enseigne la théologie moderne et contemporaine à la faculté de philosophie de l’Université San Raffaele à Milan, un établissement privé sans liens institutionnels avec l’Eglise. Il a obtenu son doctorat de théologie à l’Université Pontificale du Latran. Sa thèse, sous la direction du président de l’Association théologique italienne, Piero Coda, est devenue son premier livre: "Hegel teologo e l'imperdonabile assenza del Principe di questo mondo", publié en 1996. Un ouvrage qui a reçu un bon accueil – tout comme son deuxième livre, "Il dolore innocente. L'handicap, la natura e Dio", sorti en 2002 – de théologiens confirmés et à l’orthodoxie certaine tels que Gianni Baget Bozzo et Bruno Forte. Ce dernier est membre de la commission théologique internationale qui seconde la congrégation pour la doctrine de la foi. Ordonné évêque en 2004 par le cardinal Joseph Ratzinger, il est archevêque de Chieti et Vasto et préside la commission pour la théologie et la culture de la conférence des évêques d’Italie.
C’est justement l’archevêque-théologien Forte qui critique avec force le dernier livre de Mancuso dans "L’Osservatore Romano" du 2 février.
Sa conclusion est lapidaire: "Ce n’est pas de la théologie chrétienne, c’est de la ‘gnose’, de la prétention à se sauver de soi-même".
Pourtant les nombreux lecteurs ayant acheté "L'anima e il suo destino" trouveront en début d’ouvrage la préface d’un autre archevêque de très grande renommée, le cardinal jésuite Carlo Maria Martini, qui recommande vivement de lire ce livre, même s’il reconnaît y trouver des idées "qui ne sont pas toujours en accord avec l’enseignement traditionnel et parfois avec l’enseignement officiel de l’Eglise".
Le cardinal poursuit ainsi, en s’adressant familièrement à l’auteur:
"Il sera difficile de parler de ces sujets sans tenir compte de ce que tu as dit avec une pénétration courageuse [...] Même ceux qui estiment avoir des références très solides peuvent lire tes pages avec profit, car ils seront au moins amenés à remettre leurs certitudes en question ou à les approfondir, les éclaircir, les confirmer”.
Martini ne précise pas quels sont les points qui se détachent de la doctrine catholique.
En revanche ”L’Osservatore Romano” et ”La Civiltà Cattolica” l’écrivent noir sur blanc. Selon cette dernière revue, on trouve dans le livre ”autour d’une douzaine” de dogmes ”niés” ou ”vidés”. Tous sont de première importance.
Dans ”L’Osservatore Romano”, Bruno Forte est tout aussi virulent. Selon lui, le livre de Mancuso anéantit le péché originel, la résurrection du Christ, l’éternité de l’enfer et le salut venant de Dieu. La thèse de l’ouvrage est que l’homme se suffit à lui-même et se sauve lui-même, à la lumière de sa seule raison.
Mancuso, qui se dit catholique, est conscient du séisme qu’il a provoqué. Mais son but avoué est justement de "refonder" la foi chrétienne. Dans un article publié le 22 janvier dans le quotidien "il Foglio", il rejette aussi le dogme de la création et la doctrine d’"Humanae Vitae" sur la contraception, à laquelle il oppose l’argument suivant:
"Il convient de regarder la réalité en face, comme elle est et non comme l’on voudrait qu’elle fût. La réalité, c’est que les rapports sexuels ont lieu largement hors mariage et précocement".
Ce à quoi le père Baget Bozzo – qui fut un temps son admirateur – a répondu, dans le même journal:
"Cher Vito, quand on a une conception si basse de la théologie, quel sens y a-t-il à se définir encore comme un théologien, sinon pour promouvoir le produit?".
Les deux critiques parues dans "L'Osservatore Romano" et "La Civiltà Cattolica" sont reproduites plus bas. La seconde a pour auteur le jésuite Corrado Marucci, professeur d’exégèse biblique à l’Institut Pontifical Oriental.
La congrégation pour la doctrine de la foi ne s’est pas directement occupée de cette affaire dans la mesure où Mancuso n’a pas de liens institutionnels avec l’Eglise et n’enseigne pas dans une université ecclésiastique.
Le risque était qu’un silence des autorités de l’Eglise donne à penser que les thèses du livre sont inoffensives voire même appréciables et donnant l’occasion d’un débat fructueux, comme le recommande le cardinal Martini dans sa préface.
"L’Osservatore Romano" et "La Civiltà Cattolica" ont rompu le silence et fourni des indications faisant autorité sur ce qui est conforme ou non à la doctrine catholique et à une manière correcte de faire de la théologie.
Une théologie qui a produit l’an dernier en Italie pas seulement le succès éditorial discutable qu’est "L’anima e il suo destino", mais un chef-d’œuvre d’intelligence de la foi: l’essai intitulé "Ingresso alla bellezza", d’Enrico Maria Radaelli.
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