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Publié par dominicanus

TROISIÈME PARTIE

EN MISSION

« De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie »
(Jn 20, 21)


En mission, avec tout son être, comme Jésus, le Seigneur

23. Le Seigneur Jésus nous fait comprendre, par sa forme de vie elle- même, que mission et obéissance sont intimement liées. Dans les Évangiles, Jésus se présente toujours comme “l'envoyé du Père pour faire sa volonté” (cf. Jn 5,36-38 ; 6,38-40 ; 7,16-18) ; il accomplit toujours ce qui plaît au Père. On peut dire que toute la vie de Jésus est mission du Père. Lui-même est la mission du Père.

Comme le Verbe est venu en mission, s'incarnant dans une humanité qui s'est laissée totalement assumer, de même nous collaborons à la mission du Christ et nous lui permettons de l'accomplir pleinement surtout en l'accueillant lui-même, en nous faisant lieu de sa présence et donc continuation de sa vie dans l'histoire, pour donner aux autres la possibilité de le rencontrer.

Considérant que le Christ, dans sa vie et dans ses œuvres, a été l'amen (cf. Ap 3,14), le oui (cf. 2 Cor 1,20) parfait dit au Père, et que de dire oui signifie tout simplement obéir, il est impossible de concevoir la mission, si ce n'est en relation avec l'obéissance. Vivre la mission implique toujours d'être envoyés et comporte la référence aussi bien à celui qui envoie qu'au contenu de la mission à accomplir. C'est pourquoi, sans référence à l'obéissance, le terme même de mission devient difficilement compréhensible et s'expose au risque d'être réduit à quelque chose qui fait uniquement référence à soi-même. Il existe toujours le danger de réduire la mission à une profession à exercer en vue de sa propre réalisation, et donc de la gérer plus ou moins seul.


En mission pour servir

24. Dans ses Exercices spirituels Saint Ignace de Loyola écrit que le Seigneur appelle et dit : « Qui veut venir avec moi doit travailler avec moi, parce qu'en me suivant dans la peine et dans les souffrances, il me suivra aussi dans la gloire ».65 La mission doit faire face, aujourd'hui comme hier, à de considérables difficultés, qui ne peuvent être affrontées qu'avec la grâce qui nous vient du Seigneur, dans la conscience, humble et forte, d'être envoyés par Lui et de pouvoir, justement pour cela, compter sur son aide.

Grâce à l'obéissance, on a la certitude de servir le Seigneur, d'être « serviteurs et servantes du Seigneur » dans l'action et dans la souffrance. Une telle certitude est source d'engagement inconditionnel, de fidélité tenace, de sérénité intérieure, de service désintéressé, de dévouement des meilleures énergies. « Celui qui obéit est assuré d'être vraiment en mission, à la suite du Seigneur et non porté par ses propres désirs ou ses propres aspirations. Il est ainsi possible de se savoir conduit par l'Esprit du Seigneur et soutenu par sa main ferme, même au milieu de grandes difficultés » (cf. Ac 20,22).66

On est en mission quand, loin de rechercher l'affirmation de soi, on est avant tout conduits par le désir d'accomplir l'adorable volonté de Dieu. Un tel désir est l'âme de l'oraison (“que ton Règne vienne, que ta volonté soit faite”) et la force de l'apôtre. La mission nécessite l'engagement de tous les dons et de tous les talents humains, qui concourent au salut quand ils sont mis dans le fleuve de la volonté de Dieu, qui porte les choses qui passent dans l'océan des réalités éternelles, où Dieu, bonheur sans fin, sera tout en tous (cf. 1 Cor 15,28).


Autorité et mission

25. Tout cela implique que soit reconnue à l'autorité une tâche importante à l'égard de la mission, dans la fidélité à son propre charisme. Tâche qui n'est pas simple, ni exempte de difficultés et d'équivoques. Par le passé, le risque pouvait venir d'une autorité orientée en général vers la gestion des œuvres, avec le danger de délaisser les personnes ; aujourd'hui, au contraire, le risque peut venir de la crainte excessive, de

la part de l'autorité, de heurter les susceptibilités personnelles, ou d'une dilution de compétence et de responsabilité qui affaiblit la convergence vers l'objectif commun et rend vain le rôle même de l'autorité.

