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Praedicatho homélies à temps et à contretemps

Praedicatho homélies à temps et à contretemps

C'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Crédit peintures: B. Lopez


Benoît XVI, Verbum Domini - L’herméneutique de l’Écriture sainte dans l’Église 3

Publié par dominicanus sur 19 Novembre 2010, 02:30am

Catégories : #La vache qui rumine C 2010

 

Le nécessaire dépassement de la lettre

38. Dans la saisie de l’articulation entre les différents sens de l’Écriture, il devient alors décisif de comprendre le passage de la lettre à l’esprit. Il ne s’agit pas d’un passage automatique et spontané; il faut plutôt un dépassement de la lettre: «la Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit également devenir un processus vital».[125] Nous découvrons ainsi pourquoi le processus d’interprétation authentique n’est jamais purement intellectuel mais aussi vital, pour lequel est requis une pleine implication dans la vie ecclésiale, en tant que vie «sous la conduite de l’Esprit de Dieu» (Ga 5, 16). De cette façon, les critères mis en évidence par le numéro 12 de la Constitution dogmatique Dei Verbum deviennent plus clairs: un tel dépassement ne peut être réalisé à partir d’un seul fragment littéraire mais en lien avec la totalité de l’Écriture. C’est en effet en direction d’une Parole unique que nous sommes appelés à opérer ce dépassement. Un tel processus comporte un caractère dramatique profond puisque, dans le processus de dépassement, le passage qui s’accomplit dans l’Esprit rencontre inévitablement la liberté de chacun. Saint Paul a pleinement vécu ce passage dans sa propre existence. Ce que signifie le dépassement de la lettre et sa compréhension uniquement à partir du tout, il l’a exprimé de façon radicale dans la phrase: «la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie» (2 Co 3, 6). Saint Paul découvre que «l’Esprit qui rend libre possède un nom et donc que la liberté a une mesure intérieure: “Le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté” (2 Co 3, 6). L’Esprit qui rend libre ne se réduit pas à l’idée ou à la vision personnelle de celui qui interprète. L’Esprit, c’est le Christ et le Christ est le Seigneur qui nous indique le chemin».[126] Nous savons aussi combien, pour saint Augustin, ce passage fut à la fois dramatique et libérateur; il crut aux Écritures, qui lui apparurent dans un premier temps si particulières et en même temps grossières, uniquement grâce à ce dépassement qu’il apprit de saint Ambroise à travers l’interprétation typologique, selon laquelle tout l’Ancien Testament est un chemin vers Jésus-Christ. Pour saint Augustin, le dépassement de la lettre a rendu crédible la lettre elle-même et lui a permis de trouver enfin la réponse aux profondes inquiétudes de son âme, assoiffée de la vérité.[127]


L’unité intrinsèque de la Bible

39. À l’école de la grande Tradition de l’Église, nous apprenons à saisir également dans le passage de la lettre à l’esprit l’unité de toute l’Écriture, puisque unique est la Parole de Dieu qui interpelle notre vie en l’appelant constamment à la conversion.[128] Les expressions d’Hugues de Saint-Victor demeurent un guide sûr pour nous: «Toute l’Écriture divine constitue un Livre unique et ce Livre unique, c’est le Christ, il parle du Christ et trouve dans le Christ son accomplissement».[129] Envisagé sous l’aspect purement historique ou littéraire, la Bible n’est certainement pas simplement un livre, mais un recueil de textes littéraires, dont la composition s’étend sur plus d’un millénaire et dont chaque livre n’est pas aisément reconnaissable comme faisant partie d’un tout; il existe au contraire entre ces textes des tensions visibles. Ceci vaut déjà dans la Bible d’Israël que nous, Chrétiens, appelons l’Ancien Testament. Et cela vaut plus encore quand nous, en tant que Chrétiens, relions le Nouveau Testament et ses écrits, presque comme clé herméneutique, avec la Bible d’Israël, l’interprétant comme un chemin vers le Christ. Dans le Nouveau Testament, en général, le terme «l’Écriture» (cf. Rm 4, 3; 1 P 2, 6) n’est pas utilisé, mais plutôt «les Écritures» (cf. Mt 21, 43; Jn 5, 39; Rm 1, 2; 2 P 3, 16), qui, néanmoins, sont ensuite considérées dans leur ensemble comme l’unique Parole de Dieu qui nous est adressée.[130] Il apparaît ainsi clairement comment la personne du Christ donne son unité aux «Écritures» en référence à l’unique «Parole». Ainsi, on comprend ce qu’affirme le numéro 12 de la Constitution dogmatique Dei Verbum, en indiquant l’unité interne de la Bible comme le critère décisif pour une herméneutique correcte de la foi.


Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament

40. Dans la perspective de l’unité des Écritures dans le Christ, il est nécessaire pour les théologiens comme pour les Pasteurs d’être conscients des relations qui existent entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Avant tout, il est évident que le Nouveau Testament lui-même reconnaît l’Ancien Testament comme Parole de Dieu et c’est pourquoi il accueille l’autorité des Saintes Écritures du peuple juif.[131] Il le reconnaît implicitement en recourant au même langage et en faisant fréquemment allusion à des passages de ces Écritures. Il le reconnaît explicitement parce qu’il en cite de nombreux extraits et qu’il s’en sert pour argumenter. Une argumentation fondée sur des textes de l’Ancien Testament possède ainsi dans le Nouveau Testament une valeur décisive, supérieure à celle des raisonnements purement humains. Dans le quatrième Évangile, Jésus déclare à ce propos que «l’Écriture ne peut être abolie» (Jn 10, 35) et saint Paul précise en particulier que la Révélation de l’Ancien Testament continue à valoir pour nous Chrétiens (cf. Rm 15, 4; 1 Co 10, 11).[132] En outre, nous affirmons que «Jésus de Nazareth était un Juif et que la Terre Sainte est la terre-mère de l’Église».[133] La racine du Christianisme se trouve dans l’Ancien Testament et le Christianisme se nourrit toujours de cette racine. Aussi, la saine doctrine chrétienne a-t-elle toujours refusé toute forme récurrente de marcionisme qui tend, de diverses manières, à opposer l’Ancien et le Nouveau Testament.[134]


Par ailleurs, le Nouveau Testament lui-même s’affirme conforme à l’Ancien et proclame que dans le Mystère de la vie, de la mort et de la Résurrection du Christ, les Saintes Écritures du Peuple juif ont trouvé leur parfait accomplissement. Il faut observer cependant que le concept d’accomplissement des Écritures est complexe, parce qu’il possède une triple dimension: un aspect fondamental de continuité avec la Révélation de l’Ancien Testament, un aspect de rupture et un aspect d’accomplissement et de dépassement. Le Mystère du Christ est en continuité d’intention avec le culte sacrificiel de l’Ancien Testament; il s’est cependant réalisé d’une manière très différente, qui correspond à plusieurs oracles des prophètes, et il a atteint ainsi une perfection jamais obtenue auparavant. L’Ancien Testament, en effet, est plein de tensions entre ses aspects institutionnels et ses aspects prophétiques. Le Mystère pascal du Christ est pleinement conforme – d’une façon qui toutefois était imprévisible – aux prophéties et à l’aspect préfiguratif des Écritures; néanmoins, il présente des aspects évidents de discontinuité par rapport aux institutions de l’Ancien Testament.


41. Ces considérations manifestent ainsi l’importance incontournable de l’Ancien Testament pour les Chrétiens, mais en même temps, mettent en évidence l’originalité de la lecture christologique. Depuis les temps apostoliques et ensuite dans la Tradition vivante, l’Église a mis en lumière l’unité du plan divin dans les deux Testaments grâce à la typologie, laquelle n’a pas un caractère arbitraire mais est intrinsèque aux événements racontés par le texte sacré et concerne par voie de conséquence toute l’Écriture. La typologie «discerne dans les œuvres de Dieu sous l’Ancienne Alliance des préfigurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné».[135] Les Chrétiens lisent donc l’Ancien Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité. Si la lecture typologique révèle l’inépuisable contenu de l’Ancien Testament en relation avec le Nouveau, cela ne doit toutefois pas conduire à oublier qu’il conserve sa valeur propre de Révélation que Notre Seigneur lui-même a réaffirmée (cf. Mc 12, 29-31). En conséquence, «le Nouveau Testament demande aussi d’être lu à la lumière de l’Ancien. La catéchèse chrétienne primitive y aura constamment recours (1 Co 5, 6-8; 1 Co 10, 1-11)».[136] Les Pères synodaux ont pour cette raison affirmé que «la compréhension juive de la Bible peut aider les Chrétiens dans l’intelligence et l’étude des Écritures».[137]


«Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien est révélé dans le Nouveau»,[138] c’est ainsi qu’avec une profonde sagesse, saint Augustin s’exprimait sur ce thème. Il est donc important qu’aussi bien dans la pastorale que dans le milieu académique, soit bien mise en évidence la relation intime entre les deux Testaments, en rappelant avec saint Grégoire-le-Grand que ce que «l’Ancien Testament a promis, le Nouveau Testament l’a fait voir; ce que celui-là annonçait de façon cachée, celui-ci le proclame ouvertement comme présent. C’est pourquoi l’Ancien Testament est prophétie du Nouveau Testament; et le meilleur commentaire de l’Ancien Testament est le Nouveau Testament».[139]


Les pages «obscures» de la Bible

42. Dans le contexte de la relation entre l’Ancien et le Nouveau Testament, le Synode a aussi abordé le thème des pages de la Bible qui se révèlent obscures et difficiles en raison de la violence et de l’immoralité qu’elles contiennent parfois. À ce sujet, il faut avant tout tenir compte du fait que la Révélation biblique est profondément enracinée dans l’histoire. Le dessein de Dieu s’y manifeste progressivement et se réalise lentement à travers des étapes successives, malgré la résistance des hommes. Dieu choisit un peuple et l’éduque avec patience. La Révélation s’adapte au niveau culturel et moral d’époques lointaines et rapporte par conséquent des faits et des usages, par exemple des manœuvres frauduleuses, des interventions violentes, l’extermination de populations, sans en dénoncer explicitement l’immoralité. Cela s’explique par le contexte historique, mais peut surprendre le lecteur moderne, surtout lorsqu’on oublie les nombreux comportements «obscurs» que les hommes ont toujours eus au long des siècles, et cela jusqu’à nos jours. Dans l’Ancien Testament, la prédication des prophètes s’élève vigoureusement contre tout type d’injustice et de violence, collective ou individuelle, et elle est de cette façon l’instrument d’éducation donné par Dieu à son Peuple pour le préparer à l’Évangile. Il serait donc erroné de ne pas considérer ces passages de l’Écriture qui nous apparaissent problématiques. Il faut plutôt être conscient que la lecture de ces pages requiert l’acquisition d’une compétence spécifique, à travers une formation qui lit les textes dans leur contexte historico-littéraire et dans la perspective chrétienne qui a pour ultime clé herméneutique «l’Évangile et le Commandement nouveau de Jésus-Christ accompli dans le Mystère pascal».[140] J’exhorte donc les chercheurs et les Pasteurs à aider tous les fidèles à s’approcher aussi de ces pages à travers une lecture qui fasse découvrir leur signification à la lumière du Mystère du Christ.

 



 

[125]  Benoît XVI, Rencontre avec le monde de la culture au Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008): AAS 100 (2008),
p. 726.
[126] Ibidem.
[127]  Cf. Benoît XVI, Audience générale (9 janvier 2008): L’ORf, 15 janvier 2008, p. 12.
[128]  Cf. Proposition 29.
[129] De arca Noe, 2, 8: PL 176, 642 C-D.
[130]  Cf. Benoît XVI, Rencontre avec le monde de la culture au Collège des Bernardins de Paris (12 septembre 2008): AAS 100 (2008), p. 725.
[131]  Cf. Proposition 10; Commission Biblique Pontificale, Le peuple juif et ses Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai 2001), n. 3-5: Ench. Vat. 20, nn. 748-755.
[132]  Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 121-122.
[133] Proposition 52.
[134]  Cf. Préface à Commission Biblique Pontificale, Le peuple juif et ses Écritures saintes dans la Bible chrétienne (24 mai 2001), 19: Ench. Vat. 20, nn. 799-801; cf. Origène, Homélies sur les Nombres 9, 4: SC 415, p. 238-242.
[135] Catéchisme de l’Église catholique, 128.
[136] Ibidem, 129.
[137] Proposition 52.
[138] Questiones in Heptateuchum, 2, 73: PL 34, 623.
[139] Homiliae in Ezechielem, I, VI, 15: PL, 76, 836 B.
[140] Proposition 29.
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