La mission de Paul
Nous avons vu l’origine de la mission et son sens pour Paul. Nous développons maintenant les aspects concrets de cette mission. Avait-il une stratégie, comment faisait il, comment communiquait il ? Autant de questions qui intéressent directement toute personne engagée dans l’annonce de l’Evangile.
Une stratégie pour la mission ?
Conduit par l’Esprit
Paul s’adresse d’abord aux juifs et ensuite aux païens, mais il sait devoir s’adresser aux non juifs. Paul était missionnaire pour les deux peuples (Rm 1,16). L’arrière plan stratégique de Paul était simple : il voulait dans l’accomplissement de sa charge annoncer aux païens l’Evangile, particulièrement dans les lieux où cela n’avait jamais été fait (Ga 2,7 ; Rm 15,14-21). Paul allait de ville en ville sur les principales routes romaines, en Arabie, Syrie et Cilicie, à Chypre, en Asie Mineure, en Macédoine et en Achaïe et, ainsi avait-il aussi prévu, en Espagne. Paul s’en remet à la volonté de Dieu pour son parcours missionnaire. Même s’il établit des projets pour ses voyages, il reste sensible à l’action de l’Esprit Saint et se laisse conduire par celui-ci (Ac 16,9) qui souvent le guide à travers les persécutions. Celles-ci sont la cause de nombreux déplacements de Paul le conduisant à fuir : Antioche (At 13,50-51) ; Iconium (14,5-6) ; Lystre (14,19-20) ; Philippes (16,19-40) ; Thessalonique (17,5-9), Bérée (17,13-14) et Ephèse (20,1).
La synagogue, la place publique
La stratégie de Paul s’est concentrée sur les centres urbains, sur les centres d’administration romaine, de culture grecque et de présence juive, afin que l’Evangile se diffuse des communautés fondées en ces lieux dans le pays environnant.
Lorsque l’Apôtre arrive dans une ville, le premier lieu où il se rend est la synagogue le jour de shabbat pour participer au culte. Etranger, il est invité par les autorités religieuses à donner son interprétation de la Torah. C’est l’occasion pour lui de prendre la parole et d’annoncer le Christ ressuscité. D’un point de vue stratégique, les païens qui adhéraient au Dieu d’Israël, les « craignant Dieu », étaient les meilleures cibles pour une annonce aux païens. En annonçant l’Evangile dans les synagogues Paul touchait ces personnes. Cette référence à la synagogue reste une constante dans la vie de Paul. Même à la fin de sa vie, arrivant à Rome, il invite les juifs à venir l’écouter chez lui (Ac 28).
En ce qui concerne le milieu païen, le récit de la prédication sur l’Agora à Athènes (Ac 17,16-34) permet de penser que Paul allait habituellement en ces lieux de la vie publique pour prêcher. Il n’hésitait pas à profiter de toutes les occasions possibles pour annoncer l’Evangile du Christ, y compris en prison (Ac 16,25-34), ce qui nous vaudra un très beau récit de la conversion d’une famille entière.
Les maisons privées
Un autre lieu essentiel à la mission sont les maisons privées. La vie de la première communauté chrétienne est étroitement liée avec la maison. Celle-ci comprends à la fois la famille et ses familiers (serviteurs, esclaves). Ce lieu est tout à la fois le point d’appui, le lieu de la communauté pour l’assemblée dominicale, mais aussi la base arrière du missionnaire. Rien de nouveau pour des croyants issus du judaïsme, ceux-ci ayant aussi l’habitude de se réunir en des lieux privés. La maison privée a d’autres avantages. La célébration de l’eucharistie était suivie ou précédée d’un repas. Ce lieu assurait aussi une certaine discrétion qui allait rapidement devenir nécessaire, que ce soit pour échapper à la persécution romaine ou à la haine de la synagogue.
Il est intéressant de noter que Paul invite l’épouse d’un païen à ne pas quitter son mari (1 Co 7,13-14). Ceci est d’autant plus intéressant lorsqu’on sait que la maison était le lieu du culte familial. Les dieux païens avaient leur autel. Le pater familias pouvait très bien se rendre dans les temples païens pour prier ou exercer une fonction sacerdotale. Il pouvait aussi régulièrement se rendre au bordel, comportement très fréquent alors. A plusieurs reprises on voit toute une « famille » se convertir : la famille de Lydie et du gardien de prison à Philippe (Ac 16,14-15.32-34), à Corinthe la famille de Crispus et de Stéphanas (Ac 18,8 ; 1 Co 1,16 ; 16,15). Les études architecturales montrent que l’on pouvait, suivant la taille de la maison, accueillir entre 20 et 100 personnes.
