Ces paroles de Jean-Paul II (Mane nobiscum 17), ont-elles été suffisamment entendues ? Dans quelle
mesure ont-elles été mises en pratique ? Il s'agit pourtant d'une priorité : "avant tout" ! Nous avons eu une Année de l'Eucharistie pour cela.
Jean-Paul II poursuit :
"Il faut que la Messe soit placée au centre de la vie chrétienne et que, dans chaque communauté, on fasse tout son possible pour qu'elle soit célébrée de manière digne, dans le respect des normes établies (...) avec une sérieuse attention au caractère sacré du chant et de la musique liturgique." (ibid.)
Très concrètement :
"Au cours de cette année de l'Eucharistie, dans chaque communauté paroissiale, un engagement concret pourrait consister à étudier de manière approfondie la Présentation générale du Missel romain." (ibid.)
C'était il y a cinq ans. Dans combien de paroisses, de communautés, ces paroles sont-elles tombées dans des oreilles de sourds ? Pendant les vacances ces cinq dernières années, j'ai eu l'occasion de voyager, en France et dans divers autres pays. Souvent, pour ne pas dire presque toujours, c'est toujours le même bricolage liturgique, dans l'ignorance, si ce n'est au mépris, de ce que l'Église demande. Dans mon diocèse, je viens aussi de changer de paroisse, et j'y retrouve toujours les mêmes abus, la même ignorance.
Les évêques devraient donner l'exemple. Or, même au cours de messes télévisées des entorses sont à déplorer. J'ai encore pu le constater à Noël.
Le Jeudi Saint 2003, Jean-Paul II avait déjà publié une encyclique sur le même sujet : Ecclesia de Eucharistia (L'Église vit de l'Eucharistie). Il concluait en écrivant (n. 52) :
"De ce qui vient d'être dit, on comprend la grande responsabilité qui, dans la Célébration eucharistique, incombe surtout aux prêtres, auxquels il revient de la présider in persona Christi, assurant un témoignage et un service de la communion non seulement pour la communauté qui participe directement à la célébration, mais aussi pour l'Église universelle, qui est toujours concernée par l'Eucharistie." (ibid.)
Pas question donc de ce cacher derrière l'alibi de l'Église particulière :
"Le Mystère de l'Eucharistie est trop grand «pour que quelqu'un puisse se permettre de le traiter à sa guise, en ne respectant ni son caractère sacré, ni sa dimension universelle». Au contraire, quiconque se comporte de cette manière, en préférant suivre ses inclinations personnelles, même s'il s'agit d'un prêtre, lèse gravement l'unité substantielle du Rite romain, sur laquelle il faut pourtant veiller sans relâche."( Redemptionis Sacramentum 11)
Ni derrière celui d'une réaction contre le formalisme ou le rubricisme. Comme dans le chant choral, ou pour le lancement de la fusée Ariane, il n'y a pas de détails sans importance. La moindre fausse note, le plus petit défaut, le moindre écart peut entraîner l'échec . Mais souvent, hélas, ce ne sont pas des détails mais des manquements gravissimes, par exemple des prières eucharistiques auto-bricolées d'un bout à l'autre, qui peuvent jusqu'à empêcher un prêtre d'aller jusqu'au bout d'une concélébration.
Les conséquences sont difficiles a cerner. Faisons quand même une tentative :
"Des actes de ce genre ne constituent absolument pas une réponse valable à la faim et à la soif du Dieu vivant, dont le peuple de notre époque fait l'expérience; de même, ils n'ont rien de commun avec le zèle pastoral authentique ou le véritable renouveau liturgique, mais ils ont plutôt pour conséquence de priver les fidèles de leur patrimoine et de leur héritage. En effet, ces actes arbitraires ne favorisent pas le véritable renouveau, mais ils lèsent gravement le droit authentique des fidèles de disposer d'une action liturgique, qui exprime la vie de l'Église selon sa tradition et sa discipline. De plus, ils introduisent des éléments d'altération et de discorde dans la célébration de l'Eucharistie elle-même, alors que cette dernière, par nature et d'une manière éminente, a pour but de signifier et de réaliser admirablement la communion de la vie divine et l'unité du peuple de Dieu. Ces actes provoquent l'incertitude doctrinale, le doute et le scandale dans le peuple de Dieu, et aussi, presque inévitablement, des oppositions violentes, qui troublent et attristent profondément de nombreux fidèles, alors qu'à notre époque, la vie chrétienne est souvent particulièrement difficile en raison du climat de «sécularisation»." (ibid.)