Cependant, l'autorité n'est pas seulement responsable de l'animation de la communauté, elle a aussi une fonction de coordination des diverses compétences en vue de la mission, dans le respect des rôles et selon les normes internes de l'Institut. Si l'autorité ne peut pas (et ne doit pas) tout faire, elle est cependant l'ultime responsable de tout.67

Les défis que le temps présent pose à l'autorité sont multiples face à la tâche de coordonner les énergies en vue de la mission. Énumérons ici quelques unes des tâches importantes dans le service de l'autorité :


a) L'autorité encourage à assumer les responsabilités et à les respecter quand elles sont assumées

Les responsabilités peuvent effrayer certains. Il est donc nécessaire que l'autorité transmette à ses collaborateurs la force chrétienne et le courage pour affronter les difficultés, dépassant peurs et tentations à renoncer.

Elle s'empressera de partager non seulement les informations, mais aussi les responsabilités, s'engageant ensuite à respecter chacun dans sa juste autonomie. Cela comporte de la part de l'autorité un patient travail de coordination et, de la part de la personne consacrée, une sincère disponibilité à collaborer.

L'autorité doit “être présente” quand c'est nécessaire, pour favoriser chez les membres de la communauté le sens de l'interdépendance, qui est aussi éloignée de la dépendance infantile que de l'indépendance autosuffisante. Cela est le fruit de la liberté intérieure qui permet à chacun de travailler et de collaborer, de remplacer et d'être remplacé, d'être protagoniste et de donner sa propre contribution, même en se tenant en retrait.

Celui qui exerce le service de l'autorité se gardera de céder à la tentation de l'autosuffisance personnelle, de croire que tout dépend de lui ou d'elle ou qu'il n'est pas important ni utile de favoriser la participation communautaire, parce qu'il est mieux de faire un pas ensemble plutôt que deux (ou même plus) seul.


b) L'autorité invite à affronter les diversités dans un esprit de communion

Les rapides changements culturels actuels, non seulement provoquent des transformations structurelles qui ont des effets sur les activités et sur la mission, mais peuvent donner lieu à des tensions à l'intérieur des communautés où différents modes de formation culturelle ou spirituelle orientent vers des lectures différentes des signes des temps et donc vers des propositions de projets différents, pas toujours conciliables. De telles situations peuvent se présenter de nos jours plus fréquemment qu'autrefois du fait du nombre croissant de communautés constituées de personnes issues d'ethnies ou de cultures diverses et les différences de génération s'accentuent. L'autorité est appelée à servir aussi, dans un esprit de communion, ces communautés composites, les aidant à offrir, dans un monde marqué par de nombreuses divisions, le témoignage qu'il est possible de vivre ensemble et de s'aimer même si l'on est différents. Elle devra alors maintenir avec fermeté certains principes aussi bien théoriques que pratiques :

– rappeler que, dans l'esprit de l'Évangile, le conflit d'idées ne devient jamais conflit de personnes ;

– rappeler que la pluralité des perspectives favorise l'approfondissement des questions ;

– favoriser la communication de façon à ce que le libre échange des idées clarifie les positions et fasse émerger la contribution positive de chacun ;

– aider à se libérer de l'égocentrisme et de l'ethnocentrisme, qui tendent à reverser sur les autres les causes des maux, pour arriver à une compréhension mutuelle ;

– faire prendre conscience que l'idéal n'est pas d'avoir une communauté exempte de conflits, mais une communauté qui accepte d'affronter ses propres tensions pour les résoudre de façon positive, en cherchant des solutions qui n'ignorent aucune des valeurs auxquelles il est nécessaire de se référer.


c) L'autorité maintient l'équilibre entre les différentes dimensions de la vie consacrée

En effet, elles peuvent connaître des tensions entre elles. L'autorité doit veiller à ce que l'unité de vie soit préservée et que de fait soit le plus possible respecté l'équilibre entre temps consacré à la prière et temps consacré au travail, entre individu et communauté, entre engagement et repos, entre attention à la vie commune et attention au monde et à l'Église, entre formation personnelle et formation communautaire.68

L'un des équilibres les plus délicats à trouver est l'équilibre entre communauté et mission, entre vie ad intra et vie ad extra.69 Étant donné que, normalement, l'urgence des choses à faire peut conduire à délaisser les choses qui concernent la communauté, et que, de plus en plus souvent, on est appelé à agir seul, il sera nécessaire de respecter certaines règles, dont on ne peut s'affranchir, qui garantissent en même temps un esprit de fraternité dans la communauté apostolique et une sensibilité apostolique dans la vie fraternelle.

