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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Journal du Vatican / "Pour beaucoup" ou bien "pour tous"?

Publié par dominicanus sur 3 Mai 2012, 20:01pm

Catégories : #Il est vivant !

La bonne réponse est la première

C'est ce que Benoît XVI écrit aux évêques allemands. Et il veut que dans toute l'Église on respecte les paroles prononcées par Jésus lors de la dernière cène, sans en inventer d'autres comme dans les missels postconciliaires. Le texte intégral de la lettre du pape 

 

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CITÉ DU VATICAN, le 3 mai 2012 –  L'une après l’autre, les Églises des différents pays du monde sont en train de rétablir, dans les textes de la messe, les paroles de la consécration du vin tirées textuellement des Évangiles et utilisées pendant des siècles, mais qui, au cours des dernières décennies, ont été remplacées, presque partout, par une traduction différente.

Alors que le texte traditionnel, dans sa version de base en latin, dit encore aujourd’hui : "Hic est enim calix sanguinis mei […] qui pro vobis et pro multis effundetur", les nouvelles versions postconciliaires ont lu dans le "pro multis" un imaginaire "pro omnibus". Et, au lieu de "pour beaucoup", elles ont traduit "pour tous".

Déjà, au cours de la dernière phase du pontificat de Jean-Paul II, quelques dirigeants du Vatican, peu nombreux, parmi lesquels Joseph Ratzinger, avaient essayé de faire revivre dans les traductions la fidélité au "pro multis". Mais sans aucun succès.

Benoît XVI a pris personnellement l’affaire en mains. La preuve en est la lettre qu’il a écrite le 14 avril dernier aux évêques d’Allemagne.

On trouvera ci-dessous la traduction intégrale de cette lettre. Benoît XVI y résume les éléments principaux de la controverse, afin de mieux motiver sa décision de rétablir une traduction correcte du "pro multis". 

Mais, pour mieux comprendre le contexte, il est utile de rappeler ici un certain nombre de points.

 

***


Tout d’abord, en envoyant sa lettre aux évêques d’Allemagne, Benoît XVI veut également s’adresser, à travers eux, aux évêques des autres régions germanophones : l'Autriche, les cantons d’expression allemande en Suisse, le Sud-Tyrol en Italie.

En effet, alors qu’en Allemagne la conférence des évêques a récemment choisi, même si ce n’a pas été sans de fortes résistances, de traduire le "pro multis" non plus par "für alle", pour tous, mais par "für viele", pour beaucoup, il n’en va pas de même en Autriche.

Et en Italie non plus. Au mois de novembre 2010, lors d’un vote, sur 187 évêques votants 11 seulement avaient choisi le "pour beaucoup". Une majorité écrasante avait voté en faveur du "pour tous", sans se soucier des indications données par le Vatican. Peu de temps auparavant, les conférences épiscopales des seize régions ecclésiastiques italiennes, à la seule exception de la Ligurie, s’étaient également prononcées pour le maintien de la formulation "pour tous".

Dans d’autres parties du monde on en revient à l’utilisation du "pour beaucoup" : c’est le cas dans différents pays d'Amérique latine, en Espagne, en Hongrie, aux États-Unis. Souvent avec des contestations et des désobéissances.

Mais il est évident que, dans cette affaire, Benoît XVI veut aller jusqu’au bout. Sans imposer, mais en exhortant les évêques à préparer le clergé et les fidèles, par une catéchèse appropriée, à un changement qui devra de toutes façons être effectué.

Après cette lettre, il est donc facile de prévoir que le "pour beaucoup" sera également rétabli dans les messes célébrées en Italie, en dépit du vote contraire émis par les évêques en 2010.

La nouvelle version du missel, approuvée par la conférence des évêques d’Italie, est actuellement en cours d’examen à la congrégation vaticane pour le culte divin. Et elle sera certainement corrigée, sur ce point, d’après les indications du pape.


***


Une seconde remarque concerne les obstacles que le rétablissement d’une traduction correcte du "pro multis" a continuellement rencontrés sur sa route.

Jusqu’en 2001, les partisans des traductions plus “libres” des textes liturgiques s’appuyaient sur un document élaboré en 1969 par le "Consilium ad exsequendam Constitutionem de Sacra Liturgia" qui avait pour secrétaire Mgr Annibale Bugnini. Ce document non signé est, particularité insolite, rédigé en français, et il est habituellement désigné par ses premiers mots : "Comme le prévoit".

