ROME, jeudi 3 mai 2012 (ZENIT.org) – Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA, auteur de La Bataille de l’euthanasie (Salvator – 2012), explique aux lecteurs de Zenit pourquoi Alliance VITA a pris position sur les questions éthiques en jeu dans l’élection présidentielle française dont le second tour est dimanche prochain, 6 mai. Il souligne qu’il ne faut pas confondre « objection de conscience », efficace, et qui passe aussi par les urnes, et « vote blanc », contre-productif.
Votre communiqué de presse – que nous publions sous le titre : « France : présidentielle « à haut risque » pour le respect de la vie » - met en garde contre le fait que certains chrétiens envisagent de voter blanc pour ce second tour, pourquoi ?
Présenter le vote blanc comme un vote politique, voire spirituel, est à nos yeux angélique. Le vote blanc ne pèse rien. Contrairement à ce que j’ai entendu affirmer, ajouter telle ou telle mention sur un bulletin – c’est-à-dire le transformer en vote nul – en affirmant que cela fera « réfléchir les gens », est absurde. Les votes blancs ont des significations divergentes et multiples qui interdisent toute analyse. A la rigueur, je pense qu’un vote blanc pourrait s’imposer au second tour si l’on était dans l’incapacité absolue de cautionner une réforme gravissime préconisée par chacun des deux candidats. Ou bien s’ils étaient équivalents sur les points « vitaux », non négociables. Or, il n’en est rien et c’est même tout le contraire : je ne suis pas spécialement « sarkozien », et Alliance VITA se veut résolument libre vis-à-vis des partis politiques. Mais comment pourrions-nous nous « laver les mains » des perspectives ouvertes par le programme de François Hollande : euthanasie (tout en dissimulant ce terme) et « mariage » homosexuel assorti du droit d’adopter des enfants et, pour les femmes, d’accéder à la procréation artificielle ? Sans oublier l’élargissement de la recherche qui détruit l’embryon humain, l’extension du remboursement de l’avortement et la multiplication des lieux d’avortement, etc. Et je passe sur d’autres promesses que j’ai découvertes en lisant la réponse de François Hollande au Comité d’action laïque, où l’on décèle un laïcisme de combat qui menace la liberté scolaire.
Affirmeriez-vous que le président actuel rejoint vos convictions sur l’ensemble de ces sujets ?
Certainement pas. Nous savons bien que la majorité sortante cautionne aussi de graves dérives éthiques. Nous les avons combattues avec Alliance VITA, au jour le jour, depuis cinq ans. Et c’est justement forts de cette expérience que nous prenons position. Pour la loi bioéthique, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que nous avons réussi à limiter certains dégâts, en faisant voter plusieurs des amendements que nous avions rédigés, contre les amendements soutenus par la gauche. Mais aujourd’hui, dans son opposition à l’euthanasie et au « mariage » homosexuel, Nicolas Sarkozy est clair.
Pourquoi parlez-vous d’une « tentation du vote blanc » ?
Le christianisme est traversé par une tentation essénienne, du nom de la secte de Qumran, contemporaine du Christ : demeurer hors du monde pour bâtir une société d’entre soi, pure de tout le mal qui sévit à l’extérieur. Cette tentation demeure forte chez les chrétiens. C’est l’excès opposé au relativisme éthique. Les Esséniens ont une grâce magnifique : ils ont pris la mesure de l’ampleur des injustices (ou du mal). Mais c’est au prix d’une illusion de pureté. Je suis désolé pour ceux qui croient « dur comme fer » que le vote blanc est le seul « pur », mais que diront-ils si François Hollande met à exécution les deux menaces les plus graves de son programme, alors que Nicolas Sarkozy les récuse explicitement ? Le vote blanc relève à mon avis d’une confusion : on le confond avec l’objection de conscience. L’objection est effectivement un devoir contre une pratique ou une loi gravement injuste (qui transgresse la loi naturelle). Mais ici, il s’agit de choisir entre deux hommes, qui sont chacun partiellement insatisfaisants. Je vais même plus loin : le devoir d’objection de conscience contre l’euthanasie réclame un vote barrage.
Que dire aux chrétiens que rebute le vote pour le président sortant, parce que proches d’autres sensibilités ?