Il sera important que l'autorité soit garante de ces règles et rappelle à tous et à chacun que, lorsqu'une personne de la communauté est en mission ou accomplit un service d'apostolat quel qu'il soit, même si elle agit seule, elle agit toujours au nom de l'Institut ou de la communauté ; plus encore, elle agit grâce à la communauté. Souvent, en effet, si elle peut mener cette activité bien déterminée, c'est parce quelqu'un de la communauté lui a donné un peu de son temps ou l'a conseillée ou lui a transmis un certain esprit ; souvent, en outre, celle qui reste dans la communauté remplace dans certains travaux de la maison la personne qui est occupée dehors, ou prie pour elle, ou la soutient par sa propre fidélité.

Alors, l'apôtre a le devoir non seulement d'être profondément reconnaissant mais aussi de rester étroitement uni à sa communauté dans tout ce qu'il fait, qu'il n'a pas à se l'approprier mais qu'il s'efforce à tout prix de cheminer avec les autres, attendant, si cela est nécessaire, celui qui avance plus lentement, mettant en valeur l'apport de chacun, partageant le plus possible joies et peines, intuitions et incertitudes, pour que chacun ressente comme sien l'apostolat de l'autre, sans envie, ni jalousie. Que l'apôtre soit sûr que ce qu'il donnera de lui-même à la communauté n'arrivera jamais à la hauteur de ce qu'il en a reçu et de ce qu'il en reçoit.


d) L'autorité a un cœur miséricordieux

Saint François d'Assise, dans une lettre émouvante à un ministre (supérieur) donnait les instructions suivantes à propos d'éventuelles faiblesses personnelles de ses frères : « Voici à quoi je reconnaîtrai que tu aimes le Seigneur, et que tu m'aimes, moi, son serviteur et le tien : si n'importe quel frère au monde, après avoir péché autant qu'il est possible de pécher, peut rencontrer ton regard, demander ton pardon, et te quitter pardonné. S'il ne demande pas pardon, demande-lui, toi, s'il veut être pardonné. Et même si après cela il péchait encore mille fois contre toi, aime-le plus encore que tu m'aimes, et cela pour l'amener au Seigneur. Aie toujours pitié de ces malheureux ».70

L'autorité est appelée à développer une pédagogie du pardon et de la miséricorde, et à être pour cela instrument de l'amour de Dieu qui accueille, corrige et donne toujours une nouvelle possibilité au frère ou à la sœur qui se trompe et tombe dans le péché. Surtout, elle devra rappeler que, sans l'espérance du pardon, la personne a du mal à reprendre la route et tend inévitablement à rajouter le mal au mal, et les chutes aux chutes. La perspective de la miséricorde, au contraire, affirme que Dieu est capable de tirer du bien même des situations de péché.71 L'autorité s'emploiera donc à faire en sorte que toute la communauté apprenne ce comportement miséricordieux.


e) L'autorité a le sens de la justice

Si l'on peut considérer l'invitation de saint François d'Assise à pardonner au frère qui a péché comme une règle générale précieuse, il faut reconnaître qu'il existe des comportements, de la part des membres de certaines fraternités de consacrés, qui nuisent gravement au prochain et qui impliquent une responsabilité à l'égard des personnes extérieures à la communauté et à l'égard de l'institution à laquelle ils appartiennent. S'il convient de faire preuve de compréhension envers les fautes des personnes, il est cependant nécessaire d'avoir un sens rigoureux de responsabilité et de charité envers ceux qui ont éventuellement eu à souffrir du comportement incorrect de personnes consacrées.

