Le Bon Larron, en effet, peut devenir une arche d'alliance entre les Eglises-sœurs d'Occident et d'Orient, car il bénéficie en cette dernière d'une immense popularité.
Nous sommes émerveillés de la place centrale que les différents rites d'Orient - byzantin, alexandrin ou copte, syriaque, arménien, maronite et chaldéen - lui ont réservée auprès du Christ rédempteur.
Attachons-nous d'abord à la découvrir dans la liturgie byzantine. Le souvenir du Bon Larron y est partout présent.
Chaque jour
A l'office de none, à l'heure où le Christ a promis le paradis au larron, deux tropaire sont lus, ainsi que la prière de saint Basile le Grand qui l'évoque.
Voyant l'Auteur de la vie pendu sur une croix, le larron s'écriait: «S'il n'était Dieu incarné, celui qui est crucifié avec nous, le soleil n'aurait pas caché ses rayons et la terre ébranlée n'aurait pas chancelé. Mais toi qui as tout supporté, souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume.» Gloire au Père ...
2e tropaire:
Entre les deux larrons se trouvait ta croix, balance de justice ... Allégé de ses fautes, le Bon Larron fut mené vers la connaissance de Dieu.
Prière de saint Basile de Grand:
Ô Maître et Seigneur Jésus Christ, notre Dieu, lent à la colère devant nos fautes, tu nous as menés jusqu'à l'heure présente où, pendu au bois vivifiant, tu as ouvert au Bon Larron l'entrée du paradis et détruit la mort par ta mort. Prends aussi pitié de nous, tes serviteurs indignes et pécheurs, car nous avons péché et nous ne sommes pas dignes de lever les yeux et de regarder les hauteurs du ciel. Oui, nous avons abandonné les voies de la justice et nous avons marché selon la volonté de notre cœur. Mais nous implorons ta bonté inouïe: épargne-nous, Seigneur, selon ta grande miséricorde, et sauve-nous à cause de ton saint Nom, car nos jours se sont écoulés dans la vanité. Arrache-nous à la main de l'Adversaire, efface nos péchés et mortifie nos pensées charnelles; ainsi, rejetant le vieil homme, nous revêtirons le nouveau et vivrons pour toi, notre Maître et Défenseur; alors, suivant tes préceptes, nous parviendrons au repos éternel, à la demeure de tous les bienheureux. Car c'est toi le bonheur véritable et la joie de ceux qui t'aiment, ô Christ, notre Dieu, et nous te rendons grâce, à toi, à ton Père sans commencement, et à ton Esprit très saint, bon et vivifiant, et toujours dans les siècles des siècles. Amen.
Chaque dimanche
Les béatitudes sont chantées avant les lectures scritpturaires. Leur chant est encadré par le verset: «Dans ton Royaume, Seigneur, souviens-toi de nous!»
Il est accompagné de tropaires dont le premier est toujours relatif au Bon Larron. Il y en a huit. Voici, par exemple, le quatrième tropaire :
Tous les ans, à l'office du vendredi saint
Ce jour est expressément le jour liturgique de la fête du Bon Larron, ainsi que le Synaxaire (= martyrologe) qui est lu aux matines le mentionne:
Le saint et grand vendredi, nous célébrons les saintes souffrances que notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ endura pour notre salut: les crachats, les soufflets, la flagellation, les insultes, les moqueries, le manteau de pourpre, le roseau, l'éponge, le vinaigre, les clous, la lance et surtout la croix et la mort, qu'il accepta librement pour nous sauver; et nous y ajoutons la mémoire de la confession par laquelle le Bon Larron, crucifié avec lui, trouva le salut sur la croix.
- Aux matines
C'est la première partie de l'office, récitée avant le jour. Les béatitudes y sont chantées très solennellement, avec tropaires intercalés:
À cause de l'Arbre défendu ... (cf. tropaire qui est lu chaque dimanche).
Heureux les affamés ...
Les impies achetèrent aux disciples l'Affamé de justice, et comme un criminel présentèrent au jugement de Pilate, en criant: «Crucifie celui qui a donné la manne à nos pères dans le désert.» Et nous, imitons le Bon Larron et crions avec foi: «Seigneur, souviens-toi ... »
Heureux les miséricordieux ...
