Ces deux pays étaient les plus catholiques d'Europe. Mais, au niveau diplomatique, ce n'est plus qu'un souvenir. Leurs gouvernements respectifs sont sur le pied de guerre avec le Saint-Siège. À Varsovie, c'est aussi à cause de Radio Maryja
Mais, ces derniers temps, deux autres filles bien-aimées de la papauté semblent faire preuve de rébellion vis-à-vis de Rome. L’Irlande ouvertement, la Pologne avec plus de circonspection.
À Dublin, le geste de rupture – comme www.chiesa l’a déjà indiqué – a été de rabaisser l'ambassade d'Irlande près le Saint-Siège au rang de représentation non résidentielle, comme celles de l’Iran et du Timor-Oriental :
> Journal du Vatican / La catholique Irlande retire le triple A au pape (5.11.2011)
Cette décision a été officiellement justifiée par des motifs budgétaires. Mais beaucoup de gens estiment qu’il s’agit d’une mesure de représailles pour l’absence présumée de collaboration du Vatican lors des enquêtes menées par le gouvernement irlandais à propos des abus sexuels sur mineurs qui ont été commis par des membres du clergé au cours des dernières décennies.
Certaines personnalités politiques ont demandé que l’on revienne sur cette décision. On a pu lire dans l’"Irish Times" que l’ambassade près le Vatican était l’une des moins onéreuses, avec un coût annuel de 348 000 euros seulement. Mais le gouvernement évalue à 600 000 euros l’économie réalisée. En tout cas, aussi bien le premier ministre irlandais Enda Kenny, lors d’un récent voyage à Rome pendant lequel il s’est soigneusement tenu à bonne distance du Vatican, que le ministre des Affaires étrangères, le travailliste agnostique Eamon Gilmore, ont affirmé (y compris à Radio Vatican pour le second) que tant que l’état des finances ne le permettrait pas, on ne reviendrait pas en arrière.
Voilà comment la magnifique Villa Spada - qui avait été achetée en 1946 par la République d’Irlande pour servir de résidence à l’une des quatre premières ambassades qu’elle ait ouvertes, en 1929, en même temps que celles de Washington, de Londres et près la Société des Nations - perdra sa fonction historique d'avant-poste irlandais au Vatican.
Aussi longtemps qu’il a été résident, le représentant de Dublin près le Saint-Siège était l’un de ceux, très rares, qui bénéficiaient d’un circuit préférentiel pour être reçus très rapidement en audience personnelle par le pape. Mais ce qui se passe actuellement, c’est que le nouvel ambassadeur désigné, David Cooney, qui a obtenu l’agrément du Vatican avant Noël, est traité comme tous les autres diplomates. En fait, il est encore sur la liste d’attente pour être reçu par Benoît XVI afin de lui remettre ses lettres de créance, lors de l’une de ces audiences "cumulatives" que le pape accorde aux chefs de mission non résidents et dont la prochaine est prévue pour mai ou juin.
Par une curieuse coïncidence, presque une ironie de l’histoire, au moment même où le pays de saint Patrick, catholique per antonomase, relâche ses liens millénaires avec Rome, son voisin le Royaume-Uni – qui, notamment au nom de sa foi protestante, a opprimé l’Irlande pendant des siècles – ne cesse d’améliorer ses relations diplomatiques avec le Saint-Siège.
Des points de friction, bien évidemment, il en reste. À Rome, on craint avec préoccupation que le gouvernement de Londres n’en arrive à assimiler les unions homosexuelles à un mariage pur et simple. Mais ce désaccord, même s’il est profond, ne porte pas préjudice aux bons rapports entre les deux diplomaties, qui au contraire progressent à pleines voiles.
La preuve en est l’accueil triomphal qui a été réservé par la secrétairerie d’état du Vatican à la baronne Sayeeda Warsi, de religion musulmane, que le premier ministre britannique David Cameron a choisie comme chef de la délégation ministérielle envoyée à Rome pour fêter les trente ans de relations diplomatiques complètes avec le Saint-Siège.