Que celui ou celle qui commet une erreur sache qu'il doit répondre personnellement des conséquences de ses actes. La compréhension à l'égard d'un confrère ne doit pas exclure la justice, tout spécialement envers les personnes sans défense et les victimes d'abus. Accepter de reconnaître son propre tort et en assumer la responsabilité et les conséquences est déjà un premier pas sur le chemin de la miséricorde : comme pour Israël qui s'est éloigné du Seigneur, accepter les conséquences du mal (c'est le cas de l'expérience de l'exil) est le premier moyen de reprendre le chemin de conversion et de redécouvrir plus profondément son rapport à Dieu.

f) L'autorité promeut la collaboration avec les laïcs

La collaboration croissante avec les laïcs dans le cadre des œuvres et des activités menées par les personnes consacrées pose, à la communauté comme à l'autorité, des questions nouvelles qui exigent des réponses nouvelles : « La participation des laïcs suscite souvent des approfondissements inattendus et féconds de certains aspects du charisme » du fait que les laïcs sont invités à offrir « aux familles religieuses la précieuse contribution de leur caractère séculier et de leur service spécifique ».72

Il a été utilement rappelé que, pour atteindre l'objectif d'une collaboration mutuelle entre religieux et laïcs, « il est nécessaire d'avoir des communautés religieuses ayant une claire identité charismatique assimilée et vécue, capables par conséquent de la communiquer aux autres et disponibles au partage ; des communautés religieuses, vivant une intense spiritualité et un esprit missionnaire enthousiaste, pour transmettre le même esprit et le même élan évangélisateur ; des communautés religieuses qui sachent animer et encourager les laïcs à partager le charisme de leur Institut selon leur caractère séculier et leur style de vie différent, les invitant à découvrir de nouvelles formes de mise en œuvre de ce charisme et de la mission. Ainsi la communauté religieuse peut devenir un centre d'irradiation, de force spirituelle, d'animation, de fraternité qui crée la fraternité, de communion et collaboration ecclésiale, les apports différents contribuant à la construction du Corps du Christ qui est l'Église ».73

Il est nécessaire, en outre, que soit bien défini l'organigramme des compétences et des responsabilités, aussi bien des laïcs que des religieux, ainsi que des organismes intermédiaires (Conseils d'administration et instances similaires). En tout cela, celui qui a la responsabilité dans la communauté des consacrés a un rôle irremplaçable.


Les difficiles obéissances

26. Dans le déroulement concret de la mission, certaines obéissances peuvent apparaître particulièrement difficiles étant donné que les perspectives et les modalités de l'action apostolique ou diaconale peuvent être perçues et pensées de manières différentes. Face à certaines obéissances difficiles, qui paraissent de prime abord vraiment “absurdes”, on peut être tenté de perdre confiance et même d'abandonner : est-ce que cela vaut la peine de continuer ? Ne pourrais-je pas réaliser de meilleure façon mes idées, dans un autre contexte ? Pourquoi s'user à des désaccords stériles ?

Déjà saint Benoît se posait la question d'une obéissance « très lourde ou même impossible à exécuter » ; et saint François d'Assise évoquait le cas où un sujet croit voir « des choses meilleures et plus utiles à son âme que celles que le supérieur lui ordonne » ; le Père du monachisme répond en demandant un dialogue libre, ouvert, humble et confiant entre moine et abbé ; à la fin cependant, si on le lui demande, le moine « obéira par amour, confiant en l'aide de Dieu ».74 Le saint d'Assise invite à réaliser une “obéissance de charité” pour laquelle le frère sacrifie volontairement ses idées et suit le commandement prescrit et ainsi « elle satisfait à Dieu et au prochain» ; 75 et il voit une « obéissance parfaite » là où, bien que ne pouvant pas obéir parce que lui est demandé « quelque chose contre son âme », le religieux ne rompt pas l'unité avec le supérieur et la communauté, disposé même à supporter des persécutions à cause de cela. « Car – observe saint François – celui qui supporte la persécution plutôt que vouloir être séparé de ses frères demeure vraiment dans l'obéissance parfaite, parce qu'il livre son âme pour ses frères ».76 Il nous est ainsi rappelé que l'amour et la communion représentent des valeurs suprêmes, auxquelles l'exercice de l'autorité et de l'obéissance est aussi subordonné.