En 2001, la congrégation pour le culte divin publia une instruction, "Liturgiam authenticam", consacrée à l’application correcte de la réforme liturgique conciliaire. Le texte, daté du 28 mars, portait la signature du cardinal préfet Jorge Arturo Medina Estevez et celle de l’archevêque secrétaire Francesco Pio Tamburrino, et il avait été approuvé par Jean-Paul II lors d’une audience accordée huit jours plus tôt au cardinal secrétaire d’état Angelo Sodano.

Rappelant que le rite romain "a un style et une structure propres qui doivent être respectés autant que possible, y compris pour les traductions", l'instruction recommandait une traduction des textes liturgiques qui soit l’expression "non pas tant de l’exercice d’une créativité que du souci de la fidélité et de l’exactitude quand il s’agit de rendre les textes latins en langue vernaculaire". Les bonnes traductions – prescrivait le document – "doivent être détachées de toute dépendance excessive vis-à-vis des formes d’expression modernes et, en général, vis-à-vis d’une langue à tonalité psychologisante".

L'instruction "Liturgiam authenticam" ne citait même pas le texte "Comme le prévoit". Et c’était une omission volontaire, afin de retirer définitivement à ce texte une autorité et un caractère officiel qu’il n’avait jamais eus.

Mais, malgré cela, l'instruction rencontra une très forte résistance, y compris au sein de la curie romaine, au point même d’être ignorée et contredite par deux documents pontificaux ultérieurs.

Le premier est l’encyclique “Ecclesia de Eucharistia” publiée par Jean-Paul II en 2003. Dans son paragraphe 2, où sont rappelées les paroles de Jésus pour la consécration du vin, on lit : "Prenez et buvez-en tous : ceci est la coupe de mon sang, pour l’alliance nouvelle et éternelle, versé pour vous et pour la multitude ["pro omnibus" dans le texte latin officiel de l’encyclique] en rémission des péchés (cf. Mc 14, 24 ; Lc 22, 20 ; 1 Cor 11, 25)". Le "pour la multitude" ["pro omnibus", pour tous] est ici une variation qui n’a aucune correspondance dans les textes bibliques cités et qui est évidemment introduite par imitation des traductions présentes dans les missels postconciliaires.

Le second document est la dernière des lettres que Jean-Paul II avait l’habitude d’adresser aux prêtres chaque Jeudi Saint. Elle était datée de la Polyclinique Gemelli, le 13 mars 2005, et au quatrième paragraphe elle disait :

"'Hoc est enim corpus meum quod pro vobis tradetur'. Le corps et le sang du Christ sont donnés pour le salut de l’homme, de tout l’homme et de tous les hommes. C’est un salut intégral et en même temps universel, parce qu’il n’y a pas d’homme qui, à moins d’un acte libre de refus, soit exclu de la puissance salvifique du sang du Christ : 'qui pro vobis et pro multis effundetur'. Il s’agit d’un sacrifice offert pour 'beaucoup', comme le dit le texte biblique (Mc 14, 24 ; Mt 26, 28 ; cf. Is 53, 11-12) en une expression sémitique typique qui, tout en mentionnant la multitude atteinte par le salut opéré par l’unique Christ, implique en même temps la totalité des êtres humains auxquels ce salut est offert : c’est le sang 'versé pour vous et pour tous', comme cela est légitimement explicité dans certaines traductions. La chair du Christ est en effet donnée 'pour la vie du monde' (Jn 6,51 ; cf. 1 Jn 2,2)".

La vie de Jean-Paul II ne tenait qu’à un fil, il allait mourir une vingtaine de jours plus tard. Et c’est à un pape qui était dans cet état, qui n’avait même plus la force de lire, que l’on fit signer un document en faveur de la formule "pour tous".

La congrégation pour la doctrine de la foi, à laquelle ce texte n’avait pas été soumis préalablement, nota le fait avec désappointement. La preuve en est que, quelques jours plus tard, le 21 mars, Lundi Saint, lors d’une réunion orageuse des chefs de certains dicastères de la curie, le cardinal Ratzinger émit des protestations.

Moins d’un mois plus tard, ce même Ratzinger était élu pape. Ce qu’annonça au monde, avec une satisfaction visible, le cardinal proto-diacre Medina, celui-là même qui avait signé l'instruction "Liturgiam authenticam".


