Le docteur angélique, saint Thomas d'Aquin, dans sa Summa Theologica, transmet la tradition catholique sur les devoirs des fidèles catholiques dans les affaires où la foi elle-même est mise en doute ou en danger en public par les actions ou les déclarations des prélats, même de son propre évêque, lorsqu'il écrit :
« Résister en face », c'est-à-dire devant tout le monde, dépasse la mesure de la correction fraternelle ; et Paul n'aurait pas ainsi repris Pierre s'il n'avait été son égal en quelque manière pour la défense de la foi. Mais avertir en secret et avec respect peut être fait même par celui qui n'est pas un égal. Voilà pourquoi S. Paul, écrivant aux Colossiens (4, 17), leur demande de reprendre leur supérieur : « Dites à Archippe : "Prends garde au ministère que tu as reçu du Seigneur, et tâche de bien l’accomplir." » Remarquons toutefois que, s'il y avait danger pour la foi, les supérieurs devraient être repris par les inférieurs, même en public. Aussi Paul, qui était soumis à Pierre, l'a-t-il repris pour cette raison. Et à ce sujet la Glose d'Augustin explique : « Pierre lui-même montre par son exemple à ceux qui ont la prééminence, s'il leur est arrivé de s'écarter du droit chemin, de ne point refuser d'être corrigés, même par leurs inférieurs. » (Somme Théologique, IIa IIæ, Q. 33, a. 4, ad 2)
Ainsi, je prends ma plume pour réprimander publiquement Mgr. Athanasius Schneider pour les déclarations faites dans son Essai publié aujourd'hui sur le site LifeSite News, intitulé : On the question of the true pope in the light of the opinion of the automatic loss of the papal office for heresy and the speculations about the resignation of Benedict XVI1
Tout d'abord, je trouve remarquable que Monseigneur ait persisté dans son opinion selon laquelle le crime canonique d'hérésie publiquement posé ne fait pas perdre immédiatement toute fonction dans l'Église, tant sur le plan théologique que canonique. Il a déjà soutenu cette opinion auparavant, contre tous les Pères et les docteurs de l'Église, comme l'ont montré plusieurs autres écrivains. Sa tentative de le faire à nouveau, en soutenant qu'un passage particulier de Gratien est fallacieux, est simplement un recours absurde à un argument absurde. Gratien n'a jamais été une autorité magistérielle, de sorte que le fait qu'un passage particulier soit authentique ou non ne change rien au fait que des auteurs notables, dont le pape Innocent III, avant et après Gratien, étaient d'avis que l'hérésie entraîne la perte de la fonction, pour qui que ce soit. - Est-il vraiment en train de dire qu'Innocent III a enseigné l'erreur, à cause d'une glose défectueuse ? Je dis que lui-même, que l'évêque Schneider, enseigne l'erreur sur la base d'une mauvaise herméneutique. Prétendre que l'Église peut perdre sa Foi parce qu'elle ne peut pas discerner qu'une glose non authentique présente un enseignement erroné, c'est dire que l'Église n'a pas la grâce du discernement en matière de Foi, mais moi, Mgr Schneider, je les connais mieux que tous. Qui pensez-vous être, Excellence ? Pensez-vous être plus grand que saint Robert Bellarmin, S. J., qui est un Docteur de l'Église, et qui n'est pas d'accord avec vous ?
Le canon 1364 ne fait aucune exception pour un pape. Le principe du Premier Siège n'est jugé par personne, qui est inscrit dans le canon 1404, concerne les affaires devant un tribunal et les actes du Pontife romain. Il ne concerne pas l'homme qui est le pape, dans le cas de sa foi personnelle. Car tout comme un homme hérétique n'est pas membre de l'Église, un homme hérétique n'a pas de fonction. Et donc un homme considéré ou jugé pour cause d'hérésie, n'est considéré ou jugé pour aucune fonction. C'est pourquoi le canon 1364 ne prévoit aucune exception et impose l'excommunication à toute personne qui commet un crime public d'hérésie, de schisme ou d'apostasie.