Si l'on doit reconnaître que, d'une part, un certain attachement à des idées et à des convictions personnelles, fruits de réflexion et d'expérience et mûries avec le temps, est compréhensible, c'est aussi une bonne chose que de chercher à les défendre et à les réaliser, toujours dans la perspective du Royaume, dans un dialogue franc et constructif. D'autre part, on ne doit pas oublier que le modèle est toujours Jésus de Nazareth, qui même dans sa Passion demande à Dieu d'accomplir sa volonté de Père, et ne recule pas face à la mort sur la croix (cf. Ph 2,8).

La personne consacrée, lorsqu'il lui est demandé de renoncer à ses idées ou à ses projets, peut faire l'expérience de perte et de tentation de refus de l'autorité, ou ressentir en elle « une violente clameur et des larmes » (He 5,7) et implorer que s'éloigne le calice amer. Mais c'est aussi le moment où l'on doit s'en remettre au Père pour que s'accomplisse sa volonté et pour pouvoir ainsi participer activement, de tout son être, à la mission du Christ « pour que le monde ait la vie » (Jn 6,51).

C'est dans le fait de prononcer ces “oui” difficiles que nous pouvons comprendre vraiment le sens de l'obéissance comme acte suprême de liberté, exprimé dans un abandon total et confiant de soi au Christ, Fils librement obéissant au Père ; et nous pouvons comprendre le sens de la mission comme offrande obéissante de soi qui attire la bénédiction du Très Haut : « Je te comblerai de bénédictions ... Puisque tu m'as obéi, toutes les nations de la terre s'adresseront l'une à l'autre la bénédiction » (Gn 22,17-18). Dans cette bénédiction la personne consacrée obéissante sait qu'elle trouvera tout ce qu'elle a laissé avec le sacrifice de son détachement ; dans cette bénédiction, est cachée aussi la pleine réalisation de son humanité elle-même (cf. Jn 12,25).


Obéissance et objection de conscience

27. Une question peut surgir ici : existe-il des situations dans lesquelles la conscience personnelle semble ne pas permettre de suivre les indications données par l'autorité ? Peut-il arriver en réalité que la personne consacrée doive déclarer, en ce qui concerne les normes ou ses supérieurs : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes » (Ac 5,29) ? C'est le cas de ce qu'on appelle l'objection de conscience dont a déjà parlé Paul VI,77 et qui doit être prise dans sa signification authentique.

S'il est vrai que la conscience est le lieu où résonne la voix de Dieu, qui nous indique comment nous comporter, il est également vrai qu'il faut apprendre à écouter cette voix avec grande attention pour savoir la reconnaître et la distinguer des autres voix. En effet, il ne faut pas confondre cette voix avec celles qui proviennent d'un subjectivisme qui ignore ou néglige les sources et les critères auxquels on ne peut renoncer et qui sont contraignants dans la formation du jugement de conscience : « C'est le “cœur” tourné vers le Seigneur et vers l'amour du bien qui est la source des jugements vrais de la conscience »,78 et « la liberté de conscience n'est jamais une liberté affranchie “de” la vérité, mais elle est toujours et seulement “dans” la vérité ».79

La personne consacrée devra donc réfléchir longuement avant de conclure que ce n'est pas l'obéissance reçue mais ce qu'elle perçoit au plus profond d'elle-même qui représente la volonté de Dieu. En outre, elle devra se rappeler que la loi de la médiation doit être gardée en mémoire dans tous les cas, en se gardant de prendre des décisions graves sans procéder à des confrontations et à des vérifications. Il est indiscutable, que ce qui compte c'est d'arriver à connaître et à accomplir la volonté de Dieu, mais il devrait être tout autant indiscutable que la personne consacrée s'est engagée par vœu à accueillir cette sainte volonté à travers des médiations déterminées. Dire que ce qui compte c'est la volonté de Dieu et non les médiations et les refuser ou les accepter seulement à discrétion, peut ôter sa signification à son propre vœu, et vider sa propre vie d'une de ses caractéristiques essentielles.