Un peuple injuste, révolté contre Dieu, s'adresse à Pilate et lui crie furieusement: «Crucifie, crucifie le Christ miséricordieux! Libère plutôt Barabbas.» Et nous, imitons le sage Larron, en criant comme lui: «Seigneur, souviens-toi de nous dans ton Royaume.»
Heureux les persécutés ...
O Christ, toute la création tremble de te voir crucifié; les fondements de la terre chancellent d'effroi, les astres perdent leur éclat, le voile du Temple se déchire en deux, les montagnes tremblent et se fendent les rochers; et nous, fidèles avec le Bon Larron, nous te crions: «Seigneur, souviens-toi de nous dans ton Royaume.»
Soyez dans la joie et l'allégresse ...
Seigneur, exalté sur la croix, tu as brisé la puissance de la mort, effaçant la cédule écrite contre nous; accorde-nous la repentance du Larron et donne à tes fidèles serviteurs, ô Christ notre Dieu, de te crier comme lui: «Seigneur, souviens-toi de nous dans ton Royaume.»
Un des évangiles qui suit est celui de Luc 23, 32-49. Puis sont lus: le Synaxaire cité plus haut, et enfin le tropaire de l'Exapostilaire:
- À sexte
Partie de l'office qui est célébrée à la sixième heure du jour (midi): lecture de l'évangile de Luc (23,32-49).
- À none
Dernière partie de l'office, célébrée après la neuvième heure (3 heures de l'après-midi).
L'office de none est plus solennel qu'aux jours ordinaires. Après les psaumes particuliers à ce jour, il compose le même tropaire: «Voyant l'Auteur de la vie ...» qu'aux jours de la semaine, les béatitudes, encadrées de la prière du Bon Larron: «Dans ton Royaume, souviens-toi de nous, Seigneur», et la prière de saint Basile.
Dans ces extraits de l'extraordinaire office du vendredi saint de la liturgie byzantine, nous avons ce dialogue de l'Eglise avec son Sauveur, tout au long de la Passion. Le Bon Larron y est présent, depuis la contemplation du moment de la crucifixion jusqu'à la récapitulation finale.
Tous ces textes démontrent combien le Bon Larron est vivant dans la tradition orientale, et d'une façon toute naturelle, puisque son souvenir est associé à celui du Christ en croix. C'est une des merveilles de l'office byzantin qui semble comme inspiré par l'Esprit Saint.
Pour nous faire une plus juste idée du culte et de la dévotion envers le Bon Larron dans les Eglises d'Orient, il serait utile d'approfondir l'iconographie. Par exemple, la barre transversale de la croix byzantine signifie la balance de justice qui s'incline vers le Bon Larron.
Prenons encore l'exemple de la liturgie syriaque. Comme les autres liturgies d'Orient, elle est soucieuse de faire mémoire du Bon Larron, de l'associer au Christ rédempteur et de l'évoquer dans la prière pathétique qu'elle fait monter vers lui. Elle s'adresse même directement au Larron qu'elle appelle «fleur précoce de l'Arbre de la croix ... fruit du bois du Golgotha ...»
Aujourd'hui, vendredi, tu as jugé le Larron digne du paradis!
O, Seigneur, par le bois de la croix, illumine-moi et sauve-moi!
Répons:
Seigneur, tu as pris comme compagnon de route un Larron aux mains souillées de sang. Compte-nous avec lui, toi qui es bon et ami des hommes. Le larron sur la croix ne dit qu'une brève parole, mais montrant une grande foi il fut sauvé. Il fut le premier à ouvrir les portes du paradis et à y entrer. Toi qui as reçu son repentir, Seigneur, gloire à toi.
Adam fut exilé du paradis, car il méprisa l'ordre du Créateur. Mais le Larron, crucifié avec le Christ, confessa le Dieu caché en s'écriant: «Souviens-toi de moi, Seigneur, quand tu viendras dans ton Royaume.»
