Les textes de ce dimanche sont absolument déterminants pour la formation de l’Eglise, telle que Dieu la veut. La correction fraternelle y occupe une place centrale, puisque, membres de l’Eglise, nous n’en sommes pas pour autant moins personnellement pécheurs et solidaires du péché des autres. Il est donc du devoir de chaque chrétien de pratiquer la correction fraternelle. Nous sommes tous membres d’un même corps, et aucun membre de ce corps ne peut rester indifférent si un des autres membres se fait du tort gravement et cause des dégâts importants dans la vie de l’ensemble de ce corps.
Si quelqu’un est en danger sur la route, dans l’eau ou ailleurs, la loi nous fait un devoir de lui porter secours. Ce n’est pas une option, mais une obligation. Si nous ne le faisons pas, cela relève de la non-assistance à personnes en danger. Dans la communauté chrétienne il n’en va pas autrement. Au contraire, car ce qui nous unit en tant que chrétiens est plus fort que ce qui nous relie dans la communauté humaine.
Le prophète Ezéchiel a été établi comme « guetteur » pour la Maison d’Israël. Le guetteur, c’est celui qui veille, celui qui est attentif à ce que personne ne soit à danger. A l’occasion il peut être sauveteur.
L’admonition et – si nécessaire – la correction, peut, selon l’Évangile, seulement se faire en référence à la Révélation divine et la discipline de l’Eglise, voulue par le Christ. Celui qui corrige doit avoir l’humilité de ne pas s’ériger lui-même comme norme. Il doit se référer à la norme de la grâce de Dieu, et à son exigence. Cette exigence, selon S. Paul dans la 2e lecture, c’est la charité chrétienne, qui renferme tous les commandements. Il faut que la correction soit fraternelle, charitable. Si elle ne l’est pas, que le correcteur en herbe commence par se corriger lui-même ! ("Si ton frère a commis un péché…"). Qu’il enlève d’abord la poutre de son œil, avant de prétendre enlever la paille des yeux des autres ! C’est la charité qui"accomplit" toute la loi, y compris celle de la correction.
Mais l’homme reste libre. La correction, même la meilleure (pensons à celle du Christ à l’égard des … pharisiens, par exemple) – que ce soit en tête-à-tête, ou que ce soit d’une manière plus officielle par les autorités ecclésiales – respectez l’ordre S.V.P ! - peut essuyer une fin de non recevoir obstinée. Celui qui pêche contre l’unité, par exemple, ou contre le respect de la vie humaine, dira que c’est "par amour", par compassion… Alors il faut lui montrer que sa "version" de l’amour, loin d’être l’accomplissement de l’amour, en est une contrefaçon démoniaque, comme celle de Pierre vis-à-vis de Jésus (cf. évangile de dimanche dernier).
La 1e lecture de ce dimanche nous rappelle que si l’on a mis en garde quelqu’un qui n’est pas prêt pour autant à changer de comportement, on a fait son devoir et on a « sauvé » sa propre vie. La correction fraternelle relève strictement du devoir, mais Dieu ne promet pas la réussite ! En cas d’échec, il y a une ligne de séparation. Quand un pécheur se trouve de l’autre côté de cette ligne, il ne peut plus être considéré comme un membre de l’Eglise. Ce n’est pas l’Eglise qui le met à la porte. Il s’excommunie en quelque sorte lui-même. L’Eglise doit alors en prendre note, et le confirmer publiquement, afin que ce soit clair pour tout le monde. Cela se passait déjà comme cela dans l’Ancien Testament. Dans le Nouveau, où l’appartenance à la communauté ecclésiale du Seigneur est encore plus personnelle et exigeante, cela doit se faire de manière d’autant plus claire.
Dans les dernières paroles de l’Evangile d’aujourd’hui, nous voyons combien la prière de la communauté de l’Eglise est exaucée par Dieu. Les deux promesses sont grandes : ce que deux hommes qui se mettent par amour devant le Seigneur Lui demandent, cela leur sera accordé. Là où deux ou trois sont réunis au nom de Jésus, Il est au milieu d’eux. Au temps de Jésus, les rabbins disaient ceci : "Quand deux hommes s’asseyent ensemble autour des paroles de la Torah, alors la Shekinah (la présence de Dieu dans le monde) est au milieu d’eux". Le Christ remplace le fait de s’asseoir autour des paroles de la Loi par la prière, la Loi elle-même par la Loi nouvelle et vivante, Jésus Christ, et la Shekinah par la présence eucharistique.
Ainsi, nous devons, par la charité, nous efforcer de ramener dans le mystère central de l’Eglise, c’est-à-dire l’Eucharistie (source et sommet de la vie de l’Eglise), tous ceux qui s’égarent en qui se trouvent en danger de se perdre. Encore faut-il que notre présence à la messe du dimanche soit elle-même un acte de charité. C’est loin d’être toujours le cas ! C’est ce que déplorait déjà S. Jean Chrysostome au 4ème siècle.
Parfois aussi, c’est tout une communauté qui peut se mettre en situation de péché. J’ai lu le témoignage d’un prêtre qui parlait de ses paroissiens : pris individuellement, chacun y est très généreux. Les uns et les autres sont assez doués dans le domaine où ils souhaitent s’investir. Mais dès qu’ils sont ensemble, ils ne peuvent pas se supporter. Ils sont incapables de partager des responsabilités. Ils ne parviennent pas à se parler pour résoudre leurs conflits. Comment une communauté aussi divisée peut-elle témoigner de l’Evangile ? Un jour, Jésus a dit : "C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres qu’on vous reconnaîtra pour mes disciples" (Jn 13, 35).