Dire que le salut est dans l'histoire, c'est dire que le salut de l'homme est en train de se faire, qu'il se fait selon un processus historique. Ce processus inauguré à la création même comporte quatre phases : la phase antérieure au péché ; la phase préparatoire ; l'annonce lointaine (protévéngile) ; puis la promesse du Christ (Israël) ; la phase décisive, qui va de l'incarnation à la résurrection de Jésus durant laquelle la rédemption du monde a été opérée ; la phase de réalisation progressive enfin, c'est-à-dire de participation de l'homme au salut opéré par le Christ, participation qui se fait dans l'histoire, pour déboucher, au-delà de l'histoire, dans l'éternité de Dieu, où le Christ ressuscité est déjà établi.
Cette "histoire du salut est toute pénétrée par l'eschatologie. C'est une histoire qui est conduite, qui va à un terme. Ce terme, c'est la venue du Seigneur dans la gloire, avec l'ultime effet de la rédemption : la résurrection des morts et le royaume eschatologique. Ce royaume n'est pas de ce monde : l'illusion millénariste (fondée sur une fausse interprétation de Ap 20, 1-5) consiste à imaginer un accomplissement de l'histoire dans l'histoire1. Elle est à l'arrière-plan de l'engouement naïf pour les visions et apparitions (vraies ou fausses) qui annoncent en général - ou au moins sont interprétées comme annonçant - une victoire définitive des bons sur les méchants. En réalité, le seul avenir que l'Écriture annonce et promet, au-delà de la foi et de la croix, c'est la venue du Christ dans la gloire qui mettra fin à l'histoire... Rien de ce que la foi chrétienne nous donne ici-bas n'est une fin qui se suffirait à elle-même ; elle est toute tendue vers l'avenir, toute promesse :
Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ? (Rm 8, 24)
1. Cf. note j de la TOB :
Cette notation chronologique ... est diversement intérprétée. On peut distinguer en gros deux types d'explication, tous deux encore représentés aujourd'hui :
1. L'interprétation dite millénariste ou plus exactement futuriste : l'Apocalypse annonce un royaume terrestre de mille ans distinct du royaume de Dieu. Les spéculations échevelées que cette interprétation a occasionnées ont amené les exégètes à s'y rallier avec plus de prudence : ils discernent ici l'annonce prophétique d'un accomplissement de l'histoire dans l'histoire. Dieu veut que le monde soit, dans un premier temps de la Fin, le lieu même où se manifeste la gloire de la révélation.
2. L'interprétation symbolique ou spirituelle : la période envisagée n'est pas à attendre pour le futur : il s'agit de la période qui sépare la venue du Christ de la Fin. Si les verbes sont au futur, il ne faut y voir qu'une manière d'expression prophétique traditionnelle. En effet dès que Jésus apparaît, Satan est lié (cf. Mt 12, 25-29). La mention des mille ans est alors expliquée, soit comme un emprunt à une chronologie du monde bâtie sur le schéma d'une semaine cosmique de 7 000 ans, soit plus vraisemblablement comme une allusion aux spéculations sur le séjour du premier homme dans le paradis. Dieu dit à Adam qu'il mourra le jour où il mangera due fruit défendu (Gn 2, 17), or il est mort à l'âge de 930 ans (Gn 5, 5), mais selon le Ps 90, 4 mille ans sont un jour pour Dieu. Le royaume de mille ans signifierait alors que la venue du Christ permet déjà maintenant au croyant un véritable accès à la vie paradisiaque (cf. Ap 2, 7).