Alors que la commémoration des fidèles défunts (le 2 novembre) suit la solennité de tous les saints (1er novembre), et que, par ailleurs, il ne vous a pas échappé que cette dernière empiète souvent sur la première, je vous propose ici un bref aperçu historique de l'origine et du développement de ces deux jours.
Généralement, en effet, on mélange le jour de la Toussaint et le "jour des trépassés", qui est le 2 novembre. Quelques explications à propos de l'origine de solennité de la Toussaint qui remonte au Moyen-Âge…
La première fête des morts et martyrs aurait été célébrée en Orient au IVème siècle. La date était le dimanche qui suit la Pentecôte à Édesse, et la date du 13 mai à Antioche pour exprimer que toute sainteté est le fruit de l'Esprit Saint. Cette dernière date se maintient jusqu’au VIIème siècle. En 609, la Toussaint, désignée comme la fête de tous les saints – comme l’indique son nom -, est constituée en l’honneur de la Vierge et des saints martyrs, par le pontificat du pape Boniface IV (608-615). Cette année-là, le Panthéon de Rome, sur le Champ de Mars, jusqu’alors temple païen dédié à tous les dieux, (pantheion signifie « tous les dieux » en grec) est concédé à l’Église par l’empereur byzantin Phocas (602-610) et consacré le 13 mai par Boniface IV à la Vierge et à tous les martyrs, sous le nom de Sancta Maria ad martyres. Il y fait d’ailleurs transporter de nombreuses dépouilles de martyrs conservées dans les catacombes romaines.
Au VIIIème siècle, lors de l’évangélisation de la Gaule par les moines irlandais, ces derniers se trouvent confrontés à une fête celtique païenne dite de Samhain (en irlandais veut dire « fin de l’été »). Dans le monde celte, la nuit du 31 octobre au 1er novembre était le début de la nouvelle année, fête de la divinité Samhain, début de l’hiver, et de la « saison sombre », mais également moment de communication et de passage entre les vivants et les morts, les esprits des trépassés pouvant revenir cette nuit-là dans leurs demeures terrestres, les vivants devant les accueillir. Ce passage avec le monde des morts pouvait aussi provoquer l’intrusion d’esprits maléfiques…
Pour résister à cette fête païenne, l’Église instaure à cette date une fête chrétienne. Sous le pontificat de Grégoire III (731-741), un autel à l’extrémité de la nef principale de la basilique Saint-Pierre de Rome était déjà dédié en l’honneur du Sauveur, de sa mère, des saints apôtres et de tous les saints martyrs et confesseurs. Les choses se précisent en 798. Lors du concile de Riesbach, l’archevêque Arno de Salzbourg dresse une liste des fêtes chômées, dont le 1er novembre, dite fête de tous les saints, placée à cette date en accord avec les sacramentaires de Saint-Martin de Tours et son abbé, un certain Alcuin qui tient cette fonction de 796 à 804. L’empereur Charlemagne (800-814) aurait été alors sollicité pour instituer cette fête de tous les saints le 1er novembre, afin de gommer la fête païenne des morts.
C’est au tout début du IXème siècle qu’elle est officiellement transférée le 1er novembre et s’impose dans le calendrier de l’Église et dans l’Empire. Dans son martyrologe, Adon précise que la célébration de cette fête en Gaule est prescrite vers 835 par l’empereur Louis le Pieux (814-840), fils de Charlemagne, à la demande du pape Grégoire IV (827-844) qui aurait procédé le 1er novembre à une nouvelle dédicace de Sancta Maria ad martyres, en reprenant l'élargissement de la fête des martyrs à celle de tous les saints, initiée par Grégoire III.
La fête de la Toussaint est attestée à Rome au Xème siècle, alors que le 13 avril – initialement fête de tous les saints – est supprimée par le pape Grégoire VII (1073-1085) selon Sicard de Crémone, pour être transférée vers l'automne, parce que le manque de vivres, lequel se faisait ressentir surtout au début du printemps, rendait très difficile le ravitaillement des nombreux pèlerins qui avaient coutume d'affluer à Rome pur la fête du 13 mai. En réalité, il se peut que Rome n'a fait qu'adopter pour la fête de tous les saints, la date qui s'était imposée en Angleterre et en Irlande déjà depuis le milieu du VIIIème siècle, à savoir le 1er novembre.
