Continuons sans fléchir d'affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis. (He 10, 23)Aujourd'hui, nous entendons une voix nous dire :
Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ... C'est lui, le Fils de Dieu.
Je vous invite à écouter cette voix. C'est celle de Jean, le Baptiste, qui se présente comme témoin oculaire. L'Évangile ne nous demande pas des choses compliquées : seulement d'écouter, et de voir : "Voici" ! Ce n'est plus le temps de "préparer les chemins du Seigneur". C'est le temps du "voici".
"Nous avons été sauvés, mais c'est en espérance ; voir ce qu'on espère, ce n'est plus espérer", dit saint Paul (Rm 8, 24). Mais l'espérance nous aide quand même à ouvrir les yeux et à voir celui qui vient nous sauver, non pas dans le passé, ni dans l'avenir, mais aujourd'hui : voici !
Jean lui-même apparaît comme celui qui "a vu", qui "voyait", qui "verra". En fait, quatre verbes différents sont employés en grec, quatre verbes qui suggèrent les progrès du regard de Jean. C'est d'abord un regard attentif (Blépô) sur Jésus (v. 29) ; ensuite un regard contemplatif (Théaumaï) sur l'Esprit Saint qui descend du ciel (v. 32) ; de là vient cette connaissance "de visu" (Eidô) qui lui permet de rendre le témoignage de celui qui a vu (Oraô), dans tous les sens, physique, contemplatif et mystique du mot (v. 34).
C'est toute l'espérance d'Israël qui est comme personnifiée par Jean. C'est aussi notre espérance, même si nous n'en sommes pas conscients, même si nous faisons tout pour ne pas nous en rendre compte. Car, en fait, qu'est-ce que nous espérons tous ? Ce n'est pas facile de répondre à cette question. Si vous deviez répondre - maintenant, tout de suite - à la question : "Qu'est-ce que vous attendez ? Qu'est-ce que vous espérez ?" devant un micro de la radio, ou devant la caméra de la télévision, vous seriez sans doute bien embarassé pour répondre. Vous diriez peut-être un certain nombre de choses qui vous passent par la tête pour ne pas perdre la face, pour ne pas avoir l'air bête. Mais ce seraient des choses superficielles. Vous ne diriez sans doute pas que vous attendez l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ...
C'est que nous ne vivons pas dans un désert, nous, mais dans une société de consommation. C'est très différent ! Dans le désert on n'est pas encombré par des futilités. Le désert, c'est le lieu de l'essentiel, où l'espérance est comme une respiration profonde de tout notre être. Nous, nous habitons le lieu des futilités, ce qui fait que nous ne savons pas respirer. Nous pouvons penser ici au "Petit Prince" de Saint-Exupéry. Vous en avez entendu parler, je pense. C'est une oeuvre littéraire toute simple, mais profonde. "L'essentiel est invisible aux yeux." Vous avez tous entendu au moins une fois cette phrase. "On ne voit bien qu'avec le coeur." Comme on ne respire bien qu'avec son ventre.
Vous voyez : je vous parle de choses toutes simples : voir, respirer. C'est incroyable, le nombre de gens qui ne savent pas respirer ! J'ai déjà eu l'occasion de vous dire que pour bien chanter, il faut apprendre à bien respirer. Il y a des chanteurs, des choristes, qui ont une très jolie voix, mais leur chant manque de souffle, parce qu'ils ne savent pas respirer. Ils sont donc vite "es-soufflés" et sont obligés de "reprendre" souffle à tout bout de champ, après quelques notes, même en plein milieu d'une note. Ca donne un chant saccadé. Ce n'est pas beau.
Eh bien, dans l'évangile d'aujourd'hui, en ce début du Temps Ordinaire, c'est cela, je crois, qui nous est proposé : apprendre à respirer, tout simplement. La respiration d'un chrétien, c'est de voir avec les yeux de Jean, le témoin. Jean est celui qui "regarde Jésus". Ce n'est pas en nous regardant nous-mêmes que nous allons voir notre péché. C'est en regardant Jésus.
Pour voir Jésus avec les yeux de Jean, nous devons écouter son témoignage. L'évangéliste qui raconte cela a été son disciple. Il a suivi cette école de la respiration et du regard. Il a écouté Jean longuement, dans le désert, pas seulement en passant. Et quand il a vu Jésus et quand il entendu la parole de Jean, il a compris que Jésus était la réponse à ses aspirations-respirations les plus profondes.
Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ... C'est lui, le Fils de Dieu.