***


Benoît XVI ayant été élu pape, le rétablissement d’une traduction correcte du "pro multis" devint immédiatement un objectif de sa "réforme de la réforme", dans le domaine de la liturgie.

Il savait qu’il rencontrerait des oppositions tenaces. Mais dans ce domaine il n’a jamais craint de prendre des décisions même fortes, comme le prouve le motu proprio "Summorum pontificum" de 2007 pour la libéralisation de la messe selon le rite ancien.

Un point très intéressant est la manière que Benoît XVI veut employer pour mettre en œuvre ses décisions. Pas exclusivement en donnant des ordres péremptoires, mais en cherchant à convaincre.

Trois mois après avoir été élu pape, il fit réaliser par la congrégation pour le culte divin, alors présidée par le cardinal Francis Arinze, un sondage auprès des conférences épiscopales, afin de connaître leur avis en ce qui concernait la traduction du "pro multis" par "pour beaucoup".

Ayant obtenu ces avis, le 17 octobre 2006, le cardinal Arinze, sur les indications du pape, envoya à toutes les conférences épiscopales une circulaire dans laquelle il énumérait six raisons d’adopter le "pour beaucoup" et exhortait les évêques – là où la formule "pour tous" était utilisée – à "entreprendre la nécessaire catéchèse des fidèles" en vue du changement.

C’est la catéchèse que Benoît XVI suggère de faire en particulier en Allemagne, dans la lettre qu’il a envoyée aux évêques allemands le 14 avril dernier. Dans laquelle il fait remarquer que, à sa connaissance, cette initiative pastorale suggérée par des voix autorisées six ans plus tôt n’a jamais été mise en œuvre.

Deux notes en marge du texte pontifical : 1) Le "Gotteslob" est le livre commun de chants et de prières utilisé dans les diocèses catholiques de langue allemande. 2) La citation "Grâces soient rendues au Seigneur qui, par sa grâce, m’a appelé dans son Église..." est le dernier verset de la première strophe d’un chant qui revient souvent dans les églises allemandes : "Fest soll mein Taufbund immer stehen".

www.chiesa



"NOUS SOMMES BEAUCOUP ET NOUS REPRÉSENTONS L’ENSEMBLE..."



Excellence !
Révérend et cher archevêque !

À l’occasion de votre visite, le 15 mars 2012, vous m’avez informé du fait que, en ce qui concerne la traduction des mots "pro multis" dans la prière du canon de la sainte messe, il n’y avait toujours pas de consensus entre les évêques de la zone germanophone. 

Il semble qu’il y ait un danger que, dans la nouvelle édition de ‘Gotteslob’, à paraître prochainement, certaines parties de la zone d’expression allemande ne désirent conserver la traduction "pour tous", bien que la conférence des évêques d’Allemagne soit d’accord pour utiliser l’expression "pour beaucoup", conformément au souhait du Saint-Siège. 

Je vous ai promis de m’exprimer par écrit à propos de cette importante question, afin de prévenir une telle division sur le point le plus intime de notre prière. Je vais faire en sorte que cette lettre, que j’adresse par votre intermédiaire à tous les membres de la conférence des évêques d’Allemagne, soit également envoyée aux autres évêques de la zone d’expression allemande.

Permettez-moi de dire rapidement quelques mots à propos de l’origine du problème. 

Dans les années 60, lorsque le Missel Romain a dû être traduit en langue allemande, sous la responsabilité des évêques, il existait un consensus exégétique sur le fait que les mots "les multitudes", "beaucoup", en Isaïe 53, 11 et suivants, étaient une forme d’expression hébraïque pour indiquer l’ensemble, "tous". Le mot "beaucoup", dans les récits de l’institution faits par Matthieu et Marc, était par conséquent considéré comme un sémitisme et il devait être traduit par "tous". Ce raisonnement fut également appliqué à la traduction du texte latin, où "pro multis", à travers les récits évangéliques, renvoyait à Isaïe 53 et devait donc être traduit par "pour tous". 

Mais, depuis cette époque, ce consensus exégétique s’est effrité ; il n’existe plus. Dans le récit de la dernière cène que donne la traduction allemande unifiée de la Sainte Écriture, on lit : "Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour beaucoup" (Mc 14, 24, cf. Matt. 26, 28). Cela met en évidence quelque chose de très important : la traduction de "pro multis" par "pour tous" n’a pas été une pure traduction, mais plutôt une interprétation, qui était et qui reste bien motivée mais qui est une explication et donc quelque chose de plus qu’une traduction.