Sedro:
Gloire à toi, Christ notre Dieu, toi qui t'es fait semblable à nous en toutes choses hormis le péché. Tu es mis en croix entre deux brigands, et l'univers est ébranlé. Le jour disparaît et le ciel s'obscurcit, le voile du Temple se déchire et les pierres se fendent.
Hier, tu donnais ton Corps en nourriture à tes disciples, et ils te regardent mourir de loin. Pierre, le premier des apôtres, a fui le premier, ainsi qu'André; et Jean, qui a reposé sur ton côté, n'a pas empêché un soldat de percer ce côté de sa lance. Lazare n'est pas là, lui que tu as appelé à la vie; l'aveugle à qui tu as ouvert les yeux ne t'a pas pleuré; et le boiteux qui pouvait marcher, grâce à toi, n'a pas couru après toi. Seul un Larron, crucifié à tes côtés, te confesse et t'appelle son roi.
O Larron, fleur précoce de l'Arbre de la croix, tu es le premier fruit de l'Arbre du Golgotha! En voyant le Christ suspendu à la croix, tu t'es écrié: «S'il n'était pas Dieu incarné, le soleil n'aurait pas caché ses rayons! Mais toi qui soutiens toutes choses, souviens-toi de moi dans ton Royaume! »
O Larron, prends la croix de ton Seigneur et marche vers l'Eden. Prends la croix sur tes épaules et marche vers les chérubins! Ils reconnaîtront le signe de la vie. Prends la croix de ton Seigneur et chante un chant nouveau, car aujourd'hui tu entreras dans la joie de ton Maître. Aujourd'hui, au pied de la croix est jugée toute l'humanité en la personne de deux malfaiteurs, car le premier confesse ses péchés, tandis que le second devient l'accusateur de Dieu auprès des hommes et le calomniateur des hommes auprès de Dieu.
C'est pourquoi, Seigneur, nous te supplions avec le Bon Larron: souviens-toi aussi de nous dans ton Royaume ! Toi qui, accablé d'opprobres, as changé le cœur du Larron, change aussi notre cœur et ouvre-nous la porte du paradis. Car c'est une gloire pour ton Royaume que ses portes soient ouvertes aux prostituées et aux pécheurs.
Aussi, avec tous les rachetés, nous te louons, ainsi que ton Père et ton Esprit Saint, maintenant et dans les siècles des siècles.
A l'heure de l' œcuménisme, il est bon de se rappeler cette longue tradition des Eglises d'Orient, lesquelles, a déclaré le pape Jean-Paul II à Tours, sont porteuses d'une grande lumière pour tous.
Cette tradition, elles l'ont héritée des Pères de l'Église, qui sont nos Pères dans la foi et qui, nous le savons, ont su témoigner au Bon Larron un amour de prédilection.
En ce qui concerne le rite romain, il paraît difficile d'insérer dans sa liturgie du vendredi saint la mention de celui que le Christ a «canonisé». Le texte inspiré par Vatican II est centré sur la personne du Christ. Aussi, nous ne trouverons jamais dans la liturgie latine du vendredi saint la mention du Bon Larron, telle que nous la trouvons dans les liturgies orientales, spécialement la liturgie byzantine. La liturgie latine réserve ce jour au seul souvenir des souffrances de Jésus.
D'où la nécessité de compenser cette absence par une fête particulière du Bon Larron, comme il existe une fête de Notre Dame des Douleurs, le 15 septembre.
Le rite ambrosien mérite une mention spéciale. Là aussi, on se souvient beaucoup du Bon Larron, surtout le jeudi saint et à Pâques. C'est avec l'accent émouvant de saint Ambroise que l'on adresse au Christ cette prière vibrante:
Toujours à propos de la dimension œcuménique du Bon Larron, il convient de citer ce témoignage d'un pasteur de l'Eglise réformée de France qui confiait à un père abbé cistercien que le seul personnage auquel les protestants - qui sont très attachés à l'Ecriture sainte - accorderaient volontiers une dévotion, c'est le Bon Larron, car, précisait-il, il est le seul cas de canonisation réalisée par le Seigneur Jésus lui-même, et consignée dans le Nouveau Testament.