Nous qui vivons toujours entourés d'une mulititude de gens, quand nous ne nous sentons pas bien, nous pouvons toujours dire que c'est la faute aux autres. C'est à cause de la pollution. Ce sont les autres qui polluent. Ce n'est pas moi. Quand je roule en voiture, je ne suis pas seul sur la route. Il y a des voitures devant et derrière. Quand, devant moi, il y a une voiture, ça sent les gaz d'échappement, surtout dans une montée ou pendant une accélération. C'est gênant ! Et je me dis : quel pollueur, celui-là ! Il y a des chances que ce soit exactement la réflexion que se fait le chauffeur de la voiture qui me suit en pensant à moi ...
Il y a des gens qui viennent se confesser et qui ne font que parler de la voiture qui est devant eux. Ils ne parlent pas de leur propre voiture. Quand on vit en société, et qu'il y a des problèmes, on se dit toujours que c'est la faute aux autres. Parfois on s'en prend même à Dieu. Dans le désert, dès qu'on est seul et qu'on réfléchit un peu, on se rend compte que ce n'est pas vrai. Quand on n'est pas bien, on voit bien que ça ne tient pas debout. On est obligé de dire : "C'est chez moi qu'il y a quelque chose qui ne va pas !"
En fait, la plupart du temps, on n'est même pas capable de cela. Il faut que quelqu'un nous le dise. Même dans un désert, on peut encore rejeter la faute sur les autres, sur son passé, par exemple, sur ses parents, ses professeurs d'école, etc... Quand quelqu'un nous met devant la vérité, on a le choix. Soit on écoute et on réfléchit ; soit on se bouche les oreilles, et on reste avec nos mensonges. Ce n'est pas facile d'écouter quand ça nous dérange, quand cela nous ébranle dans nos fausses sécurités, quand l'image que nous nous faisons de nous-mêmes en prend un coup. On dit que le prédicateur est quelqu'un qui nous culpabilise, un moralisateur. On dit même que c'est l'Église qui a inventé le péché pour pouvoir mieux "tenir" les gens. Quand Jean nous met devant la réalité de nos péchés, il ne dit pas : "Voici vos péchés. Il n'y a plus d'espoir". Il ne dit pas non plus : "Le péché n'existe pas. Mais voici Jésus, un agneau tout doux, tout gentil. Vous pouvez lui faire un petit câlin. Il sera content." Il dit :
Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ... C'est lui, le Fils de Dieu.
L'Agneau, dans la Bible, c'est la victime offerte pour les péchés, sacrifiée à notre place. En le mangeant, nous sommes innocentés, réconciliés avec Dieu. On a fait remarquer aussi qu'en araméen, Agneau se dit : "Talya", qui veut dire entre autres : "Serviteur". En ce sens Jean reconnaît en Jésus celui qui était annoncé dans le Livre d'Isaïe (voir 1° lect.). Jésus se fera Serviteur jusqu'à se sacrifer pour nous comme l'Agneau qu'évoquaient tous les autres sacrifices.
Le péché (au singulier) que cet Agneau vient enlever, c'est le refus de l'enseignement que le Christ nous transmet de la part de Dieu, c'est le refus d'ouvrir les yeux, la volonté de rester aveugle. Quand saint Jean parle du péché dans son évangile, c'est ça. Jésus n'est pas venu pour les bien portants, ni pour les justes. On ne peut parler de lui sans parler du péché. Celui qui nie le péché ne peut pas "voir" (= connaître) Jésus. Jésus ne fait pas ce que font certaines personnes avec leur chien quand il a fait ses crottes là où il ne faut pas : il prennent le chien par la peau du cou pour lui frooter le museau dans ses crottes. Quand Jésus vient vers nous, il nous montre notre péché, celui qu'on ne veut pas voir, pour l'enlever. À nous de nous laisser ouvrir les yeux par lui. Pour l'Esprit Saint, c'est la même chose. Jésus dit de lui:
Quand il viendra, il dénoncera l'erreur du monde sur le péché ... Il montrera où est le péché, car l'on ne croit pas en moi. (Jn 16, 8.9)
Tout à l'heure, nous chanterons ensemble :
Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous.En réponse à notre triple invocation, le prêtre dira :
Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous.
Agneau de Dieu qui enlèves le péché du monde, donne-nous la paix.
Voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde
Et vous répondrez :
Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole, et je serai guéri.À chacun de nous, alors, d'aller vers Jésus et de lui dire : "C'est vrai : voici mon péché ..."
Alors nous pourrons dire avec le Psalmiste :
Je t'ai fait connaître ma faute, je n'ai pas caché mes torts. J'ai dit : « Je rendrai grâce au Seigneur en confessant mes péchés. » Et toi, tu as enlevé l'offense de ma faute. (Ps 31, 5)Oui, vraiment :
Heureux l'homme dont la faute est enlevée, et le péché remis ! (v. 1)