Ce climat est une raison supplémentaire de bien s'appliquer à célébrer l'eucharistie comme il convient. Il s'agit donc bien d'une réelle sollicitude pastorale :
"En revanche, tous les fidèles du Christ disposent du droit de bénéficier d'une véritable liturgie - et cela vaut tout particulièrement pour la célébration de la sainte Messe - qui soit conforme à ce que l'Église a voulu et établi, c'est-à-dire telle qu'elle est prescrite dans les livres liturgiques et dans les autres lois et normes. De même, le peuple catholique a le droit d'obtenir que le Sacrifice de la sainte Messe soit célébré sans subir d'altération d'aucune sorte, en pleine conformité avec la doctrine du Magistère de l'Église. Enfin, la communauté catholique a le droit d'obtenir que la très sainte Eucharistie soit célébrée de telle manière que celle-ci apparaisse vraiment comme le sacrement de l'unité, en excluant complètement toutes sortes de défauts et d'attitudes, qui pourraient susciter des divisions et la formation de groupes dissidents dans l'Église." (ibid. 12)
On est loin d'opposer le droit et la pastorale :
"L'ensemble des normes et des rappels exposés dans la présente Instruction se rattachent, selon des modes différents, au devoir de l'Église, à qui il revient de veiller sur la célébration conforme et digne de ce grand mystère. Le dernier chapitre de la présente Instruction expose les divers degrés, par lesquels les normes singulières se relient à la loi suprême de tout le droit ecclésiastique, qui est le soin du salut des âmes." (n. 13)
Autre faux alibi démasqué et banni, la créativité :
"Il faut malheureusement déplorer que, surtout à partir des années de la réforme liturgique post-conciliaire,
en raison d'un sens mal compris de la créativité et de l'adaptation les abus n'ont pas manqué, et ils ont été des motifs de souffrance pour beaucoup. Une certaine réaction au « formalisme » a
poussé quelques-uns, en particulier dans telle ou telle région, à estimer que les « formes » choisies par la grande tradition liturgique de l'Église et par son Magistère ne s'imposaient pas, et à
introduire des innovations non autorisées et souvent de mauvais goût." (EdE 52)
Un motif de souffrance pour beaucoup ... Eh oui ! Plus on aime l'Eucharistie, plus on souffre de tous ces abus. Jean Paul II, Benoît XVI, Mère Teresa et tant d'autres "au coeur de l'Église" ont porté cette souffrance comme une épine dans leur vie. Mais aussi quel témoignage (= martyre !) de la part de prêtres courageux qui, contre vents et marées, s'engagent à fond pour promouvoir l'art de célébrer, au risque de se faire cataloguer, ostraciser ! Je pense, par exemple, à ce séminariste, renvoyé du séminaire par son évêque qui lui avait dit : "Avec toi, j'aurai des ennuis." Veut-on vraiment des prêtres ?
"À notre époque aussi, l'obéissance aux normes liturgiques devrait être redécouverte et mise en valeur comme un reflet et un témoignage de l'Église une et universelle, qui est rendue présente en toute célébration de l'Eucharistie. Le prêtre qui célèbre fidèlement la Messe selon les normes liturgiques et la communauté qui s'y conforme manifestent, de manière silencieuse mais éloquente, leur amour pour l'Église." (EdE 52)
Heureusement, Benoît XVI et ses proches colaborateurs ne cessent de donner l'exemple et de stimuler les
efforts en ce sens. Les célébrations liturgiques à la basilique Saint-Pierre et ailleurs ont été modifiées, sont devenues plus dignes, plus recueillies. Les textes de la nouvelle édition du
Missel Romain sont en cours de traduction dans les différentes langues vernaculaires. Les changements vont toujours dans le sens d'un plus grand respect. En français nous avons déjà la nouvelle
Présentation Générale (PGMR). Les autres traductions devraient suivre. Elles devraient avoir une influence, sinon spectaculaire, du moins durable pour la promotion de vraies
liturgies.
À la lumière des lectures de ce dimanche, il est bon de se souvenir que "le gouvernement de la sainte Liturgie dépend uniquement de l'autorité de l'Église : il appartient au Siège Apostolique et, dans les règles du droit, à l'Évêque" (Vatican II, Sacrosanctum Concilium 24).
Emboîtons donc le pas, et dans ce sillage prophétique, tendons l'oreille pour savoir ce que nous devons faire, mieux faire, pour célébrer les saint Mystères de notre foi selon toutes les règles de l'art. Je me propose donc, bien modestement, de poursuivre dans les homélies des prochains dimanches ce que j'avais déjà fait dans ma paroisse précédente, et que j'ai commencé à faire dans ma nouvelle paroisse, à savoir "étudier de manière approfondie la Présentation générale du Missel romain".