Les auditeurs de Paul
Paul s’adressait à toutes les couches de la société. Si les corinthiens étaient des gens de condition sociale très basse, et si les noms indiqués en Rm 16 renvoie aussi à une condition sociale simple, Luc rapporte à plusieurs reprises que Paul a été en contact avec des personnes appartenant aux couches supérieures de la société : Lydie la marchande de pourpre, mais aussi des femmes de la bonne société à Thessalonique et Berée (Ac 17,4.12) ainsi que des Asiarques (Ac 19,31). Ces derniers sont décrits comme amis de Paul. Il est donc probable qu’ils soient le fruit de sa prédication. Ac 13,7 nous rapporte l’exemple de Sergius Paulus, proconsul a Paphos.
La rencontre avec le proconsul Festus et le roi Agrippa est intéressante car elle nous montre Paul s’adressant à des personnages au sommet de l’échelle sociale. Face à Festus qui l’accuse d’être fou, Paul répond en faisant appel au roi Agrippa qui croit aux prophètes (Ac 26,27). Il conclut en émettant le vœu que tôt ou tard, tous les auditeurs deviennent semblables à lui, c'est-à-dire croyant (Ac 26,29). Ce passage d’une plaidoirie à un discours missionnaire montre non seulement le courage de Paul, mais que la mission est toujours possible parmi les juifs. D’après 2 Tm 4,16-17, Paul a aussi proclamé l’Evangile durant son procès romain : « La première fois que j'ai eu à présenter ma défense, personne ne m'a soutenu. Tous m'ont abandonné ! Qu'il ne leur en soit pas tenu rigueur ! Le Seigneur, lui, m'a assisté et m'a rempli de force afin que, par moi, le message fût proclamé et qu'il parvînt aux oreilles de tous les païens. Et j'ai été délivré de la gueule du lion. »
Ces contacts et les conversions dans ces milieux permet d’obtenir des appuis politiques, mais aussi d’avoir des lieux suffisamment vastes où se retrouver et témoigne que l’Evangile touche toutes les couches de la société. Toutefois, rien n’indique dans ces textes que Paul eut une stratégie concernant ces milieux.
Durée des missions citadines.
Une lecture un peu rapide des Actes des Apôtres ou des lettres de Paul pourrait donner l’impression que Paul passait de ville en ville sans s’attarder très longtemps. Il n’en est rien. Ses missions s’étalaient sur plusieurs mois ou plusieurs années. Pour la mission en Syrie (Antioche) Ac 11,26 parle d’une année. La mission en Macédoine et Achaie dure trois ans de 49 à 51. Paul fonde alors au moins 4 communautés : Philippe, Thessalonique, Bérée et Corinthe. Paul passe un an et demi (Ac 18,11) à Corinthe (février mars 50 à septembre 52). La mission d’Asie entre 52 et 55 se concentre à Ephèse où Paul travaille trois années (Ac 20,31) : il enseigne trois mois dans la synagogue (Ac 19,8), deux ans dans l’école de Tyrannos, et encore un temps supplémentaire non précisé (Ac 19,22). Le missionnaire sait devoir passer du temps avec les personnes pour leur transmettre la foi.
Comment Paul communique-t-il ?
La fécondité de l’Apôtre pourrait nous rendre envieux ! Une lecture approfondie de ses épîtres et des Actes des Apôtres nous révèle la raison de cette extraordinaire destinée. L’Apôtre, nous l’avons vu, est un vase d’argile, fragile et faible. Mais il est habité par la puissance de Dieu, par l’Esprit Saint. Cette action de l’Esprit, Paul cherche par tous les moyens à la faciliter. Ce sera le premier point que nous présenterons. Paul fait tout pour et par l’Evangile. Cette annonce de l’Evangile se fait essentiellement à travers deux moyens : la prédication, l’exercice des charismes.
