L'Evangile selon S. Marc est l'Evangile du catéchumène. Pourquoi? C'est l'Evangile le plus ancien; c'est celui que l'Eglise primitive a composé en premier pour répondre à l'urgence de préparer les foules qui le demandaient au baptême. C'est aussi l'Evangile le plus court, qui contient l'essentiel des faits au sujet de Jésus.
Il est probable qu'il ait été composé pour les païens de Rome et qu'il soit l'écho de la prédication de S. Pierre. Il contient tout ce qu'un païen qui se prépare au baptême doit assimiler (et pas seulement savoir) et vivre pour franchir le seuil de la conversion.
L'Evangile de Matthieu, que nous avons médité l'an dernier (année liturgique A) est l'Evangile du catéchiste. Il rapporte beaucoup de paroles de Jésus en les présentant dans un certain ordre. Le tout est rassemblé en cinq grands discours: le Sermon sur la Montagne (ch. 5-7), l'envoi en mission (10), le discours en paraboles (13), le discours ecclésial (18) et le discours eschatologique (25).
Que doit faire le néophyte? Il doit faire la démarche d'entrer dans une communauté. Il doit se rendre compte que lors du baptême, il n'a pas seulement dit son 'oui' à Dieu, à Jésus, mais qu'il s'est engagé dans une communauté afin, justement, d'y trouver la présence de Dieu. Voici la phrase clé de l'Evangile de Matthieu:
"Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde." (Mt 28, 20)
Matthieu nous donne un catéchisme raisonné du Règne de Dieu. A travers les cinq grands discours et les actions de Jésus, il nous donne de comprendre ce qu'est le Royaume de Dieu, comment on y entre, comment on l'accueille, quels sont les principaux devoirs de ceux qui y entrent. Ce catéchisme nous apprend la manière de vivre du chrétien (l'éthique chrétienne), la visée missionnaire de ce Royaume, ses difficultés internes aussi, et la charité, le pardon qui doivent s'y exercer, et sa fin eschatologique. Bref, c'est un long catéchisme qui veut inciter le baptisé à approfondir le sens de son appartenance à l'Eglise.
Tandis que l'Evangile de Matthieu est l'approfondissement de la vie chrétienne, la catéchèse de celui qui a déjà été baptisé, l'Evangile de Marc est la première annonce de la Bonne Nouvelle au païen (kérygme). Mais faisons bien attention!
"Il est plus difficile de devenir chrétien quand on l'est, que de le devenir quand on ne l'est pas." (Kierkegaard)
Une fois que nous sommes baptisés, nous ne sommes pas encore quittes avec le paganisme (le 'vieil homme'). Une fois baptisés, même de longue date, nous avons toujours besoin du kérygme. Tant le Directoire général pour la catéchèse (n. 258) que le Catéchisme de l'Eglise catholique (n. 1231) reconnaissent la nécessité d'un catéchuménat après le baptême. C'est là tout l'intérêt de l'Evangile selon S. Marc pour nous cette année.
"Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu" :
C'est une phrase programme qui, dans son extrême concision, caractéristique du kérygme, proclame néanmoins la même foi que celle de S. Jean, plus explicite.
"Commencement": comme en Jn 1, 1 et Gn 1, 1: c'est une nouvelle création, une nouvelle genèse.
"La Bonne Nouvelle": l'Evangile, au singulier! Avant d'être consigné dans les quatre livres que nous appelons "les évangiles", l'Evangile (au singulier) est annonce, kérygme. Il ne présente pas seulement un tableau de l'histoire du Christ, mais "il est une force de Dieu pour le salut de tout homme qui croit" (Rm 1, 16). Il est donc nécessaire que cette Bonne Nouvelle soit reçue dans la foi, et une foi qui engage: "Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route" (Mc 1, 2-3).
"... de Jésus Christ", appelée aussi "de Dieu (1, 14) ou Evangile de la grâce de Dieu (Ac 20, 24).
"Jésus Christ, Fils de Dieu": c'est d'une audace incroyable, vous voyez! N'oublions pas que nous sommes au tout début du premier Evangile. Et dès le début il y a cette affirmation: "Jésus, Fils de Dieu"! C'est tout l'Evangile de Marc qui est orienté vers la révélation progressive, d'abord secrète (Mc 3, 11-12), mais officialisée lors du procès (Mc 14, 61-62) et reconnu même des païens (Mc 15, 39). C'est donc tout son programme que Marc formule d'emblée, par le double titre davidique et divin, messianique et filial, concordant avec S. Luc (1, 32.35) et S. Paul (Rm 1, 3-4). Le kérygme, c'est l'assertion "autoritaire", qui ne se justifie pas par des raisonnements philosophiques ou apologétiques, mais dont la force vient de l'Esprit Saint. On accepte ou on n'accepte pas.
Au 2ème siècle, le philosophe païen, Celse, écrit, indigné:
"Les païens se comportent comme ceux qui croient sans raison. Certains d'entre eux ne veulent même pas donner ou recevoir une raison autour de celui auquel ils croient et utilisent des formules comme celles-ci: 'Ne discute pas, mais crois; la foi te sauvera' ".
Celse aurait voulu que les chrétiens présentent leur foi dans une discussion pour la rendre acceptable philosophiquement. Bien sûr, le refus des chrétiens d'entrer dans la discussion ne concernait pas l'ensemble de l'itinéraire de la foi, mais uniquement le début. Sinon, ce serait du fidéisme. Les chrétiens ne fuyaient pas, même à cette époque, la confrontation et le fait de "donner raison de leur espérance" également aux Grecs (cf. 1 P 3, 15). Ils pensaient seulement que la foi ne pouvait pas naître de cette confrontation, mais devait la précéder, car elle est l'oeuvre de l'Esprit et non de la raison. La confrontation pouvait, tout au plus, la préparer et, une fois accueillie, en montrer la justesse.
Cela est d'une grande importance aussi dans notre contexte actuel. L'Eglise catholique possède une forte tradition théologique, mais elle risque d'être le parent pauvre, si, en dessous de l'immense patrimoine de doctrine, de lois et d'institutions, elle ne retrouve pas la force de ce noyau primordial, capable de susciter en lui-même la foi.
Pensons ici à David dans son combat contre Goliath. Voulant endosser une armure très lourde, il s'aperçoit qu'elle va le gêner plus qu'autre chose. Alors il la laisse de côté et affronte sans complexes le géant avec sa simple fronde de berger. Nombre de catholiques abandonnent l'Eglise pour d'autres groupes plus ou moins chrétiens parce qu'ils sont attirés par une annonce simple et efficace qui les met directement en contact avec le Christ et leur fait expérimenter la puissance de son Esprit, même si c'est groupes n'ont pas les moyens que possède l'Eglise catholique pour conduire les personnes à la perfection de la vie chrétienne.
La majorité d'entre nous n'est pas passée par le catéchuménat. Il faut donc que l'annonce fondamentale nous soit proposée d'une manière claire et essentielle après le baptême. C'est l'occasion que nous offre l'Evangile selon S. Marc tout au long de cette année qui commence. Profitons-en bien.