Deuxièmement, en ce qui concerne la Declaratio du pape Benoît : Votre Excellence montre que, soit vous ne comprenez pas le droit canonique, soit vous ne comprenez pas la causalité elle-même. Si vous aviez pris connaissance de certains des documents qui vous ont été envoyés par de nombreux catholiques du monde entier, vous constateriez que le Code de droit canonique - un authentique document magistériel que vous n'avez pas le droit d'ignorer ou de déformer - exige lui-même, pour que la démission papale soit valable, que l'acte posé par l'homme qui est le pontife romain soit un acte de renonciation au munus pétrinien. Mais le pape Benoît XVI n'a jamais posé un tel acte. Les déclarations faites avant ou après un tel acte, concernant l'intention ou la signification de l'acte, n'ont aucune incidence sur la nature de l'acte. Si votre Excellence avait fait preuve d'autant de diligence que moi, lorsque vous étiez à Rome et que vous avez rendu visite à Mgr Arrieta, secrétaire du Conseil pontifical pour les textes juridiques, vous auriez compris qu'un acte de renoncement papal doit être clair en soi, il ne peut être soumis à l'interprétation de quiconque, pas même du pape. Car s'il a besoin d'interprétation ou d'explication, alors il n'est pas clair, et il n'est pas valide. Et si l'homme a validement démissionné, l'interprétation qu'il en donne ne fait pas autorité. Un pape ne peut pas non plus démissionner, en interprétant avec autorité un acte non valide comme étant valide, après coup. Car le canon 332 §2 exige un acte de renonciation au munus pétrinien : et par là même, il ne permet pas un acte de démission par une interprétation papale post-factum d'un acte non clairement manifeste.
Votre opinion est contraire à celle de saint Alphonse de Liguori, C.Ss.R., docteur de l'Eglise, au sujet de l'interprétation juridique. Pensez-vous le savoir mieux que lui, qui était titulaire de deux doctorats en droit, l'un en droit canonique et l'autre en droit civil ?
Troisièmement, toutes vos citations, bien qu'elles n'aient aucun rapport, ne prouvent même pas le bien-fondé de vos arguments, comme je vais le montrer ici, en citant chacune d'elles et en les commentant :
Et parmi vous, parmi le Collège cardinalice, se trouve également le futur Pape, auquel je promets dès aujourd’hui mon respect et mon obéissance inconditionnels. (SALUT DE CONGÉ DU PAPE BENOÎT XVI AUX CARDINAUX PRÉSENTS À ROME, Jeudi, 28 février 2013)
Comme, normalement, tous les papes sont d'anciens cardinaux, cette déclaration peut être faite à tout moment au Collège des cardinaux, qu'ils soient tous présents ou non. Elle ne signifie rien. Nous devrions tous promettre notre obéissance à tous les futurs papes légitimes, et aux papes passés, car notre obéissance est due à la fonction.
J’ai fait ce pas en pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. (AUDIENCE GÉNÉRALE, Mercredi 27 février 2013)
La conscience d'un acte, quelle qu'elle soit, ne rend pas un acte valide, sauf si vous pensez que vous êtes Dieu ou que celui qui agit est Dieu. Le canon 332 §2, en imposant des conditions à une démission papale et en la définissant comme une renonciation papale au munus pétrinien, enseigne implicitement que le pape Jean-Paul II a jugé invalide une renonciation au ministerium, que Jean-Paul II a jugé son successeur, comme l'homme qui était le pape, et que l'acte lui-même doit être dûment manifeste, pour être valide. Toutes ces dispositions ne prévoient pas la pleine conscience d'une erreur substantielle ou d'une nouveauté comme cause de validité (cf. can. 188 et 126).
"Il n'y a pas le moindre doute sur la validité de ma renonciation au ministère pétrinien. La seule condition de validité est la pleine liberté de la décision. Les spéculations sur la non-validité de la renonciation sont tout simplement absurdes" (Lettre du 18 février 2014 à Andrea Tornielli, publiée dans La Stampa, 27 février 2014).
La controverse sur l'effet canonique de la Declaratio n'a rien à voir avec l'affirmation selon laquelle une renonciation au ministerium ne peut être valide ou n'est pas valide. Elle a trait à l'affirmation que la renonciation au ministerium a les mêmes effets que la renonciation au munus, et qu'elle remplit les conditions du canon 332 §2, comme n'étant pas corrompue par une erreur substantielle (cf. canon 188). De plus, si le pape Benoît XVI pense que la liberté d'action est la seule cause de la renonciation valide, alors il se montre dans une erreur invincible en ce qui concerne son propre acte, car il est clair qu'au canon 332 §2 il y a deux causes de validité de la renonciation au munus : qu’elle soit faite librement et qu’elle soit dûment manifestée. Et si vous pensez que vous pouvez transposer ces deux causes de validité d'un acte de renonciation au munus à un acte de renonciation au ministerium, pour faire de la renonciation au ministerium une renonciation au munus, alors vous êtes clairement dans l'erreur, grave erreur ! Alors votre acte est invalide soit en raison des canons 38 lors de la lecture d'un acte administratif en violation du canon 36 §2, et/ou du canon 15 §1 pour tous ces cas d'erreurs dans les actes juridiques contre les canons 188 et 332 §2.
