par Sandro Magister
ROME, le 21 janvier 2010 – Il y a quelque temps, les critiques de l’évêque Mariano Crociata quant à la qualité médiocre de nombreuses d’homélies dominicales ont fait du bruit.
Crociata est le secrétaire général de la conférence des évêques d’Italie. A la fin de l’année, dans un colloque sur la liturgie, il a affirmé qu’un grand nombre d’homélies prononcées chaque dimanche en chaire étaient une "bouillie" niaise, presque un "plat immangeable" et en tout cas "bien peu nourrissant".
Ses critiques ont été reprises par "L'Osservatore Romano" et par Radio Vatican. Quelqu’un a retrouvé une boutade de Joseph Ratzinger quand il était cardinal : "Le miracle de l’Église, c’est qu’elle survit chaque dimanche à des millions de très mauvaises homélies".
En tant que pape, Ratzinger a abondamment montré qu’il considérait que l’amélioration de la qualité des homélies était un devoir fondamental pour l’Église.
Ses homélies lors des célébrations publiques sont désormais un élément caractéristique de son pontificat. Il les prépare personnellement avec le plus grand soin. Il les propose, en fait, comme modèles. Même les messages qu’il lit chaque dimanche à midi lors de l'Angélus, depuis sa fenêtre donnant sur la place Saint-Pierre, sont construits comme de petites homélies sur l’Évangile de la messe du jour.
Mais il y a une voie particulière pour donner suite à cette proposition de Benoît XVI. Celle de l'art sacré.
Si elles sont nourries de l'art qui orne d’innombrables églises dans le monde, les homélies peuvent, plus efficacement qu’en recourant à la parole seule, introduire aux mystères sacrés (et même identifier à eux, comme dans le cas de la "Vierge de l’Annonciation" d’Antonello de Messine reproduite ci-dessus, où le spectateur regarde la Vierge du même côté - hors du tableau - que l'ange Gabriel).
La preuve en est donnée par les trois splendides volumes dans lesquels Timothy Verdon – historien d'art, prêtre, professeur à la Stanford University et directeur à Florence du bureau diocésain pour la catéchèse par l'art – commente le lectionnaire des messes dominicales et des fêtes grâce à des chefs d’œuvre de l'art chrétien choisis en fonction de l’Évangile du jour.
Les trois volumes ont été publiés en Italie année après année – en attendant des traductions en d’autres langues – en suivant le cycle triennal du lectionnaire de rite romain. Le troisième a été publié il y a quelques semaines, au début de l'Avent.
Le texte ci-dessous est un extrait de la présentation de ce dernier volume, à Florence, par Massimo Naro, prêtre, professeur de théologie systématique à la Faculté Pontificale de Théologie de Sicile, à Palerme.
La voie artistique vers les mystères sacrés
par Massimo Naro
Le livre de Timothy Verdon a une valeur surtout méthodologique. Il propose à des prédicateurs qui sont entourés d’œuvres d’art dans leurs églises une méthode de prédication qui peut et doit être applicable par tous, dans des lieux divers, partout, y compris en référence à des patrimoines artistiques différents de ceux auxquels Verdon se réfère dans son livre.
Que signifie la décision de commenter la liturgie par l’art et à quoi aboutit-elle ? Au début du livre, Verdon souligne que les œuvres d’art chrétien - surtout celles qui sont destinées à la fois à constituer et à orner les églises où l’on célèbre la liturgie - ont toujours été des commentaires du message biblique proclamé dans la liturgie elle-même. Lire dans la Genèse le récit de la création du monde et de l’homme, rappeler l’histoire des patriarches d’Israël, raconter les miracles accomplis par Jésus et faire mémoire de sa Pâque dans une église comme la cathédrale de Monreale, par exemple, dont l’intérieur est tout recouvert de mosaïques représentant la Bible, c’est justement découvrir un commentaire grandiose des "histoires de Dieu" qui entoure les fidèles de toutes parts, tandis qu’ils écoutent mais aussi regardent l’annonce évangélique.
