Une première visite historique a eu lieu entre le pape François et le métropolite Epiphane, primat de l'Eglise orthodoxe d'Ukraine ( EOCU ), au début du mois. Le chef de l'Eglise ukrainienne indépendante a remercié le pape pour ses efforts humanitaires et a souligné l'importance de ses prières pour la paix et de celles de millions de chrétiens à travers le monde.
Pendant quatre jours, les représentants de l'Eglise ukrainienne ont suivi un programme chargé qui comprenait plusieurs villes et régions d'Italie. Le Vatican a approuvé le voyage et a facilité l'accès de la délégation à des sites clés, comme la basilique papale Saint-Nicolas de Bari (Pouilles), permettant au métropolite de Kiev d'y présider une liturgie. Le métropolite Épiphane a également tenu une prière pour la paix à l'église grecque orthodoxe Saint-Théodore de Rome, sous le Patriarcat œcuménique, ce qui témoigne de la préparation minutieuse de sa visite. Cependant, ce voyage, par ailleurs méticuleusement planifié, a été éclipsé par un problème inattendu : le black-out médiatique du Vatican.
Malgré son importance, la rencontre entre le pape et Epiphanie le 13 décembre n'a pas été couverte par les médias du Vatican. Selon le journal italien Il Messaggero, les journalistes auraient été informés que cette rencontre était considérée comme privée. Le site Vatican News, qui est le centre névralgique des informations en ligne du Vatican et le bulletin quotidien officiel du bureau de presse du Saint-Siège, n'a pas du tout mentionné la visite de l'OCU. Ce silence s'est également manifesté sur les réseaux sociaux et a eu un effet en cascade, car les principales sources d'information catholiques et internationales n'en ont pas parlé.
La communication médiatique du Vatican concernant les activités du pape est réputée être diligente et rapide. Il va sans dire que le service d'information du Vatican est une force importante dans la perception globale de l'Église catholique. Il propose du contenu en 40 langues. Des erreurs ou des omissions de cette ampleur ne constituent pas une explication plausible, car la visite n'a été mentionnée sur aucun canal officiel.
La partie ukrainienne a régulièrement rendu compte de l'événement au niveau national, par l'intermédiaire de son ambassadeur auprès du Saint-Siège, Andriy Yurash, qui a qualifié la rencontre de « chaleureuse et incroyablement sincère ». L'Église orthodoxe d'Ukraine a également publié des déclarations détaillées et des photos de la visite.
À titre de comparaison, Vatican News a rapporté les rencontres du pape avec le métropolite Antoine, qui dirige le Département des relations extérieures de l'Église orthodoxe russe, en juillet 2024 et mai 2023.
Pourquoi le Vatican a-t-il choisi de garder le silence à cette occasion ?
Le Vatican considère toujours que le paysage orthodoxe ukrainien est divisé et fragmenté entre l’OCU et l’Église orthodoxe ukrainienne (UOC) sous la direction du métropolite Onuphre. La publication de cette visite aurait signifié que le pape soutenait pleinement le métropolite Épiphane et se rangeait du côté de l’OCU sur toutes les questions, y compris la division intra-orthodoxe la plus urgente, qui pèse lourdement sur l’Église orthodoxe.
Bien que l’OCU ait reçu l’autocéphalie du Patriarcat œcuménique en 2019, plusieurs Églises orthodoxes (roumaine, serbe et bulgare, pour n’en citer que quelques-unes) refusent toujours de reconnaître sa validité. Toute ingérence dans les questions internes à l’Église orthodoxe, comme la question de l’Église ukrainienne, serait considérée comme inacceptable.
Si la visite a été accueillie favorablement à Constantinople (Istanbul), où siège le patriarche œcuménique, Moscou reste un élément clé de la construction et de l’entretien des relations œcuméniques. Le pape François a déployé des efforts considérables pour maintenir des canaux ouverts avec le patriarche Cyrille de l’Église orthodoxe russe, car le Vatican considère cette relation comme un élément crucial du paysage œcuménique.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a déjà modifié la dynamique de ces relations. Le nonce apostolique dans les États baltes, Mgr Georg Gänswein, a récemment déclaré que « la guerre a perturbé les relations œcuméniques, en particulier avec l’Église orthodoxe, où de nombreux prêtres se sont éloignés du Patriarcat de Moscou ».
Le schisme entre Moscou et Constantinople ne semble pas prêt de s'atténuer. L'Eglise orthodoxe russe a coupé les ponts avec le Patriarcat œcuménique en raison de son implication dans la question de l'Eglise ukrainienne, que Moscou considère comme son « droit exclusif ». Le pape ne veut donc pas s'immiscer entre Moscou et Constantinople.
Tout en évitant la question de l’autocéphalie, le pape a cherché à orienter prudemment sa position sur la guerre en Ukraine. Il a souvent été critiqué pour sa « neutralité politique », qu’il considère comme nécessaire pour faire avancer certaines initiatives de paix sous sa direction, comme les échanges de prisonniers de guerre et le retour des enfants ukrainiens enlevés et emmenés en Russie.
En ce qui concerne la politique intérieure ukrainienne, le pape a critiqué la loi sur l'interdiction de l'Église orthodoxe russe en Ukraine et ses effets sur l'Église orthodoxe ukrainienne liée à Moscou, en déclarant qu'« aucune Église chrétienne ne doit être abolie directement ou indirectement ». Le Vatican considère toujours cette question comme importante et d'actualité. C'était l'un des sujets de discussion sur lesquels le cardinal Kurt Koch, président du Dicastère pour la promotion de l'unité des chrétiens, s'est renseigné lors de la réunion avec la délégation ukrainienne, qui a suivi la rencontre avec le pape François. Le pape veut exercer une certaine influence ici, sachant que l'Église du métropolite Épiphane bénéficie de la transition des communautés ecclésiales (de l'UOC à l'OCU).
Enfin, la Russie a déjà tenté à de nombreuses reprises d’exploiter l’intérêt du Vatican pour les affaires orthodoxes ainsi que les initiatives œcuméniques du pape à des fins de propagande. C’est notamment le cas de l’octroi de l’autocéphalie en 2019, qui aurait servi à dissimuler la « destruction de l’Église orthodoxe ukrainienne » et sa fusion avec l’Église gréco-catholique ukrainienne.
Renforcer de telles conspirations improductives pourrait mettre en péril l’élan œcuménique actuel, en particulier à l’approche du 1 700ème anniversaire du Concile de Nicée, au printemps prochain.
On peut se demander si la décision du Vatican de taire la rencontre entre le pape et le métropolite Epiphane a atteint le résultat escompté. Les médias russes ont déjà qualifié cette rencontre de « trahison » et elle constitue sans aucun doute un signal fort de soutien au chef de l'OCU, que la presse du Vatican en parle ou non.
Le pape sait cependant que l'arrivée de Trump à la Maison Blanche est imminente et il a déjà manifesté son soutien à l'engagement de Trump en Ukraine. De plus, des discussions sérieuses sont en cours avec le patriarche œcuménique sur l'adoption d'une date de Pâques standard, que Moscou n'a pas encore torpillée.
Le Vatican a donc adopté une approche plus discrète pour entretenir ses relations avec Epifaniy et l’OCU, faisant preuve de retenue avant qu’un nouvel élan politique et œcuménique crucial ne se déploie.
Le Dr Andreja Bogdanovski est un écrivain indépendant né à Skopje et basé à Édimbourg, spécialisé dans les affaires orthodoxes.