Au cours de cette mission, la baronne Warsi a pu être reçue en audience par le pape, rencontrer le secrétaire d’état et même écrire un article qui a été publié en première page de "L'Osservatore Romano". Sa visite a été conclue le 15 février par un long communiqué conjoint au ton très positif :
> "On 14-15 February 2012..."
Un signe supplémentaire, mineur mais tout de même significatif, de l’amélioration des relations entre Rome et Londres est la nomination de l’Écossais Mgr Charles Burns, conseiller ecclésiastique de l’ambassade britannique depuis 2003, en tant que chanoine de Saint-Pierre, au Vatican. Burns a pris possession de cette charge prestigieuse lors d’une cérémonie qui a eu lieu à la basilique Saint-Pierre, le dimanche 19 février.
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En ce qui concerne les difficultés croissantes que la diplomatie vaticane rencontre avec l'insoupçonnable Pologne, le nœud de l’affaire est la célèbre Radio Maryja, fondée par un religieux rédemptoriste, Tadeusz Rydzyk. Ou plus exactement, c’est la chaîne de télévision qui lui est associée, TV Trwam, qui a été exclue de l’attribution des fréquences sur la plateforme numérique terrestre qui arrivera dans tous les foyers en 2013.
La décision d’exclure TV Trwam de la plateforme numérique a été prise, le 19 décembre dernier, par le Conseil national de la radio et de la télévision polonaises, KRRiTV. Les membres de ce Conseil sont nommés par le président de la république et par le parlement ; il est donc dominé par le parti de la Plateforme civique, PO, dont font partie à la fois le président Bronislaw Komorowski, en charge depuis 2010, et le premier ministre Donald Tusk, arrivé au pouvoir après les élections de 2007 et confirmé à son poste après celles de 2011, nettement remportées l’une et l’autre par la PO.
Le motif allégué est le peu de solidité financière de la fondation Lux Veritatis, propriétaire de TV Trwam. Un motif vigoureusement contesté par la chaîne de télévision catholique qui, au mois de janvier dernier, a déposé un recours devant les tribunaux locaux et mobilisé ses auditeurs, recueillant en quelques semaines plus de 1 700 000 signatures de soutien. Quelques parlementaires ont interpellé la Commission européenne à ce sujet.
TV Trwam ne dissimule pas sa sympathie, tout à fait partagée, pour le principal parti d’opposition, le parti conservateur Droit et Justice, PiS, de l’ancien premier ministre Jaroslaw Kaczynski. Ce qui donne à penser que, derrière la décision du KRRiTV, il pourrait y avoir la volonté éminemment politique de bâillonner une chaîne d’opposition très suivie.
Mais TV Trwam est aussi, et peut-être surtout, la plus importante des chaînes de télévision catholiques du pays, aussi bien par son organisation que par ses programmes, et c’est la seule qui, quant au nombre de téléspectateurs, pouvait être admise au numérique. Par conséquent, si la décision n’est pas annulée, il n’y aura plus aucune voix ouvertement catholique sur la plateforme numérique, dans un pays comme la Pologne où l’Église, bien que la sécularisation soit arrivée jusque là, conserve encore un rôle très important.
C’est pour cette raison que le conseil permanent de la conférence des évêques de Pologne est intervenu.
Dans une déclaration officielle, le 16 janvier, les évêques ont déploré que la décision du KRRiTV "porte atteinte au principe de la pluralité et à celui de l’égalité devant la loi, et cela d’autant plus que la majorité des habitants de notre pays sont des catholiques qui devraient avoir librement accès aux programmes de TV Trwam dans le système du numérique terrestre". Et ils ont exprimé l’espoir de voir cette chaîne "qui émet depuis plus de huit ans, faisant preuve de stabilité financière" être intégrée "dans le système de la télévision numérique en Pologne".
Cette déclaration est importante parce que, à l’exception de l’archevêque de Gniezno, les douze plus hauts représentants de la hiérarchie catholique polonaise ont participé à la réunion du conseil permanent où elle a vu le jour : aussi bien ceux qui, historiquement, sont les plus proches de Radio Maryja, comme le président de la conférence des évêques de Pologne, l’archevêque de Przemysl, Jozef Michalik, et l’archevêque de Dantzig, Slawoj L. Glodz, que ceux qui n’ont pas manifesté beaucoup de sympathie pour la chaîne, comme les cardinaux de Varsovie et de Cracovie, Kazimierz Nycz et Stanislaw Dziwisz.