Lors d'une conversation avec un journaliste du journal italien Corriere della Sera, l'ancien pape Benoît XVI a déclaré "Le Pape est un, il est François". Ces paroles de Benoît XVI ont été rapportées dans l'édition écrite du Corriere della Sera, le 28 juin 2019, et anticipées dans la version italienne de Vatican News le 27 juin 2019.
Cette déclaration de l'évêque Schneider est étonnante en soi, car elle est faite à propos d'un rapport qui a été démystifié par LifeSite News quelques jours plus tard. Je suppose que l'évêque ne lit pas le journal très électronique qui publie son essai. Et je suppose que les rédacteurs de ce même journal électronique ont omis une correction fraternelle pour l'aider à sauver la face en répétant une affirmation aussi fausse. Mais encore une fois, je suppose peut-être trop.
Quatrièmement, Votre Excellence, pourquoi citez-vous des déclarations du pape Benoît concernant ses intentions de prouver que l'acte de renonciation au ministère signifie un acte de renonciation au munus papal, pour ensuite, dans la section suivante de votre essai, nous dire de ne pas soutenir que les actions et les déclarations du pape Benoît qui montrent clairement son intention de s'accrocher à la dignité et à la fonction papales ne doivent pas être interprétées ainsi ?
L'Église est une société visible. Par conséquent, ce qui était essentiel pour l'accomplissement de la démission de Benoît XVI n'était pas sa possible pensée interne mais ce qu'il a déclaré à l'extérieur, car l'Église ne juge pas des intentions internes (de internis non iudicat Ecclesia). Les actes ambigus du pape Benoît XVI, comme porter une soutane blanche, garder son nom, donner la bénédiction apostolique, etc., n'affectent pas le sens sans équivoque de son acte de renoncement. Nombre de ses paroles et de ses actes démontrables et sans équivoque après sa démission confirment également qu'il considère le pape François, et non lui-même, comme le pape.
Les preuves doivent-elles être interprétées uniquement pour appuyer votre théorie, et non la réalité objective ? Pensez-vous honnêtement qu'un pape qui a validement démissionné, devrait s'habiller en pape, signer en tant que pape, donner des bénédictions en tant que pape ? De plus, pensez-vous qu'un vrai pape saluerait un pape retraité, à Panama City, en disant à la foule : Regarde, Benoît, le pape !
Si vous voulez fermer les yeux sur des faits qui réfutent vos allégations, c'est votre affaire, mais demander au reste de l'Église de le faire est le comble même de l’orgueil.
Enfin, je dois vous reprocher publiquement de blasphémer contre les Saints de la Sainte Mère l'Eglise, lorsque vous écrivez :
Déclarer que le pape François est un pape invalide, soit à cause de ses hérésies, soit à cause d'une élection invalide (pour des raisons de prétendues violations des normes du conclave ou pour la raison que le pape Benoît XVI est toujours le pape à cause de son renoncement invalide) sont des actions désespérées et subjectives visant à remédier à la crise actuelle sans précédent de la papauté. Elles sont purement humaines et trahissent une myopie spirituelle. Toutes ces entreprises sont en fin de compte une impasse, un cul-de-sac. De telles solutions révèlent une approche pélagienne implicite pour résoudre un problème avec des moyens humains ; un problème, en effet, qui ne peut être résolu par des efforts humains, mais qui nécessite une intervention divine.
De nombreux conciles, dont le concile d'Étampes, en France, en 1130 après J.-C., présidé par saint Bernard de Clairvaux, et le synode de Sutri, approuvé par saint Pierre Damien et le bienheureux pape Victor III et saint Grégoire VIII, ont déclaré des hommes papes invalides. Dire que tous ces efforts sont pélagiens, et qu'il s'agit d'une impasse, est non seulement un mensonge historique mais aussi un blasphème contre ces saints hommes.
Pour toutes ces raisons, je vous demande publiquement de retirer les fausses affirmations de votre essai, si vous voulez être considéré plus longtemps par les catholiques comme un évêque fidèle à l'enseignement et à la pratique de l'Église au cours des 2000 dernières années. Votre désir de soutenir la revendication de Bergoglio de la papauté n'est manifestement pas fondé sur des faits, sur l'histoire ou sur le droit canonique, et cause un grave scandale auprès des fidèles.
La véritable voie à suivre est la voie catholique, et elle a été proposée aujourd'hui par des catholiques qui connaissent leur foi et acceptent l'enseignement de l'Église dans son intégralité.2
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1. On trouvera une traduction française de ce texte ici
2. Le texte original anglais de l'article du Fr. Bugnolo