Jamais, avant son troisième voyage dans sa patrie, Benoît XVI n'avait donné autant de relief à l'idéal d'une Église pauvre en structures, en richesses, en pouvoir. Mais, pendant ce même voyage, il a également insisté sur la nécessité d'une forte "présence publique" de cette même Église. Est-il possible de réaliser les deux en même temps?
ROME, le 28 septembre 2011 – L'impact du troisième voyage de Benoît XVI en Allemagne a
dissipé une fois encore, comme cela avait été le cas précédemment lors de ses autres voyages, les nuages qui avaient obscurci les jours qui l’ont précédé.
Les critiques, y compris les plus hostiles, ont été plus que compensées par les très nombreuses réactions favorables et cela dans une atmosphère de sympathie
générale.
Le discours prononcé au Bundestag le jeudi 22 septembre a immédiatement attiré une attention respectueuse sur la pensée du pape Joseph Ratzinger en ce qui concerne
les bases de nature et de raison de l’État libéral : une nature et une raison animées par l’Esprit Créateur de Dieu.
Ce discours de Berlin en 2011 constitue, avec celui de Ratisbonne en 2006 et celui du Collège des Bernardins, à Paris, en 2008, une trilogie qui sert de programme à
l’ensemble du pontificat et qui est centrée sur les rapports féconds entre la Jérusalem de la révélation divine, l'Athènes de la raison philosophique et la Rome de la pensée juridique, ainsi que
sur une relecture originale et positive des valeurs des Lumières.
Un autre moment important du voyage de Benoît XVI en Allemagne a été sa rencontre, à Erfurt, avec les Églises issues de la réforme luthérienne.
En ce qui concerne Martin Luther, le pape a rappelé non pas ses actes de rupture avec l’Église de Rome, mais sa recherche dramatique et incessante d’un Dieu capable
de miséricorde envers une humanité profondément marquée par le mal et par le péché.
"La question brûlante de Luther doit devenir de nouveau notre question", a déclaré Benoît XVI. En disant cela, il a tracé une voie œcuménique qui n’est ni une
tactique de négociation à courte vue, ni un affaiblissement de la foi en vue de la rapprocher du monde, mais une reprise des questions essentielles du christianisme, les seules qui constituent
pour les Églises une raison d’être et de parler ensemble aux hommes.
***
Mais les discours de Benoît XVI qui provoqueront le plus de discussions sont peut-être ceux qu’il a adressés aux catholiques d’Allemagne et, à travers eux, à
l’ensemble du monde catholique occidental.
Dans une Allemagne marquée, non seulement chez les protestants mais également chez les catholiques, par des sentiments anti-romains persistants et par des pressions
récurrentes visant à obtenir des réformes disciplinaires et pratiques telles que l'abolition du célibat du clergé, le sacerdoce des femmes, la communion aux divorcés remariés, l'élection
"démocratique" des évêques, Benoît XVI n’a cédé en rien à ces pressions, il ne les a même pas citées, mais il a obligé tout le monde, y compris ceux qui proposent ces réformes, à prendre en
considération la gravité de l’enjeu.
L’Église catholique allemande est – le pape l’a fait remarquer – une puissance "organisée de manière excellente". Même les réformes continuellement demandées
appartiennent à ce contexte structurel. "Mais derrière les structures – a demandé le pape – y a-t-il aussi la force spirituelle correspondante, la force de la foi en un Dieu vivant ?".
Pour Benoît XVI "il y a un excédent de structures par rapport à l’Esprit". Parce que "la vraie crise de l’Église dans le monde occidental est une crise de la foi".
Et par conséquent "si nous n’arrivons pas à un véritable renouvellement dans la foi, toute la réforme structurelle demeurera inefficace".
C’est aux dirigeants du Comité Central des Catholiques allemands que le pape a dit cela, mais il a également tenu des propos semblables dans l’homélie qu’il a
prononcée au cours de la messe célébrée à Fribourg-en-Brisgau le dimanche 25 septembre et lors de la rencontre qui a suivi avec les catholiques "engagés dans l’Église et dans la
société".
Au lieu de réformes des institutions et des structures, qui constitueraient, d’après lui, une adaptation stérile de l’Église au monde, Benoît XVI a proposé dans sa
prédication une réforme intérieure, spirituelle, ayant en son centre ce suprême "scandale" de la Croix "qui ne peut être aboli si on ne veut pas abolir le christianisme". Ce scandale qui,
malheureusement, a été "dissimulé récemment par d’autres scandales douloureux dus à des gens qui annoncent la foi" et qui se sont rendus coupables d’abus sexuels sur des mineurs.