Ce mélange de traduction et d’interprétation fait partie, par certains côtés, des principes qui, immédiatement après le concile, ont inspiré la traduction des livres liturgiques en langues modernes. On sentait bien à quel point la Bible et les textes liturgiques étaient éloignés de l’univers du langage et de la pensée de l’homme moderne, ce qui avait pour conséquence que, même traduits, ils continueraient à être incompréhensibles pour les personnes qui participeraient à l’office divin. Un nouveau risque tenait au fait que, grâce à la traduction, les textes sacrés seraient accessibles à ceux qui participeraient à la messe, tout en restant très éloignés de leur univers, et que cette distance deviendrait encore plus perceptible qu’auparavant. Il paraissait donc non seulement permis mais même obligatoire d’introduire de l’interprétation dans la traduction, de manière à réduire la distance entre les textes et les gens dont les cœurs et les esprits devaient être atteints par ces mots.

Dans une certaine mesure, le principe d’une traduction donnant le contenu des textes fondamentaux sans être nécessairement littérale continue à être justifié. Comme je prononce fréquemment les prières liturgiques en diverses langues, j’ai remarqué que, dans certains cas, on ne trouve presque pas de ressemblances entre les différentes traductions et que le texte commun sur lequel ces traductions sont fondées n’est que difficilement reconnaissable. En même temps on a constaté des banalisations qui constituent de véritables pertes. C’est pourquoi, au fil des années, j’ai moi-même compris de plus en plus clairement que, en tant que ligne directrice pour la traduction, le principe de l’équivalence non pas littérale mais structurelle avait ses limites. 

S’inspirant de ces intuitions, l’instruction destinée aux traducteurs "Liturgiam authenticam", promulguée par la congrégation pour le culte divin le 28 mars 2001, a replacé au premier plan le principe de la correspondance littérale, sans pour autant, bien sûr, prescrire un verbalisme unilatéral. 

L’importante intuition qui est à la base de cette instruction est la distinction entre traduction et interprétation, déjà mentionnée plus haut. Elle est nécessaire à la fois pour les mots des Écritures et pour les textes liturgiques. D’une part, la Parole sacrée doit apparaître le plus possible en elle-même, y compris avec son étrangeté et avec les questions qu’elle porte en elle. D’autre part l’Église a été chargée de faire le travail d’interprétation, afin que – dans les limites de notre compréhension respective – le message que le Seigneur a voulu nous faire connaître parvienne jusqu’à nous. 

Même la traduction la plus exacte ne peut pas remplacer l’interprétation : une partie de la structure de la révélation est que la Parole de Dieu soit lue dans la communauté interprétante de l’Église, que la fidélité et l’actualisation soient associées. La Parole doit être présente en elle-même, dans sa propre forme qui nous est peut-être étrangère ; l’interprétation doit être évaluée en fonction de sa fidélité à la Parole elle-même, mais en même temps elle doit rendre celle-ci accessible à ceux qui l’écoutent aujourd’hui.

Dans ce contexte, le Saint-Siège a décidé que, dans la nouvelle traduction du Missel, l’expression "pro multis" doit être traduite comme telle, sans être déjà interprétée. La traduction interprétative "pour tous" doit être remplacée par la simple traduction "pour beaucoup". Je voudrais rappeler qu’aussi bien dans Matthieu que dans Marc il n’y a pas d’article et qu’il faut donc dire […] "pour beaucoup". 

Si, du point de vue de la corrélation fondamentale entre traduction et interprétation, cette décision est, comme je l’espère, tout à fait compréhensible, je suis pourtant bien conscient que cela représente un immense défi pour tous ceux à qui est confiée la tâche d’expliquer la Parole de Dieu dans l’Église. 

Pour les gens qui se rendent normalement à la messe, cela va presque inévitablement apparaître comme une rupture avec le centre même du rite sacré. Ils vont se demander : est-ce que le Christ n’est pas mort pour tous ? L’Église a-t-elle modifié sa doctrine ? Peut-elle le faire et est-ce que cela lui est permis ? Est-ce une réaction qui veut détruire l’héritage du concile ? 

