DEUXIÈME PARTIE
LA PAROLE DE DIEU DANS LA VIE DE L'ÉGLISE
« Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées. De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n'y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger, ainsi en est-il de la parole qui sort de ma bouche, elle ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j'ai voulu et réalisé l'objet de sa mission » (Is 55,9-11).
Chapitre IV
La Parole de Dieu vivifie l'Église
« La lettre que Dieu a envoyée aux hommes »[36]
Quand l'Esprit Saint commence à faire mouvoir la vie du peuple, l'un des premiers signes et l'un des plus forts est l'amour pour la Parole de Dieu dans les Écritures, et le désir de les connaître davantage. Cela parce que la Parole des Écritures est une parole que Dieu adresse à chacun, personnellement, comme une lettre dans les circonstances concrètes de la vie. Elle est extraordinairement immédiate et a le pouvoir de pénétrer au cœur de l'être humain. En effet :
- l'Église naît et vit de la Parole de Dieu ;
- la Parole de Dieu soutient l'Église tout au long de son histoire ;
- la Parole de Dieu imprègne et anime - dans la puissance de l'Esprit Saint - toute la vie de l'Église.
L'Église naît de la Parole de Dieu et vit par elle
27. Dans les Actes des Apôtres, on lit à propos de Paul et Barnabé qu'à peine arrivés à Antioche, « ils réunirent l'Église et se mirent à rapporter tout ce que Dieu avait fait avec eux, et comment il avait ouvert aux païens la porte de la foi » (Ac 14,27).
Le Synode est le lieu où l'on pourra certainement percevoir « les miracles et les prodiges » de la Parole de Dieu, comme ce fut le cas à Antioche et dans l'assemblée de Jérusalem qui écoutait Paul et Barnabé (cf. Ac 15,12). En effet, dans toutes les Églises particulières, il est possible d'expérimenter la Parole de Dieu de différentes façons : dans l'Eucharistie, dans la Lectio Divina - communautaire et personnelle -, pendant la Journée de la Bible, les cours bibliques, dans les groupes de l'Évangile ou d'écoute de la Parole de Dieu, dans le chemin biblique diocésain, les exercices spirituels, les pèlerinages en Terre Sainte, les célébrations de la Parole, les expressions de la musique, des arts plastiques, de la littérature et du cinéma.
De multiples constatations émergent des réponses aux Lineamenta :
- Après le Concile Vatican II, la lecture de la Parole de Dieu s'est intensifiée, surtout dans le cadre de la liturgie eucharistique. Beaucoup d'Églises accordent une place privilégiée à la Bible, en l'exposant bien en vue à côté de l'autel, ou sur l'autel, comme c'est le cas dans les Églises orientales.
- Pour développer la lecture de la Parole, l'Église fait des efforts importants pour que l'accès aux Saintes Écritures soit un fait concernant le peuple. Les Conférences épiscopales, les diocèses, les paroisses, les communautés religieuses, les associations et les mouvements ont choisi d'avancer sur le chemin de la Parole de Dieu, de façon tout à fait novatrice par rapport à il y a quelques décennies.
- Le désir d'apprendre à aimer la Parole de Dieu l'emporte chez certains, par rapport à d'autres questions d'ordre pastoral. De toutes façons, il reste toujours comme le désir de fond des personnes - même les plus distraites - qui sont sensibles au Jésus des Évangiles.
- Cela n'empêche pas que le degré de familiarité avec la Parole de Dieu soit très diversifié. Dans les sociétés d'ancienne chrétienté, on trouve la Bible dans les maisons plus qu'en d'autres périodes, mais pas toujours comme Livre véritablement lu. Les données statistiques provenant de certaines parties du monde attestent que l'usage significatif de la Bible doit sensiblement se développer, tout comme doit mûrir la conscience du rôle fondamental et décisif de la Parole de Dieu pour une vie de foi.
- Dans d'autres zones géographiques, où le problème consiste plutôt en pénurie de moyens - plus particulièrement les traductions -, les données sont différentes. Il est utile de rappeler les expériences que ces frères et sœurs, souvent pauvres, vivent au contact de la Parole de Dieu. La Notede la Commission Pontificale Biblique en donne une attestation compétente : « [...] il y a lieu de se réjouir de voir la Bible prise en mains par d'humbles gens, des pauvres, qui peuvent apporter à son interprétation et son actualisation une lumière plus pénétrante, du point de vue spirituel, que celle qui vient d'une science sûre d'elle-même ».[37]
- Un paradoxe se manifeste : à la faim de la Parole de Dieu ne correspond pas toujours une prédication adéquate de la part des Pasteurs de l'Église, à cause d'une insuffisance dans la préparation au séminaire ou dans l'exercice pastoral.
