Photo : père Walter Covens
En 1244, Thomas entrait, contre l'avis de sa famille, dans l'ordre des prêcheurs de Saint Dominique. Entre Naples, Bologne, Paris, par obéissance pour ses supérieurs, il enseigne dans différentes chairs d'Universités. Son oeuvre majeure, la Somme Théologique qu'il commence en 1268, servira à fonder la pensée théologique de la seconde partie du Moyen Age et lui vaudra le titre de Docteur Commun de l'Eglise. S'il est surtout connu pour ses écrits notamment sur les anges ou l'eucharistie, le documentaire s'intéresse à d'avantage à l'homme et à sa recherche personnelle de Dieu. Qui était-il ? Quelle était son aspiration ultime ? « Grâce à la sagesse de Thomas, j'apprends à aimer Dieu », par petites touches, le réalisateur montre un saint Thomas très personnel, celui qui lui a permis « de passer de l'athéisme à la foi chrétienne. » Saint Thomas d'Aquin - La Sainteté de l'intelligence.
"Il n'est pas impossible de prétendre que l'apogée de la chrétienté latine puisse être trouvé - en termes de civilisation et d'histoire des idées - à la fin du XIIe siècle et dans la majeure partie du XIIIe siècle. Cette incontestable réussite occidentale a son origine en de multiples facteurs mais d'un point de vue théologique et philosophique, on peut l'enraciner dans la réciprocité de la distinction et de l'équilibre. Cette époque coïncide presque miraculeusement avec un idéal d'harmonie de ce qui est par ailleurs soigneusement séparé pour précisément mieux unir et réunir : la distinction entre foi et raison, entre le surnaturel et le naturel, entre Dieu et César, entre la contemplation et l'action. Une solide théologie de la Création, distincte du Créateur incréé, permet aussi dans l'optimisme d'un humanisme fondé en Dieu, de mettre à exécution le précepte de la "domination de la terre" (Genèse 1, 26) donné à l'homme formé à l'image et à la ressemblance de Dieu. On comprend à la fois qu'une telle synthèse fondée sur un équilibre de tant d'éléments n'ait pu durer et qu'elle ait en même temps marqué à jamais la mentalité occidentale, lui donnant un optimisme fondamental, l'entraînant vers la recherche technique, lui insufflant son élan missionnaire. On sait également qu'elle a toujours eu depuis les ses admirateurs, partagés entre nostalgie, imitation et réinvention.
Cette synthèse se présente sous plusieurs formes. L'architecture audacieuses, subtile et savante de la Somme de théologie, peut être vue à la fin du XIIIe siècle comme une similitude aux jeux splendides des cathédrales contemporaines, Chartres au début du siècle, Notre-Dame de Paris au milieu, Reims à la fin, elles-mêmes en convergence avec un consentement social. Comme le dit Élie Faure à sa manière plus lyrique que précise : "La cathédrale, l'art ogival entier, réalise un moment l'équilibre des formes populaires vierges avec le monument métaphysique dont la philosophie chrétienne lui préparait le cadre depuis mille ou douze cents ans. Mais ces forces brisent un cadre en se déployant tout à fait" (Histoire de l'art médiéval, Paris 1964, p. 278).
Aussi n'est-il étonnant de voir convoqués en 1274 les deux maîtres de la pensée du XIIIe siècle au concile de Lyon II, qui avait pour tâche de réconcilier la chrétienté d'Occident et d'Orient. S. Thomas qui mourut en route, et S. Bonaventure qui mourut sur place. Le même idéal d'unité et de défense de l'Église avait animé le roi de France S. Louis mort quelques années auparavant à la Croisade (1270), dont le comportement actif et humble à la fois semblait sceller l'union entre le pouvoir spirituel et la puissance temporelle, et qui peut apparaître comme le véritable laïc chrétien avant la rupture "laïciste" du siècle suivant.
Car pour nuancer déjà ce tableau trop beau, il convient de mettre en contraste de S. Louis un souverain contemporain qui fait pressentir la fragilité de l'édifice de la chrétienté : Frédéric II Hohenstaufen (1194-1250), filleul du pape Innocent III, va se montrer le plus habile et le plus étonnant des souverains médiévaux. Cet empereur préféra la négociation à la Croisade et ne cachait pas ses sympathies pour l'Islam qu'il avait rencontré en Sicile où se côtoyaient les civilisations latine, byzantine et musulmane. Sa politique indépendante lui valut l'excommunication à plusieurs reprises. Il est comme le précurseur génial et complice des souverains qui vont obliger l'Église à soutenir un nouveau défi, qu'on a coutume d'appeler "l'esprit laïque" (Georges de LAGARDE, La naissance de l'esprit laïque au déclin du Moyen Âge, 5 vol., Louvain/Paris, 1956-1970). Ce défi s'appuie sur la résistance séculaire de l'État aux prétentions de l'Église qui pensait avoir rétabli l'équilibre des "deux Cités", mais aussi sur des conditions nouvelles qui apparaîtront aux XIVe et XVe siècles."
Guy Bedouelle, Histoire de l'Église, p. 94-95