L’expérience des cinquante dernières années nous a appris à tous combien la modification des formes et textes liturgiques affecte profondément les gens et donc combien un changement portant sur un point aussi central du texte doit les inquiéter. C’est bien pour cette raison que, lorsque la traduction "beaucoup" a été choisie à cause de la différence entre traduction et interprétation, il a été également décidé que, dans les différentes zones linguistiques, la traduction devrait être précédée par une catéchèse approfondie dans laquelle les évêques devraient expliquer concrètement à leurs prêtres, et à travers eux aux fidèles, de quoi il s’agit. 

Cette catéchèse préalable est le présupposé essentiel de l’entrée en vigueur de la nouvelle traduction. Pour autant que je sache, une telle catéchèse n’a, jusqu’à maintenant, pas existé dans la zone d’expression allemande. Par la présente lettre, chers frères, je voudrais vous demander instamment de préparer maintenant une telle catéchèse, puis d’en parler avec vos prêtres et en même temps de la rendre accessible aux fidèles.

Dans cette catéchèse il faut tout d’abord expliquer brièvement pourquoi, dans la traduction du missel, le mot "beaucoup" a été rendu, après le concile, par "tous" : afin d’exprimer sans aucune équivoque, dans le sens voulu par Jésus, l’universalité du salut qui vient de lui. 

Mais cela amène tout de suite cette question : si Jésus est mort pour tous, pourquoi, lorsqu’il a prononcé les mots de la Dernière Cène, a-t-il dit "pour beaucoup" ? Et pourquoi, alors, insistons-nous sur ces mots de Jésus lors de l’institution ? 

Avant tout il faut encore préciser, à ce point du raisonnement, que, selon Matthieu et Marc, Jésus a dit "pour beaucoup" alors que, selon Luc et Paul, il a dit "pour vous". Apparemment cela rétrécit encore davantage le cercle. Mais c’est justement à partir de là que l’on peut s’approcher de la solution. Les disciples savent que la mission de Jésus les transcende, eux et leur groupe ; qu’Il est venu pour rassembler tous les enfants de Dieu dispersés dans le monde entier (Jn. 11, 52). Les mots "pour vous" rendent la mission de Jésus très concrète pour ceux qui sont présents. Ils ne sont pas un quelconque élément anonyme d’un ensemble immense, mais chacun d’eux sait que le Seigneur est mort précisément pour lui, pour nous. "Pour vous" remonte dans le passé et se porte vers l’avenir, il s’adresse à moi personnellement ; nous, qui sommes rassemblés ici, nous sommes connus et aimés en tant que tels par Jésus. Donc ce "pour vous" n’est pas une limitation, mais une concrétisation qui est valable pour toute communauté qui célèbre l’Eucharistie, qui l’unit concrètement à l’amour de Jésus. Le canon romain a uni entre elles les deux expressions bibliques dans les paroles de la consécration et il dit donc : "pour vous et pour beaucoup". Lors de la réforme de la liturgie, cette formulation a été adoptée pour toutes les prières eucharistiques.

Mais, une fois encore : pourquoi employer l’expression "pour beaucoup" ? Est-ce que le Seigneur n’est pas mort pour tous ? Le fait que Jésus-Christ, en tant que Fils de Dieu fait homme, soit l’homme pour tous les hommes, le nouvel Adam, c’est l’une des certitudes fondamentales de notre foi. Je voudrais, à ce propos, rappeler seulement trois passages des Écritures. Dieu a livré Son Fils "pour nous tous", écrit Paul dans la lettre aux Romains (Rom 8, 32). "Un seul est mort pour tous", affirme-t-il dans la seconde lettre aux Corinthiens à propos de la mort de Jésus (2 Cor. 5, 14). Jésus "s’est livré en rançon pour tous", lit-on dans la première lettre à Timothée (1 Tim 2:6). 

Mais alors faut-il vraiment demander de nouveau : si c’est tellement évident, pourquoi la prière eucharistique dit-elle "pour beaucoup" ? Et bien, l’Église a tiré cette formulation des récits de l’institution qui se trouvent dans le Nouveau Testament. Elle l’utilise par respect pour la parole de Dieu, pour Lui rester fidèle jusque dans la parole. La raison de la formulation de la prière eucharistique, c’est la crainte révérencielle face à la parole de Jésus elle-même. Mais alors nous nous demandons : pourquoi Jésus a-t-il parlé ainsi ? La véritable raison, c’est que, de la sorte, Jésus s’est fait reconnaître comme le serviteur de Dieu dont il est question en Isaïe 53, qu’il s’est révélé comme la figure annoncée par la prophétie. La crainte révérencielle de l’Église devant la Parole de Jésus, la fidélité de Jésus aux paroles de "l’Écriture" : c’est cette double fidélité qui constitue le motif concret de la formulation "pour beaucoup". Nous nous insérons dans cette chaîne de respectueuse fidélité par la traduction littérale de la Parole de l’Écriture.

