Le serviteur paresseux de la parabole est jeté dehors dans les ténèbres parce qu’il a failli à sa mission. Pourquoi a-t-il failli? Parce qu’il se faisait une mauvaise idée de son maître. Il le craignait comme un esclave craint son maître. Peut-être même avait-il une sourde rancune envers son maître parce qu’il n’avait reçu qu’un seul talent. Dans cette perspective égocentrique, sa mission semblait trop exigeante. Sa crainte et son égocentrisme le paralysaient et l’empêchaient d’accomplir son devoir.
Nous pouvons tous succomber à la même tentation. C’est la tentation du démon dans le Jardin d’Eden. Considérer que Dieu est dur et irraisonnable fournit une excuse facile pour se complaire dans sa paresse et pour se victimiser. C’est un penchant de notre nature pécheresse.
Jésus n’est pas un maître dur et injuste; il est un roi bon, généreux et tout-puissant! Il l’a prouvé en nous donnant sa vie sur la croix, mais aussi par la clarté de ses enseignements, comme celui de cette parabole, qui est une explication du sens de notre vie sans ambiguïté aucune. Jésus nous montre que notre mission consiste à faire un bon usage des dons que nous avons reçus, en transformant le monde qui nous entoure selon le désir du Christ. Il nous montre que notre sainteté dépend des réels efforts que nous faisons à nous acquitter de cette mission. À première vue, cette manière de nous parler sans ambages du ciel et de l’enfer pourrait paraître choquante, alors qu’elle découle de sa bonté et de son amour: il veut que nous sachions quel est le vrai sens et le véritable but de notre vie, car il veut que nous vivions de manière à pouvoir être avec lui pour toujours au ciel. Voilà le Dieu en qui nous croyons: un Dieu qui veut nous sauver et nous donner la joie, à condition que nous lui fassions suffisamment confiance pour le suivre là où il veut.
Prenons l’exemple de sainte Thérèse de Lisieux, cette jeune fille qui entre au couvent à l’âge de 15 ans et qui meurt à 24 ans. Elle n’est devenue célèbre qu’après sa mort en 1897, quand son autobiographie, Histoire d’une Âme, est publiée. En 1997, Jean Paul II la proclame docteur de l’Église. En quoi la vie de cette obscure carmélite était-elle si extraordinaire? C’est la conception exacte qu’elle se faisait de Dieu. Elle avait - et elle apprenait aux autres à voir - une extrême et totale confiance en Dieu, Père parfait, dont la bonté est absolument infinie. Elle disait qu’il faut reconnaître son néant en attendant tout de Dieu, comme un enfant attend tout de son papa…
« On pourrait croire que c’est parce que je n’ai pas péché que j’ai une confiance si grande dans le bon Dieu. Dites bien, ma Mère, que , si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance; je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent.
Vous raconterez ensuite l’histoire de la pécheresse convertie qui est morte d’amour : les âmes comprendront tout de suite, car c’est un exemple si frappant de ce que je voudrais dire, mais ces choses ne peuvent s’exprimer. »
Cette confiance totale n’était pas que de la théorie. Elle dit que pendant des années, elle s’est souvent endormie pendant l’oraison et même après avoir communié. Elle aurait pu se décourager.
« Je devais me désoler de dormir pendant mes oraisons et mes actions de grâces ; eh bien, je ne me désole pas… Je pense que les petits enfants plaisent autant à leurs parents lorsqu’ils dorment que lorsqu’ils sont éveillés, je pense que pour faire des opérations les médecins endorment leurs malades. Enfin je pense que le Seigneur voit notre fragilité, qu’Il se souvient que nous ne sommes que poussière. » (Ms B, 75 v°-76 r°)
Voilà la bonne image de Dieu. Voilà l’image que Dieu veut que nous ayons de lui.
L’un des meilleurs moyens de purifier notre imagination des mauvaises conceptions que nous nous faisons de Dieu est de passer du temps avec Jésus dans l’Eucharistie. Le fait que Jésus a choisi de rester avec nous, présent dans le tabernacle en dehors de la messe, nous montre quel Dieu il est pour nous. Il ne veut pas nous effrayer avec sa toute-puissance, ni nous intimider par sa connaissance, ni nous en jeter plein la vue avec sa gloire. Non! Il veut nous fortifier de son Pain divin, tout comme le pain ordinaire nourrit notre corps par la communion. Mais il veut aussi nous tenir compagnie, nous écouter, simplement rester avec nous. C’est pour cela qu’après la messe, les hosties non consommées sont conservées dans un ciboire au tabernacle. Et pendant tout le reste de la semaine, Jésus attend là, patiemment, humblement, tranquillement. Il pense à nous tout le temps. Il continue de s’offrir en sacrifice au Père pour nous. Et c’est là que nous pouvons aller lui rendre visite n’importe quand, pendant cinq minutes ou plusieurs heures, pour partager nos joies et nos peines, pour lui demander de nous aider, priant et méditant, nous tenant en sa présence tout simplement, pour nous laisser pénétrer de sa grâce.
Tout cela nous aide à progressivement guérir des suspicions que nous nourrissons envers Dieu, et à devenir de meilleurs disciples de Jésus. Alors, remercions-le de nous donner ce puissant aide-mémoire de la bonté et de la générosité de Dieu dans l’Eucharistie, et promettons-lui d’en faire un fréquent usage.