Le pape a lancé une mise en garde contre une foi exclusivement individuelle, renfermée à l’intérieur de soi. Il a insisté sur le lien indissoluble qui unit chaque
chrétien aux autres, au sein de l’Église universelle.
Mais il a également annoncé un avenir, en Allemagne et en Occident, fait non pas de grandes masses de fidèles, mais de "petites communautés de croyants", de celles
qu’en d’autres occasions il a appelées "minorités créatives", capables, dans une société pluraliste, de "rendre les autres désireux de chercher la lumière".
Dans l’homélie qu’il a prononcée pendant la messe célébrée à Fribourg-en-Brisgau, le pape a même déclaré que ces chercheurs de lumière inquiets précédaient "dans le
Royaume de Dieu" les fidèles de routine :
"Les agnostiques qui, au sujet de la question de Dieu, ne trouvent pas la paix ; les personnes qui souffrent à cause de leurs péchés et ont le désir d’un cœur pur,
sont plus proches du royaume de Dieu que ne le sont les fidèles «de routine» qui, dans l’Église, voient désormais seulement ce qui paraît, sans que leur cœur soit touché par la foi".
Et ce n’est pas tout. Dans le discours qu’il a adressé aux catholiques engagés dans l’Église et dans la société, Benoît XVI a souhaité que l’Église soit purifiée
non seulement des "excès" de ses structures d’organisation, mais aussi des richesses et du pouvoir en général, de "son fardeau matériel et politique". Il a rappelé qu’il en était déjà ainsi dans
l'Ancien Testament pour la tribu sacerdotale de Lévi, qui ne possédait pas de patrimoine terrestre mais "exclusivement la parole de Dieu et ses signes".
Il s’agit là d’affirmations que Joseph Ratzinger a toujours équilibrées par d’autres, complémentaires. Et cette fois-ci encore, il l’a fait.
Par exemple, à propos des "fidèles de routine" précédés dans le Royaume des Cieux par les agnostiques qui sont à la recherche de Dieu, il faut remarquer que, à un
autre moment de son voyage – au cours de la veillée avec les jeunes – le pape a réaffirmé que tous les baptisés, y compris les plus tièdes et les plus routiniers, sont de toute façon qualifiés, à
juste titre, de "saints" par l'apôtre Paul : et cela non pas parce qu’ils sont bons et parfaits, mais parce qu’ils sont aimés de Dieu et qu’ils sont tous appelés par lui à être
sanctifiés.
Et à propos d’une Église sans biens ni pouvoirs terrestres, on notera que Benoît XVI a également insisté à plusieurs reprises, en Allemagne, sur la nécessité d’une
forte "présence publique" de cette même Église, ce qui est impensable si celle-ci n’a pas un "corps" matériel qui concrétise la foi par les œuvres.
Il n’en reste pas moins que jamais, avant ce voyage, Benoît XVI n’avait insisté de manière aussi marquée sur le registre spirituel. Et que jamais il n’avait donné
autant de relief à l'idéal d’une Église pauvre en structures, en richesses, en pouvoir.
Mais, en même temps, jamais avant le discours qu’il a prononcé au Bundestag le pape Benoît n’avait affirmé aussi vigoureusement que le christianisme est la base de
la culture juridique de l’Occident et de l’humanité tout entière. Et que l’Église est aujourd’hui le grand défenseur de cette civilisation, à une époque où celle-ci perd ses
bases.
Sandro Magister
www.chiesa
Le programme et le texte intégral des discours et homélies du voyage de Benoît XVI :
> Voyage apostolique en Allemagne, 22-25 septembre 2011
Parmi les discours du pape, il y en a trois qui ont été repris dans leur intégralité sur www.chiesa : celui qu’il a prononcé au Bundestag, le discours adressé
aux luthériens et celui qui a été tenu aux catholiques engagés dans l’Église et dans la société :
> Il y a un juge à Berlin. Et il veut retrouver le roi
Salomon (22.9.2011)
> "La question
brûlante de Martin Luther doit devenir de nouveau notre question" (23.9.2011)
> "C'est de nouveau
l’heure de retirer courageusement ce qu'il y a de mondain dans l’Église" (25.9.2011)
Et voici le résumé que Benoît XVI a fait de son voyage, mercredi 28 septembre, lors de la première audience générale qui a suivi son retour :
> "Là où est le Christ, là est l’avenir..."
Traduction française par Charles
de Pechpeyrou.