De même que nous avons dit précédemment que le "pour vous" de la tradition de Luc et Paul n’est pas une limitation mais une concrétisation, de même nous pouvons reconnaître maintenant que la dialectique entre "beaucoup" et "tous" a une importance propre. "Tous" se place au niveau ontologique – l’être et l’action de Jésus incluent l’humanité tout entière, le passé, le présent et l’avenir. Mais de fait, historiquement, dans la communauté concrète de ceux qui célèbrent l’Eucharistie, ils n’impliquent que "beaucoup". Cela fait que l’on peut distinguer une triple signification de l’attribution de "beaucoup" et de "tous". 

Tout d’abord, pour nous, qui pouvons nous asseoir à sa table, cela doit signifier surprise, joie et gratitude d’avoir été appelés, de pouvoir être avec lui et de pouvoir le connaître. "Grâces soient rendues au Seigneur qui, par sa grâce, m’a appelé dans son Église…". 

Mais, en deuxième lieu, c’est également une responsabilité. La forme sous laquelle le Seigneur atteint les autres – "tous" – à sa manière reste un mystère. Néanmoins il ne fait pas de doute que c’est une responsabilité que d’être appelé directement par lui à sa table pour pouvoir entendre : pour vous, pour moi, Il a souffert. "Beaucoup" ont la responsabilité de "tous". La communauté qui est constituée par "beaucoup" doit être la lumière sur le candélabre, la ville construite sur une hauteur, le levain pour "tous". C’est une vocation qui concerne chacun d’entre nous de manière tout à fait personnelle. "Beaucoup", c’est-à-dire nous, doivent avoir la responsabilité de l’ensemble, en étant conscients de leur mission. 

À cela, enfin, peut s’ajouter un troisième aspect. Dans la société actuelle, nous avons la sensation d’être non pas "beaucoup", mais très peu nombreux, de constituer un petit groupe qui ne cesse de diminuer. Et bien non – nous sommes "beaucoup" : "Après quoi, voici qu’apparut à mes yeux une foule immense, impossible à dénombrer, de toute nation, race, peuple et langue", nous dit l’Apocalypse de Jean (Ap 7, 9). Nous sommes "beaucoup" et nous représentons "tous". Ainsi les deux mots “beaucoup” et  “tous”, vont ensemble et font référence l’un à l’autre pour ce qui est de la responsabilité et de la promesse.

Excellence, cher frère dans l'épiscopat ! Dans tout ce qui précède j’ai voulu esquisser les lignes directrices de la catéchèse qui devra préparer le plus rapidement possible les prêtres et les laïcs à la nouvelle traduction. Je souhaite que tout cela puisse également contribuer à une participation plus intense à la célébration de la sainte eucharistie, s’insérant ainsi dans l’importante démarche que nous allons entreprendre avec l'"Année de la Foi". Je peux espérer que la catéchèse soit bientôt prête et qu’ainsi elle devienne une partie du renouvellement liturgique auquel le concile a travaillé dès sa première session.

Avec mes salutations et ma bénédiction de Pâques, je suis vôtre dans le Seigneur.

Benedictus PP XVI

Le 14 avril 2012


Le texte original en allemand de la lettre du pape aux évêques d’Allemagne, sur le site de leur conférence épiscopale :

> "Bei ihrem Besuch..."


L'instruction de la congrégation pour le culte divin publiée en 2001 :

> "Liturgiam authenticam"



La lettre écrite en 2006 par le cardinal Arinze, toujours absente du site du Vatican mais publiée dans "Notitiæ", le bulletin de la congrégation pour le culte divin, n. 481-482, sept. oct. 2006, pp. 9-10 :

> "Nel mese di luglio..."



Tous les articles de www.chiesa à propos du gouvernement central de l’Église catholique:

> Focus VATICAN


Traduction française par Charles de Pechpeyrou.

 

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