Chacun a ses raisons que je peux comprendre : je ne vais pas énumérer tout ce qui a pu légitimement me choquer ou me rebuter pendant le quinquennat qui s’achève. Mais déposer un bulletin pour un candidat, ce n’est pas adhérer à tout son programme ou à sa personne. Voter ne doit pas non plus relever d’un mouvement d’humeur. La plupart du temps, il s’agit d’un choix « par défaut », adulte et lucide. C’est une question de priorité. Tant que les chrétiens de toutes sensibilités ne mettront pas la vie comme priorité politique, au-dessus des partis, elle sera mal défendue.
Pourquoi les chrétiens ne le font-ils pas davantage ?
C’est sans doute qu’ils n’ont pas pris la mesure de ce que Mère Teresa ou Jean-Paul II nommaient « la guerre contre la vie ». Il n’est pourtant pas nécessaire d’être croyant pour en avoir conscience. J’éprouve beaucoup d’admiration pour les nombreux soignants rencontrés ces dernières semaines pendant notre Tour de France de la solidarité sur le thème « La tentation de l’euthanasie » – je pense notamment à ceux qui sont engagés dans les soins palliatifs. Certains nous ont confié avoir « le cœur à gauche », voter traditionnellement à gauche, par engagement social et humanitaire, mais éprouver cette fois le sentiment d’un blocage historique à cause de la mesure 21 de « leur » candidat sur l’euthanasie, mais aussi, ce qui m’a davantage surpris, du « mariage » homosexuel. Pour eux, soutenir Nicolas Sarkozy dans l’urne peut être un crève-cœur.
La question de la vie se situe hors du clivage droite-gauche ?
Il faut bien reconnaître que ce clivage est débordé quand l’un des camps propose, sur plusieurs points, de casser les repères qui fondent une société humaine : la protection des personnes dépendantes et le soutien à la famille véritable, lieu naturel d’accueil et d’épanouissement de la vie. Sur ces sujets, une certaine « idéologie de gauche » a dérivé vers la toute-puissance scientiste, eugéniste et laïciste. Elle est aux antipodes de la véritable solidarité car les premières victimes de ces dérives sont les plus fragiles. Le relativisme éthique en matière de sexualité et de famille se fait de plus en plus totalitaire, et il est source de malheurs.
Qu’en est-il du raidissement contre les étrangers ?
Accueillir l’étranger, visiter les prisonniers, lutter contre la pauvreté et respecter la vie devraient être des points consensuels chez les chrétiens. Mais il devient caricatural d’affirmer qu’ils se sépareraient encore en deux camps, chacun obsessionnel sur l’un ou l’autre des sujets. Permettez-moi de citer l’exemple de l’association A Bras Ouverts que j’ai fondée en 1986. Elle accueille des enfants et des jeunes porteurs de handicaps. C’est une expérience type de mixité sociale du fait de la diversité des jeunes accueillis. Le père Jean-Marie Petitclerc, dont vous savez l’engagement auprès des jeunes des cités sensibles, m’en a fait prendre conscience. Dans notre société, il faut des « médiateurs » pour la rencontre entre des communautés qui ne se croisent plus, ne se connaissent plus et du coup se craignent... La vulnérabilité causée par le handicap nous a forcés à poser des ponts pour relier nos différences de couleur de peau, de culture, de langue, d’origine sociale… Plusieurs membres de ma famille découvrent cela actuellement dans une autre association, magnifique, Le Rocher, qui agit dans les quartiers difficiles. Les chrétiens attachés à la vie savent être solidaires des pauvres et des exclus, tout en restant fermes sur les principes anthropologiques qui conditionnent l’épanouissement de l’homme.
Pourquoi reste-t-il une fracture entre certains chrétiens selon leur sensibilité politique ?
Ce qui me parait finalement la cause de la fracture entretenue entre action sociale et respect de la vie, c’est notre rapport différent aux injustices selon l’émotion qu’elles génèrent. J’aime beaucoup la façon dont Jean-Paul II a su, dans toute sa vie, intégrer complètement l’engagement pour le développement, contre la misère et pour le respect de toute vie. La figure de Mère Teresa témoigne de la même cohérence. Dans l’Evangile de la vie, Jean-Paul II rappelle que le respect de la vie, qui commence au sein de la famille, est une condition du bonheur. Car le premier droit reste celui de vivre. Les autres droits en découlent. A l’inverse, les atteintes à la vie et le déni des repères familiaux naturels prédisposent à la fracture sociale et à la précarité. La culture de la vulnérabilité que nous voulons promouvoir intègre finalement le respect de la vie, du début à sa fin, et la solidarité vis-à-vis des personnes les plus fragiles.