Beaucoup d’autres évêques – ceux de Pelpin, Bydgoszcz, Swidnica, Legnica, Zielona Gora, Kalisz... – ont par la suite fait des déclarations de soutien à la cause de TV Trwam au nom de la défense de la liberté des moyens de communication à caractère catholique.
Des manifestations de soutien réunissant des dizaines de milliers de personnes ont eu lieu à Varsovie et à Cracovie. Et d’autres ont été organisées dans les villes d’Amérique du Nord où existe une émigration polonaise historiquement consolidée : l’une d’elles a rassemblé trois mille personnes à Chicago.
Il est utile de noter que le parti de la Plateforme civique, qui est en position hégémonique au sein du KRRiTV, n’est pas un parti anticlérical, contrairement au mouvement Palikot qui, aux élections du mois d’octobre dernier, a créé la surprise en parvenant à obtenir 10 % des suffrages. Mais sa composante catholique a un profil plutôt intellectuel et libéral, de type “catholiques adultes”, et elle supporte mal ce catholicisme populaire et traditionnel qui est particulièrement vivace dans les régions du centre-sud et du centre-est de la Pologne, où la participation active à la vie de l’Église est plus élevée et où, comme par hasard, les opinions favorables au parti conservateur Droit et Justice restent majoritaires.
Cette aversion, également culturelle, de l'actuel gouvernement de Varsovie pour Radio Maryja (celle-ci est sans aucun lien avec la Radio Maria italienne, même si ces deux stations ont en commun une large diffusion populaire et une défense intransigeante de la foi et des valeurs catholiques) a amené ce gouvernement à aller jusqu’à exercer des pressions sur le Saint-Siège pour que celui-ci intervienne contre la radio et la télévision du père Tadeusz Rydzyk.
Il l’a également fait de manière formelle, au mois de juin 2011, par le biais d’une note diplomatique qui a été suivie d’une intervention directe du ministre des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, lors d’un entretien que celui-ci a eu avec son homologue au Vatican, l’archevêque Dominique Mamberti.
Mais ces pressions ne semblent pas avoir produit les effets espérés. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire la lettre écrite au nom de Benoît XVI, le 1er décembre dernier, par le cardinal secrétaire d’état, Tarcisio Bertone, au supérieur des rédemptoristes de la province de Varsovie, le père Janusz Sok, pour le vingtième anniversaire de la radio.
La lettre a un "incipit" au ton fortement élogieux : "Le Saint-Père Benoît XVI, en union spirituelle avec les personnes qui participent au XXe anniversaire de Radio Maryja, envoie par mon intermédiaire, par les mains du père provincial, son salut et sa Bénédiction apostolique au fondateur et directeur de la Radio, le père Tadeusz Rydzyk, à tous les collaborateurs ecclésiastiques et laïques, aux volontaires et à ceux qui trouvent dans cette radio catholique une aide dans la foi sur le chemin qui mène à la rencontre avec Dieu".
La suite de la lettre est truffée de citations des nombreux éloges adressés à la Radio par le bienheureux Jean-Paul II au cours de son pontificat.
En somme, la lettre du cardinal Bertone semble montrer que le Saint-Siège et les dirigeants de l’épiscopat polonais sont tout à fait d’accord pour voir en Radio Maryja une radio catholique qu’il n’est pas juste de marginaliser.
Mais, en tout cas, cette lettre n’a pas évité la "très grave décision" prise par le KRRiT gouvernemental d’exclure la télévision de Radio Maryja de la plateforme numérique.
Décision qui, en Pologne mais aussi à Rome, est considérée comme dictée, au-delà des "faibles excuses à propos de l’'instabilité financière'", surtout "par de forts intérêts idéologiques".
La bataille, également diplomatique, entre Rome et Varsovie à propos de Radio Maryja semble loin d’être terminée.
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> Focus VATICAN
Traduction française par Charles de Pechpeyrou.