Par conséquent, « À l'exception d'un ordre qui serait manifestement contraire aux lois de Dieu ou aux constitutions de l'institut, ou qui entraînerait un mal grave et certain, auquel cas l'obligation d'obéir n'existe pas, les décisions du supérieur concernent un domaine où l'appréciation du meilleur bien peut varier selon les points de vue. Conclure, dès qu'un ordre donné apparaît objectivement moins bon, qu'il est de ce fait illégitime et contraire à la conscience, serait méconnaître d'une manière peu réaliste l'obscurité et l'ambivalence de nombre de réalités humaines. De plus, le refus d'obéissance entraîne une atteinte souvent grave au bien commun. Un religieux ne saurait facilement accepter qu'il y ait contradiction entre le jugement de sa conscience et celui de son supérieur. Cette situation exceptionnelle entraînera parfois une authentique souffrance intérieure, à l'imitation du Christ lui-même, “qui apprit par la souffrance ce que c'est qu'obéir” (He 5, 8) ».80


La difficile autorité

28. Mais l'autorité peut aussi connaître le découragement et le désenchantement : face aux résistances de certaines personnes ou de certaines communautés, face à certaines questions qui semblent impossibles à résoudre, elle peut être tentée d'abandonner et de considérer comme inutile tout effort pour améliorer la situation. Il y a là alors le danger de devenir des gestionnaires de la routine, résignés à la médiocrité, ayant peur d'intervenir, manquant de courage pour indiquer les objectifs de la vie consacrée authentique et courant le risque de perdre l'amour des origines et le désir d'en témoigner.

Quand l'exercice de l'autorité pèse et devient difficile, il est bon de se rappeler que le Seigneur Jésus considère cette tâche comme un acte d'amour envers Lui (« Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » Jn 21,16) ; il devient salutaire d'écouter à nouveau les paroles de Paul : « Aux jours d'espérance, soyez dans la joie ; aux jours d'épreuve tenez bon ; priez avec persévérance ; partagez avec les fidèles qui sont dans le besoin » (Rm 12,12-13).

Le silencieux travail intérieur, qui accompagne la fidélité à sa tâche, qui est parfois marqué par la solitude et l'incompréhension de ceux auxquels on se donne, devient chemin de sanctification personnelle et médiation de salut pour les personnes à cause desquelles on souffre.


Obéissants jusqu'à la fin

29. Si la vie du croyant est en totalité une recherche de Dieu, alors, chaque jour de l'existence devient un apprentissage continuel de l'art d'écouter sa voix pour réaliser sa volonté. Il s'agit, assurément, d'une école exigeante, presque un combat entre le “moi” qui tend à être patron de soi et de son histoire, et Dieu qui est “le Seigneur” de toute histoire ; école où on apprend avant tout à faire confiance à Dieu et à sa paternité jusqu'à faire aussi confiance aux hommes, ses fils et nos frères.

Et ainsi peut grandir la certitude que le Père ne nous abandonne jamais, même pas dans les moments où il est nécessaire de remettre le soin de sa propre vie entre les mains de ses frères dans lesquels il faut reconnaître le signe de sa présence et la médiation de sa volonté.

C'est par un acte d'obéissance, bien qu' inconscient, que nous sommes venus à la vie, accueillant la Volonté bonne qui nous a préférés à notre non-existence. Nous conclurons notre chemin par un autre acte d'obéissance, que nous voudrions le plus possible conscient et libre, mais surtout, expression d'abandon envers le Père bon qui nous appellera définitivement à Lui dans son Royaume de lumière infinie, où prendra fin notre recherche, et où nos yeux le verront, en un dimanche sans fin. Alors nous serons pleinement obéissants et accomplis, parce que nous dirons pour toujours oui à l'Amour qui nous a faits pour que nous soyons heureux avec Lui et en Lui.


Une prière de l'autorité

30. « O bon pasteur Jésus, pasteur si bon, pasteur plein d'indulgence et de tendresse, un pauvre et misérable pasteur crie vers vous, un pasteur faible, malhabile et inutile, mais pasteur quand même, et comme il peut, de vos brebis.