Tout par et pour l’Evangile
La condition première pour l’exercice de la mission selon l’Apôtre est la cohérence de vie. Sa vie elle même doit être proclamation de l’Evangile. Il ne doit en rien être un obstacle à cette proclamation. Paul va exprimer cela à travers un aspect particulier. Il refuse d’être à la charge des communautés qu’il visite et où il annonce l’Evangile alors qu’il reconnaît par ailleurs le droit au prédicateur à vivre de sa prédication. 1 Co 9 nous présente une très belle réflexion de l’Apôtre sur ce point. Il refuse, alors qu’il aurait droit au fruit de son labeur, à profiter de sa responsabilité. La raison fondamentale est la suivante : « Nous supportons tous pour ne pas créer d’obstacle à l’Evangile du Christ. » (1 Co 9,12) Ce choix de Paul est présenté en fait comme une nécessité. Il a conscience qu’annoncer l’Evangile est une charge qui lui a été confiée : « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! » (1 Cor 9,16) Il n’en n’a pas l’initiative. Sa récompense réside dans le fait même d’annoncer l’Evangile gratuitement. Pour cela il se fait tout à tous !
La seule communauté dont il acceptera un soutien financier direct est la communauté de Philippes. Alors que Paul était en prison, celle-ci lui envoie un don bien nécessaire en cette période de détresse où le travail lui était impossible. Les prisonniers ne mangeaient souvent que ce que les familles et amis apportaient ! Emprisonné, Paul ne pouvait continuer à fabriquer des tentes.
La prédication
Paul est un maître de prédication. Une lecture un peu rapide de ses lettres pourrait laisser penser qu’il parlait sans préparation particulière, « inspiré » directement par l’Esprit, contrastant ainsi avec les rhéteurs sophistes de l’époque aux discours ampoulés et souvent bien creux. Il n’en est rien. 1 Co 2,1-5 nous révèle les mécanismes fondamentaux de sa prédication. Certes, Paul s’oppose à cette rhétorique creuse, à la recherche de brillance, très en vogue à cette époque. Mais il a été à bonne école et sait qu’elle efficacité donne à un discours une bonne mise en œuvre des règles fondamentales de la rhétorique grecque. Il met cette connaissance au service de l’Evangile. Ce passage de 1 Co 2 nous donne un enseignement précieux qu’il convient de regarder de près.
Sous une critique apparente de l’art du discours, Paul développe une théologie de la prédication. L’Apôtre rappelle tout d’abord que sa mission est la proclamation de Jésus comme messie, mais messie crucifié. Cette proclamation de la mort du Seigneur est centrale. Ceux qui participent au repas du Seigneur proclament sa mort (1 Co 11,26), la parole de Dieu est proclamée dans les synagogues (Ac 13,5). Il dit à l’Eglise de Rome que sa foi est proclamée dans tout l’univers (Rm 1,8). C’est le fait d’une présentation dans le domaine public qui est souligné. On ne doit pas comprendre nécessairement cela comme une proclamation en public, sur des places ou dans des édifices publics. Cela aurait contraint Paul à assumer le statut d’orateur public, ce qui aurait nuit à son statut à Corinthe. Mais la proclamation reste publique, c'est-à-dire qu’il ne communique pas un enseignement ésotérique à un groupe d’initiés, mais des événements à tous ceux qui veulent écouter.
Paul refuse d’employer, comme le font les rhéteurs de l’époque, ce qui plaît à l’auditoire et qui empêcherait l’évangile d’être entendu. Il renonce à prêcher en vue d’obtenir un effet dans le sens de parader devant un auditoire séduit. Cette proclamation est l’annonce du mystère de la Croix. Il ne veut rien savoir d’autre que le Christ crucifié. C’est là tout le contenu de son message, le reste n’est que commentaire. Lui même incarne celui-ci. Le Christ crucifié vit en lui (Ga 2,20).
Il dit avoir prêché tout craintif et tremblant, ce qui ne manque pas de nous surprendre tant sa force de caractère transparaît dans ses lettres. En fait, ces deux termes forment une expression particulière qui vient de l’Ancien Testament. Elle est habituellement employée pour désigner l’attitude de la personne qui fait face à un ennemi hostile ou à un assaut mortel (Ex 15,16 ; Dt 2,25 ; Jdt 2,28 ; Ps 54,6 ; Is 19,16). La prédication est un combat. Cette faiblesse au milieu des corinthiens n’était donc pas une maladie quelconque. Elle est le contexte où se révèle la puissance de Dieu. Cela se vérifie en 1 Co 1,27-29 ou 2 Co 12,9 (« ma grâce te suffit »). Cette attitude contraste totalement avec l’attitude très confiante des sophistes. Paul n’est précisément pas un orateur qui vient divertir les foules.