Ajoutée par le missel de 1970, la préface propre révèle un nouveau contenu de la fête : alors qu'au VIIIème siècle vint s'ajouter le culte des non-martyrs comme saints, la préface propre fait apparaître que la fête inclut non seulement les saints canonisés, mais tous les défunts qui ont déjà atteint la perfection, y compris les proches et les amis défunts :
Vraiment, il est juste et bon pour ta gloire et notre salut de t’offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, Seigneur, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant.
Car tu nous donnes de célébrer aujourd’hui la cité du ciel, notre mère la Jérusalem d’en haut ; c’est là que nos frères les saints, déjà rassemblés, chantent sans fin ta louange. Et nous qui marchons vers elle par le chemin de la foi, nous hâtons le pas, joyeux de voir glorifiés ces enfants de l’Église dont tu fais un exemple et un secours pour notre faiblesse.
C’est pourquoi, avec la foule immense des saints et des anges, d’une seule voix, nous célébrons ta louange en proclamant : Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur…
Ceci renvoie déjà au lien intime qui unit la Toussaint à la commémoration des fidèles défunts du 2 novembre. Déjà la Rome antique connaissait des jours anniversaires des morts, comme, par exemple, les "Parentalia", qui duraient du 13 au 23 février, et à l'occasion desquels la famille faisait mémoire de ses membres défunts. Les chrétiens ont commencé par conserver les coutumes funéraires des païens dans la mesure où elles n'étaient pas en contradiction avec la foi. Mais peu à peu, ces coutumes se transformèrent en rites spécifiquement chrétiens tout en restant confinés au cercle familial : un jour commémorant tous les défunts était étranger à l'Église Ancienne.
Un jour pour la commémoration universelle de tous les défunts est mentionné pour la première fois pas saint Isidore de Séville, qui prescrivit à ses moines de célébrer, le lendemain de la Pentecôte, la messe pour les âmes de tous les trépassés. Au début du IXème siècle, l'abbé du monastère de Fulda, Eigil, décréta pour le 17 décembre, le jour de la mort de saint Sturmius, le fondateur de l'abbaye, une commémoration de tous les trépassés.
Mais c'est l'année 998 qui passe pour être l'année de la véritable naissance du jour des trépassés. C'est, en effet, cette année-là que l'abbé Odilon de Cluny institua, à la date du 2 novembre, dans tous les monastères soumis à son autorité, la fête commémorant tous les morts, une fête qui, toutefois, était déjà usuelle avant Odilon de Cluny.
Grâce aux clunisiens, la fête se répandit rapidement au nord des Alpes, mais ne parvint à Rome qu'au cours du XIIIème siècle.
C'est chez les dominicains espagnols que s'établit, vers la fin du XVème siècle, qui consistait à célébrer trois messes, comme à Noël. Benoît XIV confirma ses messes en 1748, et les étendit comme privilège à l'Espagne, au Portugal et l'Amérique Latine en 1915. Benoît XV étendit ce privilège à tous les prêtres de l'Église.
Au XIIIème siècle, dans sa Légende dorée, le dominicain Jacques de Voragine (1228-1298) attribue quatre objets à cette fête : commémorer la consécration d’un certain temple, suppléer à des omissions, expier les péchés et faciliter l’accomplissement des voeux. L’octave – durée de commémoration d’un fête – de la Toussaint a été officiellement instituée par le pape Sixte IV (1471-1484). La Toussaint devient une « fête d’obligation » avec Pie X (1903-1914), célébration durant laquelle tout chrétien doit marquer ce moment par des observances particulières, comme assister à une messe.
Lire aussi :
Jacques de Voragine, Les motifs de l'institution de la fête de tous les saints (1)
Jacques de Voragine, Les motifs de l'institution de la fête de tous les saints (2-3)
Jacques de Voragine, Les motifs de l'institution de la fête de tous les saints (4)
Orientations bibliographiques :
L. Pietri, « Les origines de la Toussaint », Les quatre fleuves, Paris, 1988.
J.-L. Lemaître, « Toussaint », dans A. Vauchez (dir.), Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Cerf, 1997, tome 2, p. 1525-1526.
M. Kunzler, « La liturgie de l'Eglise », Ed. Saint-Paul/Cerf 1997, p. 608-610.