D’après Verdon, l’art chrétien est depuis des siècles un "élément du processus d’écoute d’où naissent la foi et les œuvres des croyants", c’est-à-dire une partie intégrante de la tradition ecclésiale et de la vie chrétienne, qui trouvent depuis toujours dans la liturgie leur source et leur sommet. Il est la traduction de ce que la Parole biblique annonce et célèbre : l’image − vivante et vitale − du Christ lui-même.
Ce n’est pas par hasard que, dès le IVe -Ve siècle, s’est affirmée dans l’Eglise ancienne la légende selon laquelle l’évangéliste Luc était également peintre. Pour introduire son commentaire au missel de l'année C − pendant laquelle, le dimanche, on proclame l’Evangile selon Luc − Verdon a justement choisi le "Saint Luc" peint par le Greco : l’évangéliste tient, de la main droite, une plume qui ressemble beaucoup à un pinceau et, de la gauche, un évangéliaire ouvert sur une image de Marie, comme pour indiquer que la traduction visuelle est en quelque sorte le résultat, le "but", de la lecture croyante du texte évangélique.
L’anathème lancé par le deuxième concile de Nicée - "Si quelqu’un n’admet pas les présentations de l’Évangile qui se font par des images peintes, qu’il soit excommunié" - se rattache probablement à cette légende. Peindre le visage du Christ, de Marie, des saints, est considéré comme une façon d’écrire son Evangile et donc de le transmettre, de le proclamer, d’en permettre la lecture et donc la méditation et la connaissance par les fidèles. A Nicée, en 787, la dogmatique adopte la légende et lui donne la dignité d’une doctrine, incluant dans le dépôt de la Tradition non seulement la tradition écrite et orale mais aussi la tradition picturale.
Verdon développe tout cela dans son livre. Par exemple, commentant la liturgie du IVe dimanche de l’Avent, il a recours à une miniature représentant la nativité, tirée du Psautier d’Ingeborg (Danemark, XIIIe siècle), véritable réécriture de l’Evangile de l’enfance mais aussi d’un passage de la lettre aux Hébreux qui constitue la seconde lecture de ce dimanche. On y lit qu’"entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps". Et la miniature choisie par Verdon représente justement l’Enfant de Bethléem installé dans une crèche en forme d’autel. Elle a la même qualité exégétique qu’Hébreux 10, 5-7 par rapport au récit de Bethléem.
L'art n’est donc pas une simple illustration du passage biblique proclamé dans la liturgie, mais il reformule librement ce qui est dit de Dieu dans la Bible. Dans l’introduction du livre, Verdon l’explique par un tableau de Jacopo Bassano : "Le bon Samaritain" (1557), aujourd’hui conservé à la National Gallery de Londres. Verdon note qu’"en évoquant le Christ descendu de la croix à travers la figure de l’homme à demi nu qu’aide le Samaritain", Jacopo Bassano relie la parabole de Luc à ce que dit Jésus dans l’Evangile de Matthieu : "Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait". Le peintre invite ainsi ceux qui admirent son tableau à voir le Christ non plus dans le bon Samaritain penché sur le malheureux, mais dans le malheureux lui-même, pour qui le spectateur doit faire le même geste d’amour que le bon Samaritain, à chaque fois qu’il se trouve face à un “pauvre homme”.
Verdon découvre bien d’autres exemples emblématiques de cette "interprétation originale" du récit biblique par l’art. Commentant la liturgie du IIe dimanche de l’Avent, dont l’Evangile évoque la prédication de Jean-Baptiste, il recourt à un tableau de Jacopo da Empoli peint vers 1610, la "Prédication de Jean-Baptiste", qui se trouve à San Niccolò Oltrarno à Florence. Le paysage évoque la campagne toscane ; le Baptiste est encore vêtu des peaux de bêtes typiques des anciens prophètes, mais ses auditeurs sont peints en vêtements du début du XVIIe siècle, comme pour insister sur l’actualité de l’appel à la conversion lancé par Jean-Baptiste. On retrouve ce “jeu de rôles” dans la très belle "Vierge de l’Annonciation" d’Antonello de Messine, citée par Verdon dans l'introduction : l’artiste et le spectateur prennent la place de l’ange Gabriel, absent du tableau, et ils perçoivent à leur tour l’émerveillement croyant de Marie, exprimé par le geste de sa main à demi levée.