Cette conscience du caractère particulier de la prédication est explicité dans les versets 4 et 5 à travers un ensemble de jeux de mots très fins. Plusieurs des termes employés par Paul ont un double sens que nos traductions françaises sont bien incapables de rendre. Il utilise des mots qui ont un sens dans le vocabulaire religieux, mais aussi un sens technique dans la rhétorique. L’Esprit Saint est présenté comme celui qui persuade les cœurs. Cette phrase attribue à l’Esprit Saint le pouvoir de persuasion. C’est lui le rhéteur ! Et le résultat de cette « démonstration » (terme technique de la rhétorique) n’est pas une simple preuve, conviction, mais la foi, concepts tous exprimés à travers le même mot grec traduit par « foi » dans nos bibles ! L’ironie est grande. La puissance de l’Esprit contraste avec la faiblesse de Paul et la puissance démonstrative de l’Esprit contraste avec la puissance persuasive de mots appartenant à la sagesse humaine.
Au-delà du contexte historique qui détermine en partie le discours de l’Apôtre, nous pouvons relever quelques éléments importants pour l’annonce de l’Evangile. Le message est centré sur le mystère de la Croix, c'est-à-dire sur le salut. Le média doit être soumis à son contenu, plus même, il doit en favoriser la visibilité. Le fruit de l’annonce est la foi, et non une persuasion. La foi chez Paul est caractérisée par l’obéissance (cf. Rm 1,18). Elle est adhésion à la personne et à la parole du Christ. Celle-ci est le fruit de l’action de l’Esprit Saint qui s’avère être le vrai locuteur, au-delà de la personne du missionnaire. Celui-ci se doit d’agir avec « crainte et tremblement ». Cela signifie à la fois qu’il s’agit d’une situation précaire, d’un combat, mais aussi qu’il doit être conscient que c’est une action divine. Il se tient en présence de Dieu. L’œuvre missionnaire est donc une œuvre éminemment théologale. La finesse de la composition du passage qui sait utiliser tous les artifices de la rhétorique, montre que cela ne veut pas dire pauvreté de langage ou naïveté, mais bien au contraire. Tous les moyens donnés par le langage pour transmettre ce message sont utilisés.
Les charismes et les miracles
La question des charismes et des miracles ne doit pas être sous-évaluée ni surévaluée. Les Actes des Apôtres nous permettent de prendre conscience que les miracles ne sont pas la principale cause de l’évangélisation, même s’ils contribuent parfois activement à celle-ci. Quand les foules se convertissent, cela n’est pas dû à des miracles, mais d’abord à la parole de la prédication. Il arrive même que certains miracles ne soient pas compris et deviennent source de confusion. Il suffit d’évoquer la guérison d’un impotent à Lystres en Ac 14. Les gens de la ville ont tout d’abord pensés que Paul et Barnabé étaient les dieux Zeus et Hermès ! Aussitôt après cet événement, on nous rapporte que Paul s’est fait lapider, la foule ayant été retournée par des Juifs venant d’Iconium et d’Antioche (Ac 14,19). En Ac 16,18 la libération de l’esclave possédée par un esprit de divination cause la colère de ses patrons qui vivaient de ce « don ». Enfin en Ac 28, Paul, mordu par une vipère, ne meurt pas. Les témoins ne se convertissent pas mais se mirent à dire que Paul était un dieu (eux aussi !).
Cependant les miracles et les charismes ne doivent pas être sous-évalués et considérés comme inexistants ou inutiles. Toute l’histoire de l’annonce de l’Evangile est parsemée de ces dons de l’Esprit Saint qui sous une forme ordinaire ou extraordinaire portent les non croyants à la foi. Il suffit pour s’en convaincre de lire le discours sur les charismes en 1 Co 12-14. La parole de prophétie, parole inspirée prononcée dans l’assemblée réunie en prière, est cause directe de la conversion du non croyant.
Paul, dans ses lettres, parle peu des miracles si ce n’est dans ce discours sur les charismes en 1 Co 12-14 et probablement en 1 Co 2,4 où il évoque une démonstration de puissance de l’Esprit, allusion possible aux miracles. C’est uniquement les Actes des Apôtres qui témoignent de leur réalité. Or, il faut reconnaître que ceux-ci, même s’ils sont parfois mal compris par les témoins, sont le plus souvent la source de conversions. La guérison du paralytique de Lydda et la résurrection de Tabitha à Joppé (Ac 9,32-35), la libération miraculeuse de Paul et Sila (Ac 16,25-34). Ac14,3 est particulièrement intéressant. Paul et Barnabé évangélisent Iconium. Il est dit que « le Seigneur rendait témoignage à la prédication de sa grâce en opérant signes et prodiges par leurs mains. »