La Parole de Dieu soutient l'Église tout au long de son histoire
28. Une donnée constante dans la vie du Peuple de Dieu est de puiser sa force à la Parole, celle-ci n'étant donc pas statique mais une Parole qui accomplit sa course (cf. 2 Th 3,1) et descend, comme une pluie féconde qui vient du ciel (cf. Is 55,10-11). C'est ce qui se produit depuis que les prophètes parlaient au peuple, Jésus à la foule et à ses disciples, les apôtres à la première communauté, et jusqu'à nos jours. Nous pouvons bien dire que le service de la Parole de Dieu caractérise les différentes époques au sein même du monde biblique, puis dans l'histoire de l'Église.
Ainsi, comme au temps des Pères, les Écritures sont au centre comme la source où puiser la théologie, la spiritualité et l'orientation pastorale. Les Pères sont les maîtres incomparables de cette lecture spirituelle des Écritures qui, lorsqu'elle est faite de façon authentique, n'est pas oubli de la lettre - c'est-à-dire du juste sens historique - mais est capable de lire la lettre dans l'Esprit. Au Moyen-Âge, les Pages Saintes constituaient la base de la réflexion théologique : pour les aborder correctement, a été élaborée la doctrine des quatre sens de l'Écriture : littéral, allégorique, tropologique et anagogique.[38] Dans les temps anciens, la Parole de Dieu dans la Lectio Divina constituait la forme monastique de la prière; la source de l'inspiration artistique; elle se transmettait au peuple dans les nombreuses formes de la prédication et de la piété populaire. De nos jours, la manifestation de l'esprit critique, le progrès scientifique, la division des chrétiens et l'engagement œcuménique qui s'en suit, encouragent - non sans difficulté ni contraste - une étude plus correcte et une meilleure compréhension du mystère des Écritures au sein de la Tradition. Aujourd'hui se développe le projet de renouvellement basé sur la centralité de la Parole de Dieu qui, à travers le Concile Vatican II, se poursuit jusqu'à l'actuel Synode.
Dans le cadre de la grande Tradition, toutes les Églises particulières se développent dans le temps selon des modes et des caractères propres. Et surtout, comme l'enseigne encore l'histoire, il est possible de voir les liens et les influences réciproques. Il est toutefois nécessaire de prendre connaissance d'une double nouvelle : d'une part, on peut constater que la Parole de Dieu se diffuse et évangélise les différentes Églises particulières des cinq continents; elle s'incarne progressivement en elles, devenant l'âme vivifiante de la foi de nombreux peuples, facteur fondamental de communion, source d'inspiration et transformation des cultures et de la société ; d'autre part, il semble que la pastorale biblique ait à souffrir pour des raisons historiques, liées au moment de l'évangélisation, mais aussi pour des problèmes réels de foi dans des contextes de vie différents ou en raison de pénuries économiques.
La Parole de Dieu imprègne et anime, dans la puissance de l'Esprit Saint, toute la vie de l'Église
29. Il existe une corrélation entre l'usage de la Bible, la conception de l'Église et la pratique pastorale. Le juste rapport se réalise lorsque l'Esprit Saint engendre l'harmonie entre l'Écriture et la Communauté. Il importera donc de respecter le besoin intérieur qui fait avancer la communauté pour rencontrer la Parole de Dieu, mais il faudra aussi être attentif à contrôler cette sensibilité qui exalte la spontanéité, l'expérience étroitement subjective et la soif de prodigieux. De même, il faudra être attentif à ce que dit le texte des Écritures, en s'efforçant de le méditer pour en saisir le sens littéral, avant de vouloir l'appliquer dans la vie. Ce qui n'est pas toujours facile. On signale en outre le risque du fondamentalisme, phénomène ayant des conséquences anthropologiques, sociologiques et psychologiques importantes, qui s'applique tout particulièrement à la lecture de la Bible et à l'interprétation du monde qui en est faite. Au niveau de cette lecture biblique, le fondamentalisme se réfugie dans le littéralisme et refuse de tenir compte de la dimension historique de la révélation biblique, de sorte qu'il ne parvient pas à accepter totalement l'Incarnation elle-même. « Ce genre de lecture trouve de plus en plus d'adhérents [... même] parmi les catholiques [...]. Le fondamentalisme [...] exige une adhésion sans défaillance à des attitudes doctrinaires rigides et impose, comme source unique d'enseignement au sujet de la vie chrétienne et du salut, une lecture de la Bible qui refuse tout questionnement et toute recherche critique ».[39] La forme extrême de ce type de tendance est la secte. Dans ce cas, les Écritures sont soustraites à l'action dynamique et vivifiante de l'Esprit, et la communauté s'atrophie comme un corps qui ne vit plus et est devenu un groupe fermé, qui n'admet aucune différence ni pluralité à son intérieur, et montre une attitude agressive envers les autres modes de penser.[40]
Au contraire, il devient urgent de conserver vivante dans la communauté la docilité à l'Esprit Saint, en surmontant le risque d'éteindre l'Esprit par un activisme excessif et l'extériorité de la vie de foi, en évitant le danger de la bureaucratisation de l'Église, celui de l'action pastorale limitée à ses aspects institutionnels et de la réduction de la lecture biblique à une activité parmi d'autres.