C’est là qu’apparaît la valeur relationnelle de l’art qui commente, reconfigure, réinterprète le récit biblique : cet art est une sorte de relation, il manifeste la capacité à se mettre en rapport avec Celui qui est représenté, il permet de s’impliquer dans l’événement présenté. Ici entre en jeu le mécanisme de l’identification, qui est une pédagogie artistique très efficace. En elle et par elle, la Bible n’est plus seulement le "grand manuscrit" − comme l’a écrit Northrop Frye citant William Blake, poète et peintre du XVIIIe siècle − où l’on peut puiser motifs et thèmes, symboles et images, mythes et métaphores, mots et couleurs. Dans l’art qui arrive à déclencher le mécanisme de l’identification, la Parole biblique n’est pas un simple élément culturel. C’est plutôt une prophétie.
En réalité, l’art qui thématise ce qui est dit de Dieu est une sorte d’exégèse spirituelle, capable de nous faire voir le Seigneur et, en outre, de nous faire voir avec le Seigneur, à côté de lui, ranimés par son saint Esprit, qui a déjà inspiré les “hagiographes” et inspire continuellement les “iconographes”.
Comme introduction au temps de Noël, Verdon a choisi un panneau de Francescuccio Ghissi, peint vers 1360, qui représente dans sa partie supérieure Jésus comme homme des douleurs, portant les marques de la passion, et dans sa partie inférieure la nativité. La valeur spirituelle d’une telle représentation artistique est justement celle du synchronisme et du synopsis, grâce auxquels le récit biblique, devenant visuel, dépasse les contraintes de la succession chronologique et nous ramène directement au Christ et à la totalité de sa vie. C’est toujours lui qui a souffert, qui est mort et ressuscité, lui qui est né petit enfant à Bethléem. Dans cette perspective métahistorique, pascale, nous entrons spirituellement, nous aussi, par la porte de la beauté artistique : nous devenons contemporains du Christ.
Ainsi le récit biblique se montre performatif, c’est-à-dire qu’il pénètre de plus en plus au fond de celui qui l’écoute, le prie et le célèbre ; il provoque une transformation plus décisive dans le vécu des croyants, qui sont introduits et accueillis, presque transposés dans la perspective représentée, mis à la place des bergers qui sont éclairés par la même lumière que l’Enfant de Bethléem, comme dans le panneau de Giovanni di Paolo qu’utilise Verdon pour commenter l’Evangile de la nuit de Noël ; ou bien mis à la place de l’apôtre Thomas, qui paraît vraiment mettre son doigt dans la plaie au côté du Ressuscité, dans la suggestive toile du Guerchin utilisée par Verdon pour commenter l’Evangile du IIe dimanche de Pâques.
La pédagogie de l’identification spirituelle est et reste le mérite le plus important, le résultat principal, de cette belle exégèse artistique. Le sens du titre du livre de Verdon est justement là : la "beauté" est retrouvée dans la Parole et distillée par la Parole.
Le livre :
Timothy Verdon, "La bellezza nella Parola. L’arte a commento delle letture festive dell’Anno C", San Paolo, Cinisello Balsamo, 2009.
L’article de www.chiesa qui présente le premier volume de l'ouvrage :
> Comment illustrer une homélie avec le pinceau de Luc, évangéliste et peintre (20.11.2007)
A propos de Benoît XVI comme "maître" de l’homélie :
> Les homélies de Benoît XVI: un modèle pour une Eglise désorientée (27.11.2009)
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
www.chiesa