« Apprenez-moi donc, à moi votre serviteur, Seigneur, apprenez- moi par votre Esprit Saint, à me donner à eux et à me dépenser pour eux. Donnez-moi, Seigneur, par votre grâce ineffable, de supporter leurs faiblesses avec patience, de compatir avec bonté et de les aider avec discernement. Que j'apprenne à l'école de votre Esprit à consoler ceux qui sont tristes, à réconforter les pusillanimes, à relever ceux qui sont tombés, à être faible avec ceux qui sont faibles, à m'indigner avec ceux qui s'indignent, à être tout à tous pour les gagner. Mettez sur mes lèvres une parole exacte et claire pour qu'ils en soient édifiés en foi, espérance et charité, en chasteté et humilité, en patience et obéissance, en ferveur d'esprit et dévotion du cœur.

« Je les remets entre vos mains saintes et je les confie à votre tendre providence ; que personne ne les ravisse de votre main, ni de la main de votre serviteur à qui vous les avez confiés. Qu'ils persévèrent joyeusement dans leur désir de sainteté, et qu'en persévérant ils obtiennent la vie éternelle, moyennant votre secours, notre doux Seigneur, vous qui vivez et régnez dans les siècles des siècles. Amen ».81


Prière à Marie

31. O douce et sainte Vierge Marie, Toi qui, à l'annonce de l'Ange, par ton obéissance croyante et interrogatrice, nous a donné le Christ. À Cana, tu as montré, avec un cœur attentif, comment agir avec responsabilité. Tu n'as pas attendu passivement que ton Fils intervienne, mais tu l'as devancé, le rendant conscient de ce qui était nécessaire et prenant, avec une discrète autorité, l'initiative d'envoyer vers lui les serviteurs.

Au pied de la croix, l'obéissance a fait de Toi la Mère de l'Église et des croyants, tandis qu'au Cénacle tous les disciples ont reconnu en Toi la douce autorité de l'amour et du service.

Aide-nous à comprendre que toute vraie autorité, dans l'Église et dans la vie consacrée, trouve son fondement dans la docilité à la volonté de Dieu et que chacun de nous devienne, en réalité, autorité pour les autres, par sa propre existence vécue dans l'obéissance à Dieu.

O Mère clémente et pieuse, « Toi qui as fait la volonté du Père, empressée dans l'obéissance »,82 rends notre vie attentive à la Parole, fidèle à la suite de Jésus Seigneur et Serviteur dans la lumière et avec la force de l'Esprit Saint, joyeuse dans la communion fraternelle, généreuse dans la mission, pressée par le service des pauvres, tendue vers le jour où l'obéissance de la foi se jettera dans la fête de l'Amour sans fin.

Le 5 mai 2008, le Saint-Père a approuvé la présente Instruction de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique et en a ordonné la publication.


Rome, le 11 mai 2008, Solennité de la Pentecôte.

Franc Card Rodé, C.M.
Préfet

+ Gianfranco A. Gardin, OFM Conv.
Secrétaire


Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique, Le Service de l'Autorité et l'Obéissance, 11 mai 2008



65 Saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 95, 4-5.

66 Vita consecrata, n. 92.

67 Cf. Vita consecrata, n. 43.

68 Cf. La vie fraternelle en communauté, n. 50.

69 Cf. La vie fraternelle en communauté, n. 59.

70 Saint François d'Assise, Lettre à un Ministre, 9-11.

71 Cf. Jean-Paul II, Encyclique Dives in misericordia (30 novembre 1980), n. 6.

72 Vita consecrata, n. 55; cf. Repartir du Christ, n. 31.

73 La vie fraternelle en communauté, n. 70.

74 Saint Benoît, Règle 68, 1-5.

75 Saint François d'Assise, Admonitions III, 5-6.

76 Saint François d'Assise, Admonitions III, 9.

77 Cf. Paul VI, Evangelica testificatio, nn. 28-29.

78 Jean-Paul II, Encyclique Veritatis splendor (6 août 1993), n. 64.

79 Veritatis splendor, n. 64.

80 Evangelica testificatio, 28.

81 Aelred de Rievaulx, La prière pastorale, 1 ; 7 ; 10. SCh 76, pp. 185.195-196.203.

82 Vita consecrata, n. 112.

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