30. Il faut avoir présent à l'esprit, comme l'affirme Jésus, que l'Esprit guide l'Église vers la vérité dans sa totalité (cf. Jn 16,13), et qu'ainsi, il fait comprendre la vraie signification de la Parole de Dieu, en conduisant à la fin à rencontrer le Verbe lui-même, Fils de Dieu, Jésus de Nazareth. L'Esprit est l'âme et l'exégèse des Saintes Écritures. Aussi, non seulement « l'Écriture Sainte doit être lue et interprétée avec le même Esprit qui l'a fait écrire » (DV 12), mais guidée par l'Esprit, l'Église doit s'efforcer d'en avoir une compréhension toujours plus profonde pour nourrir ses fils, à partir plus spécialement de l'étude des Pères d'Orient et d'Occident (cf. DV 23), de la recherche exégétique et théologique, et de la vie des témoins et des saints.
À ce propos, la ligne indiquée dans les Prænotanda au Lectionnaire se révèle précieuse, lorsqu'on trouve affirmé : « Pour que la Parole de Dieu mette vraiment en acte dans les cœurs ce qui résonne aux oreilles, l'action de l'Esprit Saint est nécessaire ; sous son inspiration et avec son assistance la Parole de Dieu devient le fondement de l'action liturgique, la norme et le soutien de toute la vie. L'action de ce même Esprit Saint non seulement devance, accompagne et suit toute l'action liturgique, mais suggère à chacun dans le cœur (cf. Jn 14,15-17.25-26 ; 15,26-16,15) tout ce qui, dans la proclamation de la Parole de Dieu, est dit pour l'assemblée des fidèles toute entière et, alors qu'il renforce l'unité de tous, il favorise aussi la diversité des charismes et en met son action multiple en valeur».[41]
Ainsi, la communauté chrétienne se construit chaque jour en se laissant guider par la Parole de Dieu, sous l'action de l'Esprit Saint, qui apporte lumière, conversion et consolation. En effet, « tout ce qui a été écrit dans le passé le fut pour notre instruction, afin que la constance et la consolation que donnent les Écritures nous procurent l'espérance » (Rm 15,4). Le premier devoir des Pasteurs consiste alors à aider les fidèles à comprendre ce que signifie rencontrer la Parole de Dieu avec le guide de l'Esprit, comme cela se réalise en particulier dans la lecture spirituelle de la Bible, dans l'attitude d'écoute et de prière. À ce sujet, Pierre Damascène affirme : « Celui qui a l'expérience du sens spirituel des Écritures sait que le sens de la parole la plus simple de l'Écriture et de celle la plus savante et exceptionnelle ne sont qu'un et visent le salut de l'homme ».[42]
Incidences pastorales
31. Si la Parole de Dieu est source de vie pour l'Église, il devient essentiel de considérer les Saintes Écritures comme un aliment vital. Ce qui comporte :
a. De vérifier en permanence la place effective que la Parole de Dieu occupe dans la vie de la communauté d'appartenance, les expériences plus constructives et aussi les risques les plus fréquents.
b. De reconnaître l'histoire et la diffusion de la Parole de Dieu dans chaque communauté, dans chaque diocèse, nation, continent, dans l'Église en général, pour apprendre les grandes actions de Dieu (magnalia Dei), mieux percevoir les besoins et les initiatives à prendre et assurer la solidarité envers les communautés pauvres en ressources matérielles et spirituelles.
c. Que, pour réaliser de façon incisive une pastorale animée par la Parole de Dieu, il est indispensable de reconnaître et promouvoir le rôle irremplaçable des Églises particulières en communion entre elles. C'est de leur initiative effective en tant que Peuple de Dieu uni à leur évêque que naissent de grandes et petites expériences et que se crée un flux continu de la Parole dans les différentes communautés.
[36] S. Gregorius Magnus, Registrum Epistolarum V, 46, ed. Ewald-Harmann, pp. 345-346.
[37] Pontificia Commissio Biblica, L'interprétation de la Bible dans l'Église (15.04.1993), IV, C 3 : Enrichidion Vaticanum 13, EDB, Bologna 1995, p. 1724.
[38] Cf. Catechismus Catholicæ Ecclesiæ, 115-119.
[39] Pontificia Commissio Biblica, L'interprétation de la Bible dans l'Église (15.04.1993), I, F : Enrichidion Vaticanum 13, EDB, Bologna 1995, p. 1630.
[40] Cf. Ioannes Paulus II, Discours sur l'interprétation de la Bible dans l'Église (23.04.1993) : L'Osservatore Romano, E.H.L.F. 18 (04.05.1993) p. 7.
[41] Missale Romanum, Ordo Lectionum Missæ : Editio typica altera, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 1981 : Prænotanda, 9.
[42] Petrus Damascenus, Liber II, vol. III, 159 : La Filocalia, 3, Torino 1985, p. 253.