Le scandale de la miséricorde de Dieu est qu'elle est refusée par celui qui se considère juste, alors qu'elle est accueillie par ceux qui se reconnaissent pécheurs.
À l'aube Jésus se rend au temple de Jerusalem et le peuple accourt pour écouter son enseignement. Et voilà que quelques scribes et pharisiens s'approchent. Ils ne supportent pas que Jésus soit venu "appeler les pécheurs et non pas les justes" (cf. Lc 5, 32). Ils ne peuvent pas comprendre le fait qu'il "accueille les pécheurs et mange avec eux" (cf. Lc 15, 2). Beaucoup d'entre eux n'ont pas digéré non plus les paroles qu'il leur avait dites, comme, par exemple: "Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu" (Mt 21, 31). Pour cette raison ils lui amènent "une femme surprise en flagrant délit d'adultère et, la mettant au centre, ils lui disent: - Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. Moïse dans la Loi nous a commandé de lapider ces femmes. Toi, qu'en dis-tu?" Leur recours à la Loi est correct (cf. Lv 20, 10; Dt 22, 22-24) mais leur coeur est habité de haine et de mauvaises intentions: "Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve, afin de pouvoir l'accuser."
Ils attendent une réponse, mais Jésus se contente d'écrire par terre ironiquement avec le doigt, jusqu'à ce que, harcelé avec insistance, il s'exclame: "Celui parmi vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre." Il a dû y avoir à ce moment-là un grand silence. Qui parmi nous est sans péché? Nous sommes toujours très adroits pour cacher avec soin nos propres péchés, même à nos propres yeux. Très adroits, en même temps, pour critiquer, calomnier, pour accuser l'autre avec d'autant plus de violence, en manifestant ses péchés au grand jour. Nous ne comprenons pas que le pécheur "public" est seulement le signe visible de la condition de chacun de nous, puisque nous sommes tous pécheurs, et que nous sommes donc aussi totalement dépendants de la miséricorde de Dieu que de notre pain quotidien.
Alors les accusateurs s'en vont tristement, "l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés", et Jésus reste seul avec la femme. Seul Jésus, en étant sans péché (cf. 2 Co 5, 21; Ep 4, 15; 1 Jn 3, 5), pouvait lancer une pierre, mais il ne le fait pas: "ils restèrent seuls eux deux, la misérable et la miséricorde", commente avec intelligence S. Augustin. Comme dans la parabole de dimanche dernier, c'est celui qui se reconnaît pécheur qui se trouve dans l'intimité de Dieu, tandis que celui qui se croit juste reste finalement dehors et s'éloigne, en trébuchant sur le mystère de la miséricorde, alors qu'il est pourtant invité, lui aussi.
Et voilà la conclusion extraordinaire du récit: Jésus "se redressa et lui demanda: - Femme, où sont-ils? Alors, personne ne t'a condamnée?. Elle répondit: - Personne, Seigneur. Et Jésus lui dit: - Moi non plus, je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus." Sommé de choisir entre la Loi et la miséricorde, Jésus choisit la miséricorde sans se mettre contre la Loi, parce qu'il sait distinguer le péché du pécheur. La Loi est essentielle comme instance apte à indiquer le péché. Il s'agit alors de passer par la porte étroite et de le reconnaître, de s'y soumettre en se reconnaissant passible de l'enfer:
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.
Ainsi, tu peux parler et montrer ta justice,
être juge et montrer ta victoire. (Ps 50, 6)
Nous n'avons, à proprement parler, aucun droit à la miséricorde. Mais une fois reconnue la justice de la Loi, dès qu'il y a soumission parfaite aux rigueurs de cette loi, alors peut éclater la miséricorde envers le pécheur concret! Aucune condamnation, seulement la miséricorde. Parce que chaque fois que Jésus a rencontré un pécheur repentant, il l'a acquitté de ses péchés. Il a exhorté avec force, oui. Il a prononcé les malédictions en vue du jugement, c'est vrai. Mais il n'a jamais condamné personne. Jésus savait concilier la condamnation du péché et la miséricorde envers le pécheur.
Voilà le message bouleversant de la miséricorde de Dieu qui enlève chaque péché, de son pardon prévenant qui respecte aussi la lenteur de notre conversion. Le scandale de la miséricorde de Dieu est qu'elle est refusée par celui qui se considère juste, alors qu'elle est accueillie par ceux qui se reconnaissent pécheurs. Celui qui se reconnaît pécheur, en effet, peut expérimenter que la miséricorde de Dieu en Jésus Christ rend possible chaque jour un nouveau commencement. Et il est rendu ainsi capable de faire miséricorde aux autres. De cette manière, tous pécheurs, tous sont couverts par la miséricorde inépuisable de Dieu. Mais celui qui se croit juste s'exclut de ce fait de la miséricorde, dont, pourtant, il a besoin plus encore que celui qui se reconnaît pécheur.
En ce temps où le Seigneur nous appelle à nous laisser réconcilier avec Lui et avec son Église en ayant recours au sacrement du pardon, prions l'Esprit Saint afin qu'il nous obtienne la grâce de faire cette démarche sans hésitation et en toute loyauté, afin de pouvoir demeurer avec Jésus dans la Maison du Père, au lieu de nous éloigner de lui, et d'amener nos frères et soeurs égarés vers lui et son pardon, au lieu de les accuser.